Henri Queffelec

21 juillet 1978
23m 48s
Réf. 00859

Notice

Résumé :

Jacques Paugam interviewe l'écrivain Henri Queffelec à propos de son livre écrit en collaboration avec Maurice Chavardes "Un Breton bien tranquille" : ses origines bretonnes, ses études, son passage dans l'enseignement, son séjour en Suède, sa démission de l'enseignement, ses occupations d'écrivain et de voyageur ; le voyage qui l'a marqué le plus : celui qu'il fit dans l'île de Sein ; son attachement profond à la Bretagne, à la mer, au catholicisme, au monde celtique ; ce qu'il pense des difficultés économiques de la Bretagne, de l'opposition, de la politique ; le caractère breton...

Type de média :
Date de diffusion :
21 juillet 1978
Source :

Éclairage

Henri Queffelec. Son œuvre gigantesque (plus de 80 livres) fait de lui un prolixe romancier de la Bretagne et plus particulièrement des îles bretonnes (Un recteur de l'ïle de Sein ; Un royaume sous la mer ; Un homme d'Ouessant, Les îles de la Miséricore, etc.). Ses livres sont d'excellents témoignages historiques et sociologiques sur la Bretagne du XXe siècle. Né à Brest en 1910, il monte à Paris en 1925, assoiffé de savoir. Il intègre ensuite le lycée Louis Le Grand, puis entre à Normale Sup avant d'obtenir l'agrégation de Lettres en 1934 et de partir en Suède.

Au cours de cette émission réalisée en 1978, Henri Queffelec présente son nouvel ouvrage Un Breton bien tranquille qui se situe dans un corpus autobiographique bien fourni (Mémoires d'enfance, Mon beau navire, ô ma mémoire) où il retrace son parcours d'écrivain. Il nous fait partager sa passion pour les choses simples de la vie, la nature, les îles, la mer mais aussi son fort attachement à la Bretagne. L'homme de foi catholique nous invite également à aller vers la quête de l'identité qui anime chaque homme.

Raphaël Chotard – CERHIO – UHB Rennes 2

Bibliographie

LA PRAIRIE, Yves, Henri Queffélec, biographie, Glénat, 1994.

DUFLEF, Pierre, Henri Queffélec, un écrivain dans le siècle, PUR, 2001.

Raphaël Chotard

Transcription

Intervenant
Henri Queffélec, vous venez de publier chez Stock avec la collaboration d’Henri Chavardès, sous le titre Un Breton bien tranquille ; une autobiographie qui est en même temps le bilan, disons, d’une passion d’écrivain, une passion pour son pays. Ecrivain, qui est aussi très touché par le mysticisme et qui est également très très touché par tout ce qui correspond au régionalisme en France ou ailleurs. Lorsque vous quittez la Bretagne en 1926, vous avez 16 ans, vous ne vous sentez pas encore vraiment Breton ?
Henri Queffélec
Oh, cela commençait, mais les mots n’étaient pas prononcés. J’étais profondément Breton, mais à Brest on ne parlait pas de cela. On était dans le bain, le poisson ne sait pas qu’il est poisson. C’est quand je suis venu à Paris que je me suis trouvé en classe d’hypocagne au milieu de provinciaux comme moi, venant d’un peu toutes les régions de la France et d’au-delà ; que tout à coup, j’ai été Breton. Mes camarades m’appelaient ainsi, et dis donc toi le Breton, alors qu’est-ce que tu penses ? Puisqu’on m’appelait ainsi, c’était mon nom et c’était mon être.
Journaliste
Oui, mais vous étiez le Breton mais pas de la même manière que d’autres étaient le Normand ou le Basque.
Henri Queffélec
Alors cela, cela était peu à peu que peut-être j’ai pu faire une différence, mais sur le moment pour moi, il n’y avait aucune différence. Nous avions tous des passés extrêmement précis. Entre autres par exemple, nous avions un camarade qui avait un père américain et une mère tchèque, et qui avait perdu son père sur le Titanic, où lui-même s’était trouvé. Je veux dire que nous venions souvent de loin, il y en avait de la Réunion, il y en avait du Maroc, il y en avait des Antilles, il y en avait de Picardie, etc. Et ma foi, au départ, toutes ces richesses me paraissaient fabuleuses. Je ne voyais pas pourquoi ma Bretagne à moi aurait été différente de la Picardie ou de la Normandie d’un tel. C’est après que je me suis rendu compte qu’en France, il y avait peut-être une différence malgré tout pour certaines régions, la Bretagne n’est pas la seule.
Journaliste
Mais lorsque vous êtes ainsi monté à Paris, donc 1926, c’était plus pour satisfaire les souhaits de votre mère que pour correspondre à une vocation.
Henri Queffélec
C’est après que j’ai satisfait vraiment aux souhaits de ma mère. Si, à ce moment-là tout de même, c’est pour satisfaire une vocation, une vocation qui ne visait rien de précis quant à un métier. C’était le désir d’apprendre, d’en savoir beaucoup plus. Parce que vers 15 ans, j’ai été saisi d’une espèce de fringale de savoirs. Je pense que c’est l’âge idéal d’ailleurs dans la vie de l’homme, il y a vraiment ces facultés cérébrales qui sont à un niveau qu’on ne retrouve pas par la suite. Vraiment, il y a une capacité d’assimilation qui est considérable, et on a besoin d’apprendre. Je ne sais pas pourquoi on s’est mis tellement de nos jours à taper sur la mémoire. Quant à moi, je la salue chapeau bas, et quand je pense à Apollinaire, la qualifiant de beau navire, eh ben, je frémis à la fois parce que j’aime les navires et parce que j’aime la mémoire.
Journaliste
Mais vous, enfant, vous étiez surtout attiré par la poésie, alors que votre mère, à travers vous, voulait un peu venger la mort de votre père, non ?
Henri Queffélec
On ne voulait pas la venger. Non, elle voulait, si vous voulez, la compenser peut-être. Elle avait cette crainte qu’ont souvent les femmes qui demeurent seules pour élever des enfants ; cette crainte que les enfants dérasent, que les enfants soient perdus dans la vie, que justement ayant perdu leur père, ils aient tout perdu et ils soient déboussolés. Alors pour elle, la boussole c’était - bien sûr elle avait sans doute tort mais enfin c’était ainsi - une situation matérielle. Donc, il fallait que j’aie des diplômes, que j’aie une sécurité.
Journaliste
Sur ce plan à, vous n’alliez pas la décevoir, puisque vous passez donc d’abord par Louis le Grand, où vous êtes en très bonne compagnie d’ailleurs. Enfin, je pense au niveau intellectuel, il y a Brasillach, il y a Paul Guth, il y a encore….
Henri Queffélec
Roger Vailland, Gaden, Thierry Monier.
Journaliste
Belle promotion. Vous passez donc ensuite par Normale, l’agrégation. Après un premier passage assez court dans l’enseignement, il y a une expérience qui vous marque terriblement, c’est la découverte de la Suède, pour quelle raison ?
Henri Queffélec
Cela était les circonstances. Un de mes camarades qui m’a proposé un poste à l’université d’Upsal, il se faisait fort d’obtenir ma nomination là si j’avais envie d’y aller. J’étais à Mont-de-Marsan où j’étais très heureux, mais étant Breton, j’aimais le voyage, je ne connaissais rien de la Suède. Tout de suite, j’ai accepté, et je m’en suis trouvé très bien. Je m’en suis trouvé très bien, comme Breton d’abord et comme Français. Comme Breton, parce que beaucoup d’entre les Bretons, certains se défendent de cela disent qu’en réalité, la race est plus réaliste. Quant à moi, il m’apparaît que le trait dominant du tempérament breton, c’est l’amour du monde ; l’amour du monde extérieur, de la nature, des paysages, la terre, la mer, le ciel, la faune et la flore. Là, en Suède j’ai été avec des camarades étudiants qui presque tous aussi raffolaient de la nature, car c’est un trait marquant de la Scandinavie et en particulier de la Suède. Vous savez que le plus grand naturaliste de tous les temps a été [Lidney]. Il est une expression et il demeure un modèle pour la Suède. Mes camarades raffolaient, avaient un sens mystique de la nature. Ma foi, je me retrouvais de plain pied avec eux. Quand je faisais de grandes marches avec eux dans la forêt, ben, je demeurais silencieux comme eux. Je n’avais pas besoin en effet de…. J’étais avec eux, il n’y avait pas cartésianisme français très soucieux de discussion intellectuelle. Même quand on est dans des paysages, on a l’impression qu'on perd son temps. On est bien là bien sûr, les arbres c’est bon, le bon air. Mais il faut en même temps discuter de politique, etc. Tandis que là, quand nous faisions une marche, nous faisons une marche.
Journaliste
C’est-à-dire que l’âme celte rencontrait l’âme des Vikings ?
Henri Queffélec
Certainement, les Vikings ont une mauvaise réputation, parce qu’ils ont fait beaucoup de pillages, et en cela ils ont eu tort. Mais il y a des éléments très positifs dans leur tempérament. En réalité, c’était des gens au point de vue culturel qui avait aussi une grande valeur et une grande saveur. Maintenant, nos leur rendons, je crois, beaucoup plus hommage qu’autrefois. Pour moi, je vois les Celtes et les Vikings comme des cousins.
Journaliste
Mais au fond, Henri Queffélec, puisque nous parlons de la Bretagne dans la région de Kerlouan et de Brignogan chez les Pagan ; est-ce qu’on ne retrouve pas ces Vikings, ces grands blancs aux yeux bleus ?
Henri Queffélec
Il y en a, je ne sais pas si c’est dans la région de Kerlouan, mais il y a en effet une minorité de Bretons qui en effet est ainsi. Il me semble que cela diminue un petit peu. Mais quand j’étais jeune, on en rencontrait beaucoup en effet, enfin beaucoup, je dirais un dixième peut-être.
Journaliste
Alors, vous aviez par la suite abandonné l’enseignement, dans lequel vous vous sentiez semble-t-il, assez mal à l’aise, pour plusieurs raisons ; dont celle que vous venez presque d’expliquer, c’est-à-dire la perte de contact avec les éléments naturels, et la perte de contact, au fond, avec les gens. Vous alliez vous consacrez au métier d’écrivain, et vous voyagiez beaucoup. L’une des choses les plus étonnantes à lire cet ouvrage, c’est de découvrir que l’un des voyages qui vous a le plus marqué ; c’est un voyage en Bretagne, un voyage à l’île de Sein, pourquoi ?
Henri Queffélec
Je n’avais pas pensé que c’était une chose un peu étonnante dans le livre, parce que c’était au fond assez normal. Si j’ai fait ce voyage à l’île de Sein, vous savez, c’est un petit peu dû aux circonstances. Bien sûr ensuite, cela s’explique, c’est l’attrait des îles. L’attrait des îles, tous les touristes maintenant connaissent cette passion-là. Ils savent bien qu’au-delà des rivages, si l’on veut approcher une Bretagne qui a les chances d’être la moins polluée possible, il faut aller dans les îles. C’était déjà vrai avant 1939, la Bretagne la plus authentique. Je dis, la plus authentique, en principe, on ne devrait pas mettre de comparatif et de superlatif avec authentique, mais cependant, je crois que là, on peut le faire.
Journaliste
Une Bretagne qui correspondait le mieux à vos inspirations.
Henri Queffélec
Peut-être ! Vous vous rappelez, je crois que je l’ai dit dans le livre, vous vous rappelez le film japonais l’île nue. Et bien, je ne connaissais bien sûr pas ce film, qui n’existait pas. Mais c’était en somme pour retrouver une île nue, une Bretagne nue que j’ai voulu aller à l’île de Sein en plein hiver. Car chacun sait que les tempêtes, il ne faut pas les expérimenter, de loin, il faut être dans le coup. J’ai eu la chance d’avoir une tempête, de vivre une tempête à l’île de Sein. Cela aurait été encore plus beau de vivre une tempête sur un petit bateau de pêche au large. A ce moment-là, je ne pouvais pas me le permettre, parce qu’à ce moment-là, j’étais vissé par mon métier. Les bateaux de pêche ne sortaient pas en plein hiver à ce moment-là, c’était surtout les pêches saisonnières. Mais là en tout cas, j’ai vécu avec la population de l’île de Sein, à même les éléments déchaînés, des journées qui m’ont marqué pour toujours.
Journaliste
Mais de toute manière, est-ce que ce n’est pas en hiver que la Bretagne est la plus belle et la plus attachante ?
Henri Queffélec
Ah, elle est très attachante aussi en été. L’aube d’un jour d’été en Bretagne livre aussi un pays étonnant. La nuit d’été en Bretagne est belle. Dans les îles par exemple, il y a un souffle tiède souvent qui vient de la mer. Et rester là étendu dans les herbes sèches et écouter un vague grillon, écouter le murmure de la mer, c’est vraiment cela aussi la Bretagne. Bien sûr, la Bretagne d’hiver avec les grandes plages désertes où le sable est complètement comme une espèce de linge qui vient d’être essoré. Il y a simplement les petits pas des oiseaux qui à cette époque sont les maîtres du paysage.
Journaliste
Et qui volent très bas.
Henri Queffélec
Oui, les courlis, les bécassines de mer. Oui bien sûr, mais la Bretagne d’été aussi est authentique.
Journaliste
C’est-à-dire qu’au fond, Bretagne et poésie pour vous se confondent.
Henri Queffélec
Oui, et je ne suis pas le premier à le dire, je suis au moins le second, mais il y en a bien d’autres. En tout cas, celui qui a lancé la formule, c’est André Breton.
Journaliste
Quand vous étiez enfant, place du Château à Brest, c’était aussi cette idée de la poésie que vous aviez ?
Henri Queffélec
Sourdement, oui, sans m’en douter, parce que j’étais vraiment, et je pense d’ailleurs rester un individu très simple comme tout le monde, si vous voulez. Encore que cette expression n’aie peut-être pas tellement de sens en apparence. Parce qu’en réalité, chaque individu est un mystère, et il s’ignore. Il se croit souvent fallot, terne, mais s’il pouvait consulter sa mémoire, s’il pouvait fouiller en lui, il découvrirait d’étonnantes richesses. En effet, quand j’étais petit, quand j’étais jeune, au contact de mes grands-mères, de ma mère, de mon frère, de mes sœurs et du paysage brestois ; je vivais vraiment dans un univers de poésie, cela c’est sûr.
Journaliste
A telle enseigne même que la guerre, il y a des gens qui auront du mal à le comprendre ; mais la guerre, il est vrai que vous êtes né en 1910, donc votre âge n’était pas très élevé, mais vous l’avez vécue presque comme un rêve la guerre.
Henri Queffélec
La guerre, oui, c’est vrai, parce que j’étais loin du front à Brest tout de même. On en voyait sinistrement les conséquences. Mais j’étais petit, alors c’était des détails matériels humbles, quotidiens, qui rattachés l’un à l’autre, faisaient une espèce aussi de rêve.
Journaliste
Mais vous parliez de la richesse de chaque individu, il y a un Breton qui a parlé de cela d’une façon magnifique, c’est Renan, vous vous rappelez ? Lorsqu’il parle de ces foules, de gens anonymes qui ont de la grandeur ne serait-ce que par leur existence en tant que maillon dans la chaîne de l’histoire de l’humanité. Il y a 2 ou 3 pages qui sont sublimes là-dessus.
Henri Queffélec
Ben, je suis content qu’un Breton me l’apprenne, je l’ignorais. Ben, je vais me hâter de lire ses pages, et je me sens en effet consoner tout à fait avec elles.
Journaliste
Donc pour vous, la Bretagne et la poésie, cela va ensemble. La terre, la mer, c’est une forme d’unanimisme.
Henri Queffélec
Oui, c’est une forme d’unanimisme, la terre, la mer, le ciel, la faune et la flore, et les êtres humains. Oui, c’est un unanimisme cosmique. Je me sens très reconnaissant envers Jules Romains d’avoir donné une espèce de coup d’envoi à une doctrine au fond, qui sommeillait dans la littérature et dans l’inconscient de beaucoup d’écrivains. Il fallait, je crois, mettre l’accent là-dessus.
Journaliste
Mais la mer, ce qu’il y a d’étonnant lorsqu’on lit ce livre, c’est qu’à la limite, ce n’est pas à Brest, grand port que vous avez découvert ; mais pratiquement à Morgat, une très belle plage de Bretagne.
Henri Queffélec
Oui, parce qu’à Brest, je n’avais pas les pieds dans l’eau, alors qu’à Morgat, j’étais tout le temps dedans, j’étais dedans. D’ailleurs, une espèce de frousse, quand il a fallu apprendre à me baigner, mais normalement, je roulais tout seul dans l’eau. J’étais tout le temps dans l’eau, j’étais tout le temps à côté de l’eau ou dedans. Alors, cela vous fait homme de mer pour la vie entière ensuite, car j’ai lâché Morgat vers 13 ans, mais je n’ai pas lâché pour autant la presqu’île de Crozon. A Quélern, Roscanvel, Camaret, ben, j’ai retrouvé encore la fraternité avec la mer. Après, quand j’étais à Paris, puisque vous avez parlé du lycée Louis le Grand. Ben, au lycée Louis le Grand, je m’évadais sans cesse de ce côté-là. J’avais dans les oreilles le bruit de la mer, le bruit de la mer sur les galets. J’avais dans les yeux la vision aussi d’un rayon de soleil ou d’un rayon de lune sur la mer. Constamment, quand j’étais en cour de récréation par exemple, et bien, il m’arrivait pendant une demie minute de me dire : en ce moment-ci, tel rocher est sous la mer. Nous sommes à demi-marée, étant donné que j’ai vu la lune dans telle position hier dans le ciel, nous sommes à demi-marée et tel rocher est sous l’eau. Je me réjouissais de penser que dans 3 heures, il sortirait de l’eau et qu’il ruissellerait, et qu’il y aurait peut-être des petites crevettes qui grouilleraient dans les flaques, etc.
Journaliste
Vous pensiez en terme de montante, de descendante et mortes eaux ?
Henri Queffélec
Oui, tout le temps. Cela, seuls ceux qui sont nés sur la côte peuvent savoir à quel point on est habité par la mer. D’ailleurs, nous savons que c’est une réalité, nous l’avons appris maintenant, mais savons qu’en réalité, tous les êtres humains sont ainsi. Puisque le sérum physiologique des bébés, c’est de l’eau de mer, nous sommes tous faits avec de l’eau de mer. Quand nous pensons à la mer, nous pensons à notre origine.
Journaliste
Donc, à la liberté d’une certaine façon.
Henri Queffélec
Et à la liberté.
Journaliste
Mais comment conciliez-vous cet unanimisme ? Enfin, je sais que dans le livre, vous l’expliquez très simplement, mais apparemment, ce n’est pas évident, unanimisme et catholicisme très profond.
Henri Queffélec
Mais catholique, cela veut dire universel, donc ce sont 2 mots voisins.
Journaliste
Mais quand Victor Hugo a parlé un petit peu de ces choses là au siècle dernier, la hiérarchie catholique a vu venir cela d’un très sale œil.
Henri Queffélec
Ah, le panthéisme, cela c’est autre chose. Faire de tout des dieux, ah non. Mais faire de la terre, justement, la création, n’est-ce pas, et nous, nous sommes des créatures. La création autour des créatures, cela fait un ensemble.
Journaliste
Mais vous êtes plus près de Romain Rolland que de Victor Hugo.
Henri Queffélec
Ah oui, je ne vais pas déifier la nature, mais je ne suis pas théologien, mais je songe à certains textes très précis qui parlent de la création en termes presque personnels. On dit que la création souffre. Dans les textes qui ont été lus dans les églises dimanche dernier, il est question de la création qui souffre comme avant un enfantement. Il semble que les théologiens considèrent qu’il y a une vue de Dieu aussi sur la création ; que peut-être un jour, si les paysages, on ne sait pas, seront appelés une autre vie. J’effleure là un domaine, en tout cas je ne dis rien de plus.
Journaliste
Mais vous dites quand même que nous sommes là essentiellement pour un temps de passage.
Henri Queffélec
Nous, oui, les hommes.
Journaliste
Et que c’est un trait caractéristique de l’âme celte cette perception, ce sentiment.
Henri Queffélec
Ah oui, mais l’âme celte aussi sait qu’au-delà, il y a encore quelque chose. Puis, que vous parlez âme celte, vous savez aussi à quel point le mythe du Graal fait partie de l’âme celte.
Journaliste
La recherche de l’absolu, la recherche de l’inatteignable.
Henri Queffélec
Oui, la recherche de l’inatteignable. Nous sommes sur terre pour chercher indéfiniment. Le Graal, c’est aussi bien autrui, c’est l’amour des autres, c’est la vérité aussi.
Journaliste
Donc, la quête est plus importante que ce vers quoi l’on tend finalement.
Henri Queffélec
Sûrement, nous n’atteindrons jamais, mais nous aurons cherché.
Journaliste
La grandeur de l’homme, c’est de chercher.
Henri Queffélec
Je le pense, oui, et je crois que les Celtes mettent l’accent là-dessus.
Journaliste
Henri Queffélec, vous abordez donc un peu cette Bretagne sous un angle, j’allais dire mystique, c’est le mot. En face de vous, il y a des gens comme Alexis Gourvennec, grands leaders économiques qui eux insistent sur la difficulté que ce pays a à surmonter la crise économique. Alors, où est la vraie Bretagne ? Est-ce que vous n’êtes pas encore dans l’univers de Jakez Helias, l’univers de la nostalgie ? Ou est-ce que vous considérez même que cette nostalgie est salutaire car elle défend l’essentiel ?
Henri Queffélec
Je pense que la nostalgie est salutaire, et qu’il y aura toujours suffisamment d’hommes sur la terre aussi pour vaquer à d’autres problèmes. Il faut que tout cela aille de pair, tout cela fait ensemble la Bretagne. Il faut des rêveurs, comme il faut des gens moins rêveurs, car je suis persuadé que Monsieur Gourvennec, quant à lui, est aussi un rêveur ; et qu’il serait bien en peine d’expliquer pourquoi la nuit il a certaines images. Il ne sait pas très bien dans quelle mesure, lorsqu’il agit pendant le jour, il n’est pas conduit par des forces mystérieuses. Il ne sait pas dans quelle mesure il est guidé par la voix de ses ancêtres, et par le souci d’être très fidèle à un appel qui vient de beaucoup plus loin que les lois du capitalisme et du marxisme. Non, je crois vraiment que tout cela va de pair.
Journaliste
Vous refusez l’opposition.
Henri Queffélec
Je refuse l’opposition, quant à moi, oui. Je sais que je me suis fait contrer souvent, bien sûr, nous sommes là pour discuter les uns avec les autres. Mais pour ma part, je refuse de considérer que la rêverie soit une faiblesse chez l’homme.
Journaliste
Le fait d’être Breton, c’est pour vous un élan vers le mysticisme ?
Henri Queffélec
C’est pour moi un élan vers le mysticisme, c’est pour moi un élan vers des quantités de choses, vers le mysticisme mais aussi vers le monde entier. Quand je dis bien que je ne suis pas un économiste, attention, je ne suis pas en tout cas quelqu’un qui se désintéresse du sort de l’humanité. Je ne suis pas dans une tour d’ivoire, dans une tour de rêverie, car je vois aussi. Le Breton est un homme qui a des yeux et qui observe. Le monde extérieur qu’il voit, lui livre en même temps des paysages des hommes, et des hommes qui luttent, qui souffrent. Il s’intéresse à ces luttes et à ces souffrances. Si je refuse moi de me laisser happer par une politique trop accapareuse ou par des soucis économiques trop nets, en tout cas, moi je m’intéresse à tout ce que font les hommes ; non seulement les hommes de Bretagne ou les hommes de France, mais les hommes de partout dans le monde.
Journaliste
Vous avez l’impression que plus un homme plonge dans ses racines, plus il est proche des autres ?
Henri Queffélec
Cela, je le crois, et je ne fais que répéter là ce qui a été dit très souvent, ce qui est dit constamment, et beaucoup d’écrivains étrangers le disent. Senghor et beaucoup d’écrivains le disent, plus d’une certaine façon on est particulier, plus en même temps on se rapproche de l’universel. Encore une fois nous rejoignons les pages de Renan que vous avez citées tout à l’heure. Ce ne sont pas des hommes anonymes qui constituent l’humanité, ce sont une série d’hommes profondément individuels.
Journaliste
Vous-mêmes, vous avez l’impression aujourd’hui que cet élan mystique peut encore porter pas mal de Bretons ?
Henri Queffélec
Je l’espère, j’en suis même, si vous voulez, à peu près sûr. Alors bien sûr, je parle en mon nom, et c’est toujours délicat d’essayer d’exprimer l’âme des autres. Mais il me semble que lorsque je regarde l’élan littéraire breton, par exemple, qui est tout de même un signe révélateur, ou l’élan artistique breton, la musique, la peinture. Je regarde même aussi un certain élan politique breton. Il me semble que je vois constamment que le breton demeure rattaché à ses grandes forces mystiques, qu’il sait très bien qu’en effet, il doit essayer d’aller vers l’avenir. Mais il sait bien en même temps que cet avenir-là, il ne peut pas le détacher du passé. Vous voyez par exemple maintenant, comme on se met à défendre les anciens paysages, comme on attaque le remembrement. Vous voyez même pour la mer, comme on dit qu’il va peut-être falloir revenir à certains types de pêches artisanales.
Journaliste
Donc, notre avenir et votre avenir en tant que Breton, c’est de ne pas trahir votre passé.
Henri Queffélec
Oui, en tout cas moi, il me semble que c’est le rôle qui m’a été dévolu dans une espèce de plan divin ; que mon rôle très modeste en tout cas à moi, d’essayer de dire ce que je crois, ce que je sens, ce que mes aïeux m’ont livré.