Glenmor

04 octobre 1977
21m 13s
Réf. 00858

Notice

Résumé :

Jacques Paugam interviewe le chanteur Glenmor : ses débuts après ses études, son attachement à la Bretagne, son désir de recréer le bardisme, sa région, le Poher, la danse et la musique, Théodore Botrel, les fêtes, les accusation de collaboration portées après guerre contre les régionalistes, la langue bretonne et l'ouverture d'écoles diwan. Son opinion sur le droit à la différence et sur la violence de la revendication régionaliste.

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Date de diffusion :
04 octobre 1977
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Personnalité(s) :

Éclairage

Glenmor est l'une des figures emblématiques de la Bretagne musicale depuis ces dernières décennies. Né en 1931 dans le pays de Carhaix, élévé en langue bretonne puis diplômé d'une licence de philosophie en 1952, il voyage beaucoup dans l'Est de l'Europe, vit à Paris et se consacre à la chanson, avant de revenir en Bretagne. Il compose poèmes et chansons en langue française et en langue bretonne depuis le début des années 60. Le barde originaire de Maël-Carhaix, chantre de la contestation dans le domaine musical, reste aujourd'hui le symbole de nombreux combats menés en Bretagne : celui du breton comme langue à part entière, mais également celui de l'écologie lorsqu'il chante Ils se meurent nos oiseaux suite à la marée noir du Torrey Canyon (1967). Il a également ouvert le chemin à de jeunes artistes promoteurs de la culture bretonne.

Cette émission consacrée à Glenmor, datée de 1977, est à remettre dans son contexte historique. Elle s'inscrit dans la vague régionaliste et écologiste de l'époque, marquée par le refus d'un univers centralisé et uniformisé où l'homme n'a plus de racines. Au cours de l'émission, Glenmor exprime son refus de perdre son identité et revendique haut et fort le droit à la parole, prônant même l'utilisation de la violence pour que l'on entende ses revendications. (« Si on ne me laisse pas d'autres chance, je serai pour la violence »). Cette tentation est devenu parfois acte, ainsi au cours des années 1970, une vague d'attentats visant les symboles de la France colonisatrice (la centrale de Brennilis en 1975, l'émetteur de Roc-Trémudon en 1974) sont perpétrés par l'Armée Révolutionnaire Bretonne, émanation nationaliste bretonne du mouvement FLB (Le Front de Libération de la Bretagne) alors très à gauche. C'est dans ce contexte que Glenmor, créateur de la chanson officielle de l'ARB (Armée Révolutionnaire Bretonne), le kan bale an ARB (chant de marche de l'ARB), a donné à la Mutualité, en 1972, un grand concert de soutien aux militants bretons prenant alors l'envergure de « l'homme qui a réveillé les consciences bretonnes » (Revue Bretons, n° 66).

Glenmor est décédé en 1996. L'association « Glenmor, an Distro » assure la continuité de son œuvre.

Raphaël Chotard – CERHIO – UHB Rennes 2

Raphaël Chotard

Transcription

Journaliste
A un moment où la vague écologiste et régionaliste entraîne dans son sillage, outre les convaincus, les forts, pas mal de naïfs et quelques opportunistes. Vous, Glenmor, chantre de la Bretagne depuis plus de vingt ans maintenant, vous faites figure de roc et de sage. En 52, lorsque vous avez passé votre licence de philo, vous vous sentiez déjà prêt à devenir au fond le poète breton ?
Glenmor
Oh vous savez je crois qu’on peut dire qu’un homme rêve, dans son enfance, qu’il sera plus tard, et dans la mesure où un homme peut réaliser son rêve de son enfance ; je crois qu’il dit que sa vie d’homme est réussie, je crois que tout part de là. Tout enfant né dans le plein centre de la Bretagne, un pays bretonnant par excellence, où le français n’était même pas employé dans la conversation courante de tous les jours. Parce que quand je suis parti en classe, je ne savais même pas un mot de français. J’ai vécu dans une ambiance, où tout le monde chantait les événements de chaque jour, souvent d’ailleurs, en dansant en même temps. Alors, j’ai vécu dans cette ambiance de création perpétuelle et populaire. Alors, il va de soi que j’ai pensé, tout enfant, à faire mieux que tout ce que j’entendais, et j’ai rêvé un peu de chanter un peu tout ce qui se passait en Bretagne tout enfant. Par la suite, moi j’ai fini mes études, et je me suis trouvé tout d’un coup en face d’une vie à faire, alors qu’est-ce que je vais faire ? Je pouvais enseigner, mais l’enseignement ne me plaisait pas du tout. Le journalisme m’avait beaucoup tenté, puis je me suis dit, pourquoi pas créer le bardisme tel qu’il était autrefois ; c’est-à-dire un moyen d’expression populaire en se servant des données que nous donne le peuple et de chanter tout haut ce que les Bretons pensaient tout bas. Et j’ai commencé ainsi le combat par la chanson.
Journaliste
Vous aviez fait aussi un peu le tour des ports méditerranéens.
Glenmor
Oui, j’ai beaucoup voyagé. Mais bon, vous savez, ça c’est une idée, lorsque j’avais terminé ma licence, d’abord je ne tenais pas du tout à enseigner. Je suis parti comme vagabond, j’avais du tempérament plus ou moins, et j’ai fait un sacré tour par la Grèce, la Yougoslavie et tout ça. J’ai même été en Russie à l’époque, où on m’a renvoyé d’ailleurs proprement à la frontière au bout de trois semaines. Mais tout ça, je vous garantis que j’en garde relativement un mauvais souvenir. Non, pas que n’ayant pas de sous, j’étais obligé de travailler, et n'est-ce pas on ne trouvait pas toujours le travail nécessaire pour survivre. En fin de compte, de mon voyage, je garde que le souvenir des bords de route et de beaucoup de misères. Si jamais, j’avais un conseil à donner à des jeunes qui voudraient faire autant, je dirais, gagnez un peu d’argent avant de partir et partez en stop si vous voulez. Mais arrivé sur place, profitez du pays, parce que moi je n’ai profité que des bistrots où je devais travailler.
Journaliste
Il y a beaucoup de gens qui parlent de régionalisme, qui mettent en exergue le provincialisme, et qui en fait le font de Paris ou des grandes cités. Vous, vous êtes né à Vouillen et vous vivez à Mellionnec ? C’est-à-dire vous avez vos racines et vous y tenez.
Glenmor
Oh parce que vous savez, moi je pars du principe qu’un homme n’a qu’une vie, n'est-ce pas, il naît et il meurt. Quand vous savez que 80 % des hommes meurent là où ils sont nés ; ils n’ont qu’une vie qui va de l’aube de son enfance jusqu’à la fin, jusqu’au crépuscule, dans le même endroit, dans les mêmes lieux. Ils doivent donc y faire leur bonheur. Je comprends ça, d’autant plus que je ne suis heureux que chez moi. Je me trouve très bien parmi mes paysans, je me trouve très mal à l’aise quand je suis à Paris ou dans une ville. Quand j’arrive dans une ville où je ne connais personne, je suis un peu écrasé. Ca nous arrive en tournée bien sûr, et on a ces moments de découragement quand on arrive, mais qu’est-ce que je vais pouvoir dire ici. Tandis que quand j’arrive chez moi, je me sens intégré dans mon milieu, je suis bien, je ne suis que bien et je ne suis bien que là. C’est pour ça qu’aujourd’hui, à 46 ans, je n’ai plus beaucoup envie de voyager. Je crois que les plus beaux voyages se font de chez moi, de la chaumière, de chez un voisin à un autre, et ça c'est les meilleurs moments de ma vie.
Journaliste
Mais quand vous êtes à Paris, dans le quartier de Montparnasse, il n’y a pas un peu cette ambiance de… ?
Glenmor
Si, il y a cette bretonitude qui se trimbale dans les bistrots de Paris, ça je peux en parler. Ils se font bretons lorsqu’ils ont un coup de rouge dans le nez. Ca, je peux dire que ce n’est pas du tout le breton qui m’intéresse, vous savez. Hier soir, je discutais encore avec un jeune qui me disait, moi je suis mal à l’aise, c’est un bretonnant type militant qui se prétend militant breton et qui n’est à l’aise qu’à Paris. Il ne ferait jamais un effort de venir en Bretagne et de donner un peu ses connaissances à la Bretagne, ils ne sont bien qu’à Paris. Ben, ceux-là, bon, ils sont intégrés dans l’immigration, qu’ils y restent. Nous, ça nous dérange pas, la Bretagne a autre chose à faire.
Journaliste
Vous disiez tout à l’heure que vous veniez donc du cœur de la Bretagne, de la Bretagne bretonnante, ça n’est pas le Léon votre Bretagne ? C’est même l’anti-Léon.
Glenmor
Ca c’est une des recherches magnifiques de la Bretagne, n’est-ce pas. Cette espèce de mosaïque, de cultures différentes à travers la Bretagne. Vous savez, je ne suis pas un roi, je ne suis même pas [corloyan], je suis du [poère], comme dans le Léon où vous avez les pagan et le Léonard. Vous avez les bigoudens dans la Cornouaille. Cette différenciation de cultures, d’ambiances, etc. , on crée en Bretagne cette espèce de mosaïque de danses, de fêtes très différentes. Je crois que cette différence qu’il y a entre les différents peuples, c’est le même peuple bien sûr. Mais cette différence entre ces tendances culturelles est l’une des grandes richesses de la culture bretonne. Il faudra jamais les faire disparaître, il faut se tenir comme les vieux s’y tenaient. Je trouve que c’est une source de richesses, parce que comme dit Xavier Grall, on ne s’enrichit qu’à partir de nos différences. Si on se rassemblait tous, on s’emmerderait comme de le dire.
Journaliste
Mais entre moi, le Léonard et vous, quelles sont les différences essentielles sur le plan de la culture ?
Glenmor
Le Léonard, c’est une question de tempérament, le Léonard est un homme beaucoup plus posé. Vous savez que les [poèrois] sont considérés comme les Marseillais de Bretagne, ce sont des menteurs. Ils ont un humour un peu acariâtre, le Léonard est un homme beaucoup plus posé et beaucoup plus réfléchi. On le sent bien d’ailleurs à travers même leurs expressions culturelles et surtout à travers leurs expressions économiques. Le léonard est le seul capable de s’organiser réellement pour une revendication. Nous l’avons vu en tant que paysannerie, n’est-ce pas ?
Journaliste
Oui, Guilvinec.
Glenmor
Oui, exactement. Tandis que [poèrois] lui c’est l’indiscipliné par excellence. C’est le monsieur qui a eu une idée un jour qui le lendemain n’y tient plus tellement, ou bien s’il le tient, c’est pour en relire.
Journaliste
Mais vous êtes les poètes de la Bretagne ?
Glenmor
Nous sommes certainement un peu les farfelus des montagnes, oui. D’ailleurs, nos danses le situent très bien, les gavottes de montagne, cette danse très rapide qui se différencie d’ailleurs d’un patelin à un autre. Parce que chaque paroisse a sa façon de danser, et on reconnaît d’ailleurs les gens. Vous savez, cette différenciation, c’est quoi ? C’est se nommer quand on se présente. Vous savez, aujourd’hui l’homme a tendance à n’être plus nommé du tout. On ne nomme plus un homme, il n’est pas tellement différencié, en ville, d’un autre homme. Tandis qu’un Breton qui voit un monsieur danser dans une Fest-Noz de nuit, il va dire, celui-là, il est de Locarn, celui-là il est de [Kergus-Moëllo]. En se présentant sans donner son nom, il se nomme. Moi, je crois qu’une société où chacun se nomme en arrivant est une société d’hommes normaux et conscients. Mais une société, où les hommes presque indifférents où tout le monde devient après un modèle standard, n’est pas une société d’hommes. Il suffit de voir ce que deviennent les hommes dans les HLM et les grands centres.
Journaliste
Chez vous, l'on danse beaucoup, mais cette Bretagne là n’est pas non plus celle de Botrel.
Glenmor
Ah, voilà oui, mais Botrel vous savez, il n’avait rien du breton. Il a parlé de la matière bretonne en vivant dans les cabarets parisiens. Il n’a jamais prétendu d’ailleurs, je pense, défendre la Bretagne en tant que culturelle. C’est un peu le bretonisme, il a fait de belles chansons, au demeurant il faut quand même pas, il y a de très jolies chansons.
Journaliste
Oui, "Le mouchoir de Cholet" et tout ça, c’est assez….
Glenmor
Oui, mais enfin, qu’est-ce que ça a avoir avec la Bretagne ? Ca n’a rien avoir avec la Bretagne.
Journaliste
Mais pourtant pour un Parisien, la Bretagne c’est Botrel.
Glenmor
Ah hélas, ça a été comme ça pendant très longtemps, ça l’est plus, Dieu merci, enfin j’espère. Mais c’est vrai que lorsque je suis arrivé pour la première fois chanter à Belgique par exemple, quand je chantais dans les maisons de jeunes, du moins dans les collèges ; parce que les maisons de jeunes n’existaient pas à l’époque encore, enfin pas comme ils existent maintenant. On me parlait toujours de Botrel comme le barde Breton. J’étais effrayé, parce que pour nous, il n’a jamais été barde Breton. D’ailleurs lui-même, il ne s’est jamais approprié le titre. On lui a donné, les journalistes le lui ont donné.
Journaliste
Oui, c’était un Breton de Paris lui.
Glenmor
C’était un Breton de Paris qui vivait, n'est-ce pas, qui exploitait la matière bretonne pour chanter dans les cabarets parisiens, ce qu’il a d’ailleurs bien fait dans son genre ; mais qui n’a rien à voir avec la Bretagne, rien à voir.
Journaliste
Mais vous avez l’impression que le folklore breton, tel qu’on le voit d’ici, c’est finalement un produit d’exportation ?
Glenmor
Oui, attendez, parce qu'il y a folklore, y'a folklore et folklore, donc vous savez….
Journaliste
Non mais je veux dire les danses de Cornouaille, vous voyez ce genre de choses quoi, les binious, les coiffes.
Glenmor
Vous savez, la danse, comme toute activité populaire appartenait à l’esprit de fête. Et la fête naissait avec le travail. Le travail seul était production de fête, c’est-à-dire à l’intérieur d’un travail. Plus le travail devenait pénible d’ailleurs, plus l’esprit de fête grandissait parmi les masses qui étaient rassemblées dans le village pour faire le….
Journaliste
Le travail c'est une chose essentielle pour comprendre la Bretagne ?
Glenmor
Il est certain que quand je parle de culture, je parle de la culture paysanne, la seule d'ailleurs qui soit vraiment culture. Culture, parce que c’était d’abord une culture orale qui se transmettait. Alors, vous voyez dans ces fêtes là, les gens plus le travail devenait dur, plus la fatigue grandissait, plus ils se défoulaient par les jeux de fêtes. Même à l’intérieur des battages, il y avait des jeux organisés à longueur de la journée. Ne serait-ce que cette gerbe de blé dans laquelle il fallait saisir la patronne pour avoir le droit un petit coup à boire en portant le grain dans le grenier. Tout était jeu, on jouait à battre, c’était la fête. Aujourd’hui, nos fêtes bretonnes sont des festivités, c’est une grande différence où tout le monde s’emmerde d’ailleurs. Faut pas vous faire d’illusion. Le défilé de binious et tout ça, ça n’a rien de très breton, ça c’est de la représentation.
Journaliste
Oui, ce sont des majorettes déguisées.
Glenmor
Voilà, c’est ça, c’est tout. Pour moi, bon, ça c’est très bien, que ça dure, le touriste en est content, ça fait marcher les Nikon et tous les appareils de photos et caméras. Ca fait gagner beaucoup d’argent aux marchands de pellicules, mais pour nous Bretons, ça ne nous apporte rien. Sinon qu’à l’intérieur de ces fêtes se passent quand même des rassemblements de jeunes qui peuvent se côtoyer le même jour, et parler, il y a des échanges d’idées. Et encore de moins en moins, vous savez maintenant, c’est devenu tellement... constipé.
Journaliste
Est-ce que vous êtes d’accord avec Renan lorsqu’il définissait ainsi l’âme bretonne. "Le trait caractéristique de l’âme bretonne à tous ses degrés est l’idéalisme, la poursuite d’une fin morale ou intellectuelle souvent erronée mais toujours désintéressée". On obtient tout d’elle par le sentiment de l’honneur.
Glenmor
Oui, c’est une façon un peu simpliste d’expliquer. Vous savez, les Bretons ne marchent pas toujours avec le sentiment de l’honneur, ils sont hommes comme les autres.
Journaliste
On les a quand même fait marcher...
Glenmor
Il est certain que c’est un peuple qui n’a pas la logique cartésienne. Il est certain que Descartes pour nous, ça ne va pas du tout. Le Breton sent d’abord, et réfléchit ensuite. Je crois d’ailleurs que c’est la seule science directe. L’intuition chez nous est une connaissance directe et une appréhension directe des choses, le raisonnement ne nous sert qu’après. Et je trouve que c’est pas mal ainsi. Vous savez, ceux qui raisonnent beaucoup n’agissent jamais.
Journaliste
Qu’est-ce qu’il y a comme points communs entre vous, Hervé Bazin, Alain René, Alexis Gourvennec, René Pleven, Alain Robbe-Grillet ?
Glenmor
Ben, disons que nous sommes peut-être de même culture d’origine, mais il est certain que chacun choisit après son mode d’expression. Je ne vois pas ce qu’il y a de commun entre nous, sinon que nous sommes nés dans le même pays, mais au point de vue combat, c’est au point de vue combat, ce qu’on veut faire dans la vie.
Journaliste
Et au point de vue image de la Bretagne, au point de vue sensibilité ?
Glenmor
A vrai dire, j’ignore un peu ce qu’ils en ont comme image, eux. Alors, je ne peux pas me comparer à eux. Je connais bien Alexis Gourvennec par exemple, je suis persuadé que c’est un monsieur qui a voulu – à travers tout ce qu’il a fait – servir un pays économiquement. Il l'a très bien fait d’ailleurs la plupart du temps, pas toujours peut-être comme il aurait fallu, mais il l'a fait. Quant à Bazin ma foi, j’aime beaucoup ce qu’il écrit, mais ça n’a plus rien de Breton.
Journaliste
Mais est-ce que ce qui s’est passé pendant la guerre en Bretagne n’a pas porté un coup assez dur à l’âme bretonne et à la défense de cette âme bretonne ?
Glenmor
Ce n’est pas ce qui s’est passé pendant la guerre, c’est ce qu’on en a dit après la guerre qui a été terrible. Quand on sait, puisqu’il faut aborder le problème qu’on a accusé le mouvement breton d’avoir été un parti de collaborateurs. Et lorsqu’on sait que seuls 80 individus ont vraiment prôné et été sous l’uniforme allemand, alors que le mouvement breton comptait peut-être 8 000 adhérents qui étaient anti-allemands, n'est-ce pas. Alors après la guerre, on a fait de tous ceux qui avaient collaboré des Breiz Atao, on les appelait les Breiz Atao. Mais là-dedans, il y avait la milice Doriot, Darlan et les milices Pétain qui ont été confondues. En fin de compte, c’était les Bretons qui servaient la France et Pétain et non pas la Bretagne. Le mouvement breton a gardé son nez très propre. Aujourd’hui, et Dieu merci, les documents comme les livres commencent à apparaître et on commence à savoir la vérité. Mais l’épuration a été terrible, n'est-ce pas, on a vu des gens se faire maltraiter et même tuer, parce qu’ils parlaient breton. Il y en a même qui ont été en prison, parce qu’ils parlaient breton à leur chien. Alors, ces gens-là n’étaient pas des collaborateurs. On peut aimer sa langue bretonne ou la culture bretonne sans vouloir que l’Allemagne... D’ailleurs, le principe des Delaporte et autres, c’était mettons les Allemands d'abord dehors, après on s’expliquera avec les Français.
Journaliste
Mais est-ce que les résultats de cela n’a pas été que pour beaucoup de Bretons après la guerre, ils ont eu honte et d’être Bretons, et surtout de parler breton ?
Glenmor
Mais c’est exactement ce qui s’est passé, puisque lorsque j’ai commencé à chanter, ce sont les Bretons eux-mêmes qui me cassaient la gueule. Il faut je vous jure plus parler de ces choses là. Lorsque je suis sorti de mon premier [Gola] le 6 octobre 58, au 44 rue de Rennes ici, les Bretons m’ont attendu dehors pour me casser la figure. Les mêmes qui, aujourd’hui d’ailleurs, viennent m’écouter encore, mais à l’époque, ils disaient, il fallait plus dire ces choses-là, il fallait plus parler de ça, il fallait oublier. C’est-à-dire que nous avons vingt ans de trou, vingt ans de noirceur de mouvement breton, de nos revendications légitimes. Mais aujourd’hui, je crois que grâce aux jeunes d’aujourd’hui, qu’eux n’ont pas connu cette époque de troubles, et qu’ils s’en foutent littéralement. On peut [pronéiser] des Bretonnes, et non seulement ça, mais eux, ils s’en foutent de ce qui s’est passé et ils aiment la Bretagne pour elle-même. Mais on ne peut pas leur reprocher.
Journaliste
Et eux, ces jeunes s’intéressent beaucoup à la langue bretonne, mais est-ce que ça vous paraît être un mouvement de fond ? Est-ce que ça n’est pas quelque chose d’un peu artificiel ce renouveau ?
Glenmor
Il faut intégrer cette revendication régionale dans le sens vrai, dans son contexte réel. Qu’est-ce que c’est que la revendication d’identité ? C’est une réaction à l’organisation sociale d’aujourd’hui. En fin de compte, la société a tendance aujourd’hui à uniformiser, à numéroter, à non plus faire des hommes des personnes mais des individus sujets. La réaction des jeunes, c’est qu’ils ne veulent pas être un numéro, ils veulent être eux-mêmes. Etre eux-mêmes, c’est chercher ses racines. Le retour à la revendication ethnique, c’est-à-dire à la demande, le droit à la différence ; comme on l’appelle même dans les partis politiques, dans les états-majors des partis politiques d’aujourd’hui. Le droit à la différence est une revendication contre l’ambiance d’une société moderne qui a tendance à castrer l’homme pour en faire un numéro sans bavure. Le gouvernement centraliste français aurait tant aimé avoir réussi à faire d’un Occitan un Breton et un Breton un Occitan ; c’est-à-dire, avoir des citoyens qui ne soient plus du tout différenciés. C’était son but, supprimer la différence pour ne faire que des citoyens ; qu’on pourrait d’ailleurs - au gré des économies et des besoins sociaux mais des besoins économiques surtout - déplacer d’un bout à l’autre de l’hexagone sans qu’il y ait protestation. C’est-à-dire que l’individu, n’ayant plus de racine ne pouvait plus être déraciné. Or, la revendication de la jeunesse depuis 66 - 67, on a dit que le mois de mai avait été à l’origine, et moi j’ai vu, ça se dessinait dans les salles parmi les jeunes que je voyais bien avant 67. Lorsque je faisais les premières mutualités en 65 - 66, la salle était aussi pleine et la mode bretonne n’était pas encore là. Il y avait déjà cette revendication sous-jacente parmi les jeunes qui ont fait mai 68.
Journaliste
Mais les vieux, eux ne parlent plus ou pratiquement plus breton. Est-ce qu’il n’y a pas une rupture là ?
Glenmor
Le problème de la langue bretonne, c’est le problème le plus grave que nous avons à résoudre aujourd’hui. En effet, la langue bretonne qui n’a jamais été autant écrite, ni autant apprise, soit au niveau des écoles, soit au niveau des universités, etc, soit au niveau d'ailleurs des bénévolats ; puisque pratiquement, les 3/4 des cours de breton sont donnés par des bénévoles. Le gouvernement français ne payant pas le professeur en breton ni occitan d’ailleurs. Eh ben, nous constatons une chose, c’est que le Breton se sépare de ses racines, parce que nos campagnes se meurent. La densité de la population à l’intérieur des campagnes, celle qui était bretonnante de tradition, qui était la racine même de la langue bretonne est en train de s’éclaircir à une vitesse folle. Aujourd’hui, les garçons qui ont 20 ans n’ont pas été élevés en breton en Bretagne. Une génération vient de se passer, c’est le grand trou, comme bien des gens que je connais, n’est-ce pas, et qui pour autant sont de tempérament très breton ; mais dont les parents n’ont pas éprouvé le besoin de leur apprendre le breton. Eh ben, il faut que les gens aient plus de 25 ans aujourd’hui pour avoir appris le breton en étant petit comme langue. Donc la Bretagne est en train de se supprimer... la langue bretonne est en train de quitter ses racines. Elle s’intellectualise de plus en plus, mais elle perd ses racines, et le grand drame est là. Et c’est pour ça d’ailleurs que nous avons commencé à créer, des jeunes ont commencé à créer ces écoles maternelles de langue bretonne. L’association Diwan qui est née a commencé à créer les premières écoles maternelles de langue bretonne à Ploudalmézeau. Elles marchent depuis un an, il y a une autre qui vient de s’ouvrir à côté de Quimper. Et nous allons essayer d’ouvrir très rapidement dans toute la Bretagne pour justement permettre aux enfants de parler breton dès qu’ils sont petits. Et chose curieuse, quand les gosses de deux ans se mettent à parler breton dans la rue, les vieux se remettent à leur parler breton, ils en sont très fiers.
Journaliste
C’est une langue d’images, pleine de symboles.
Glenmor
Ah c’est une langue concrète, n’est-ce pas. La langue bretonne est une langue, c’est une culture paysanne. Donc, c’est une langue qui est en direct sur le réel, elle ne fait pas d’abstraction. L’abstraction chez nous est faite par images, ce qui donne d’ailleurs un côté très poétique à la langue. C’est une langue très belle, la langue bretonne, c’est une très belle langue. Bien sûr, nous... nous procédons par imagerie dans l’abstraction, et c’est quelque chose d’extraordinaire.
Journaliste
Vous pouvez nous donner un exemple là ?
Glenmor
Ah, je peux citer par exemple un proverbe que je cite assez souvent, parce que je le trouve [inaudible]. Je traduis littéralement, par dessus la crinière de la jument, on attrape la pouliche. Ca veut dire, si tu veux avoir la fille, fait la cour à la belle-mère. Voilà un exemple type d’expression bretonne. Les Bretons de la campagne, quand ils s’expriment entre eux, j’ai toujours dit, n’est-ce pas, que je n’ai jamais écrit un seul poème ; je n’ai qu’à écouter les paysans parler entre eux et traduire presque littéralement ce qu’ils disent. Vous trouvez l’imagerie qui est projetée dans la langue française, et qui donne ce côté un peu désuet, peut-être moyenâgeuse à la langue française que j’aime beaucoup.
Journaliste
Glenmor après la guerre, l’épouvantail a donc été, la soi-disante attitude des mouvements autonomistes pendant la guerre. Aujourd’hui, il y a un autre épouvantail, c’est celui de la violence dans la revendication régionaliste. Alors, est-ce que cet épouvantail correspond à une réalité ? Il y a quand même des plasticages, il y a des... on n’en est pas encore là maintenant.
Glenmor
Bon alors on va quand même... il faut quand même situer. Qui est violent ? Celui dont le pied est écrasé depuis une demi-heure par un gros individu très fort, qui ne réagit pas et qui fout son coup de poing dans la gueule ; parce qu’on lui écrase le pied. Ce n’est pas lui qui est violent, il ne fait que se défendre. Celui qui est violent, c’est celui qui écrase le pied. Qu’est-ce que c’est que ces plasticages ? Ce n’est pas des violents généralement, on a remarqué d’ailleurs que ces [inaudible] sont des militants tout à fait et qui sont en ce moment très anti-violent, mais pourquoi ? C’est une solution de désespoir. Nous avons cherché, tout le mouvement breton a été braqué sur le dialogue. Nous avons fait des pétitions, les élus bretons ont créé la loi-programme pour la Bretagne. Nous revendiquons pour notre langue, on nous promet une charte culturelle. Nous avons toujours été les partis non violents, nous avons toujours revendiqué légalement et rien ne vient. Il y a un découragement certain dans l’esprit des jeunes surtout qui finit par naître. Alors, comme la seule chose dont on peut parler, dont les journaux vont parler, si cette revendication c’est la bombe, ben, les jeunes arrivent. Il faut qu’on en ait l’acte, mais il faut comprendre.
Journaliste
Mais vous, vous le condamnez, l’acte ? Et vous, vous avez choisi d’autres armes.
Glenmor
Si on ne me laisse pas d’autres chances, je serai pour la violence.
Journaliste
Vraiment ?
Glenmor
Vraiment, pourquoi ? Je n’ai pas le droit de laisser mourir tout ce qui m’appartient et tout ce qui fait que je suis moi. On n’a pas le droit de me démolir, on n’a pas le droit que mes gosses ne parlent pas breton. Personne ! Au nom de quelle démocratie nous impose-t-on ? Une culture qui n’est pas la nôtre au détriment de la nôtre. Eh bien pour ça, si on ne nous laisse pas d’autre chance, je suis pour la violence. Mais je préférerais, bien sûr comme tout un Breton qui n’est jamais violent de nature, pouvoir résoudre le problème par des dialogues et par aussi des concessions mutuelles sans doute. Pas des concessions, parce que nous n’allons pas en faire, nous demandons notre juste revendication. Qu’on nous donne le droit d’être nous-mêmes et il n’y aura plus de violents en Bretagne.
Journaliste
Aujourd’hui, vous avez 46 ans ou 48 ans ?
Glenmor
46 ans, oui.
Journaliste
Vous êtes le semeur au fond de tout cela ?
Glenmor
Ah je ne suis pas le seul bien sûr, mais j’ai peut-être ma petite part, et Dieu merci, je ne sais pas si elle est grande, l’histoire le dira. Mais il est évident que j’étais très longtemps tout seul sur scène, et aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Dieu merci, il y a d’autres qui sont venus me rejoindre, et c’est merveilleux.
Journaliste
Vous savez, moi je vous ai connu quand j’étais tout gosse. Vous n’avez donc que 46 ans, pourtant, j’ai l’impression que sur vos épaules, ce sont des siècles d’histoires qui reposent.
Glenmor
Oui, il y a des jours où c’est un peu lourd, vous savez, parce que quand j’ai commencé lorsqu’il n’y avait que 3 ou 4 personnes par soirée, on était quand même mal vu. Dans tous les cabarets, lorsqu’on était obligé d’aller chercher nos salles dans les bistrots, parce qu’on ne nous donnait pas d’autre salle. Quand j’ai commencé à chanter dans la salle, les flics passaient devant pour dire aux gens, ne louez pas votre salle à ce gars-là, sans ça on vous fera des ennuis et on vous fera des balles. Alors, j’ai tout connu, c’est vrai qu’à l’époque, on était un peu seul. Mais aujourd’hui, je dois avouer que je suis largement récompensé. Alors si quelque chose pèse sur mes épaules, c’est beaucoup de joie en tout cas.