Maurice Pottecher ou le théâtre populaire engagé depuis 1895
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Résumé
Maurice Pottecher, poète vosgien, reflète les mutations artistiques de son temps. Après un séjour parisien décevant, il crée en 1895 le Théâtre du Peuple à Bussang. Son projet utopique et visionnaire veut régénérer le théâtre par le peuple et pour le peuple dans un site naturel unique. Il favorise la mixité sociale dans le public et sur scène où amateurs et professionnels se côtoient.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
05 août 1977
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Contexte historique
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Ce reportage sur Maurice Pottecher (1867-1960) honore le fondateur d’un théâtre révolutionnaire conçu par le peuple et pour le peuple. Pourtant, rien ne prédestinait ce jeune poète idéaliste issu d’un milieu d’industriels vosgiens de Bussang à cette entreprise exceptionnelle qui germa pendant ses études de théâtre à Paris.
Plongé dans l’effervescence artistique et intellectuelle du Paris de la Belle Epoque et de sa bourgeoisie passionnée de culture, il devint critique littéraire de La Petite République et fréquenta des intellectuels comme Alphonse Daudet, Romain Rolland, Verlaine et son ami Paul Claudel. Ses pièces jouées à L’Odéon ne trouvèrent pas leur public. Il y rencontra néanmoins sa compagne, Georgette Camée, égérie du théâtre symboliste. Pottecher fut vite rebuté par la frivolité du théâtre de divertissement, l’élitisme du théâtre d’avant-garde et les mondanités. Il rêvait d’un art ouvert à tous, y compris les plus pauvres, victimes de l’alcoolisme et de la violence qu’il dénonça dans Le Diable marchand de goutte en 1895. Dans L’Idée Libre, revue fondée avec des amis, il condamna ce monde fracturé. Le théâtre était gangréné par la décadence affectant la société. Il fallait, comme le pensait Romain Rolland en 1903, le rénover pour s’adresser au plus grand nombre en quittant Paris. Décrié comme utopiste par la critique, il fut aussi perçu comme un résistant à la confiscation de la culture par la bourgeoisie.
Après une première réussie en 1892, Pottecher fonda le Théâtre du Peuple de Bussang dans son village natal en 1895. Il y était auteur, metteur en scène et acteur d’un théâtre « par l’art, pour l’humanité ». Les spectacles pottecheriens, en vers ou en prose, s’appuyaient sur ses propres pièces. Le théâtre se renouvelait par le public mais aussi par la nature. Son répertoire, parfois en patois vosgien, se voulait proche de la ruralité et des traditions villageoises.
L’art devait donner accès à la connaissance sans se limiter à un genre ou à un style déterminé. Il s’appuya sur la simplicité et la compréhension des enjeux dramatiques : il fallait plaire et instruire. Il s’inscrivait ainsi dans la veine des réformes éducatives de la IIIe République pour unifier la nation autour des valeurs de 1789. Il créa des horaires et tarifs plus accessibles et voulut que la scène reflète la diversité : des amis artistes, parisiens ou vosgiens, sa famille, des habitants de Bussang étaient acteurs amateurs. Georgette Camée, Tante Camm, tint les principaux rôles et forma des générations de comédiens. Les acteurs professionnels n'étaient pas rémunérés et vivaient en communauté durant les mois de représentation. Le nom Théâtre du Peuple se référait au théâtre créé par le Comité de Salut Public en 1794 pour éduquer les citoyens. Il s’inspirait aussi de Jules Michelet qui appela à la création d’un théâtre de fraternité nationale en 1848. Ses représentations exaltaient l’âme nationale. Pottecher visait à recréer une communauté en démocratisant le théâtre. Sa conception unanimiste se rapprochait de Jean Vilar, directeur du Théâtre National Populaire (années 1950).
Le Théâtre du Peuple, par son ouverture au plus grand nombre, préfigure ainsi les politiques culturelles publiques. Il favorise la réflexion sur cet art au croisement du théâtre populaire et du théâtre d’art. Sa grande exigence artistique en fit un modèle pour la décentralisation dramatique après 1945, base du théâtre de service public. Le décès de Pottecher en 1960 n’interrompit pas son œuvre. Pierre Richard-Willm reprit la direction artistique en 1946. Comédien amateur à Bussang puis professionnel reconnu pour ses rôles au cinéma dans les années 1930, il était l’héritier spirituel de Pottecher et préserva l’esprit des origines. Les pièces de Pottecher furent jouées jusque dans les années 1970 puis relayées par d’autres auteurs par souci de renouveau. La distribution comprenait toujours des comédiens professionnels et de nombreux amateurs formés au Théâtre du Peuple.
Éclairage média
Par
Ce reportage de 1977 valorise le patrimoine matériel et immatériel laissé par Maurice Pottecher. Le Théâtre du Peuple, classé monument historique depuis 1976, est mondialement connu. Les images des deux portes coulissantes montrent l’originalité de ce théâtre-chalet dont la scène est ouverte sur la forêt. Les vues de la foule et des drapeaux rappellent l’époque de sa création à Bussang en 1895-96, les spectateurs étant debout dans un pré puis sur des bancs. Ce dispositif rend au théâtre son authenticité. Le monde réel et le théâtre s’entremêlent afin « d'assainir l'art au contact de la nature », comme dans le théâtre grec.
Les journalistes insistent sur la continuité des idées du fondateur. Les vues du public indiquent que ce théâtre s’adresse d’abord aux villageois, cette communauté de culture et d’identité vosgiennes. 13 pièces Pottéchériennes se passent dans L’Est de la France avec un fort accent local (traditions légendaires, mœurs vosgiennes). Pottecher honorait la Lorraine, valorisée par les chants et rondes traditionnels composés par L. Michelot. Il était aussi dans un régionaliste engagé dans des associations (Vosgiens Républicains de Paris) et des revues (Le Pays lorrain, L’Indépendance Vosgienne). Il reçut le grand prix de Littérature régionaliste en 1931, s’inscrivant ainsi dans ce courant artistique de la fin du XIXe siècle (théâtre breton de C. Le Goffic, langue d’Oc de F. Mistral). Les images de la croix de Lorraine, de la fête et de la fanfare confirment cette identité.
L’interview de son neveu, F. Pottecher, nous le présente aussi comme un visionnaire ancré dans son temps. Son théâtre populaire s’inscrit dans une démarche artistique mais aussi politique face aux divisions. Les images des spectateurs renforcent cet esprit d’unité dans la diversité sociale. Il rêvait d’un théâtre d’union nationale répondant aux fractures exacerbées notamment par l’affaire Dreyfus (1898). Il devint dreyfusard contrairement à ses amis Barrès ou Daudet. Ses valeurs humanistes universelles rejetaient l’antisémitisme. Il appelait à la réconciliation, refusant les divisions au sein de la nation. Le contexte de la IIIe République, maculé par le traumatisme du traité de Francfort (1871) et la perte de l’Alsace-Lorraine le marquèrent fortement. La frontière perçue comme une menace était un thème récurrent de ses pièces.
Son nationalisme était lié à son attachement aux Vosges comme le montre son texte La Terre natale publié par Maurice Barrès en 1910. Sa conception s’appuyait aussi sur l’héritage de Michelet qui, en 1841 dans Jeanne d’Arc, diffusait des valeurs patriotiques. Les pièces de Pottecher agissaient dans le même but éducatif. Cependant, contrairement à Barrès, son nationalisme n’appelait ni à la revanche, ni à l’anti-germanisme. Il reposait sur un optimisme humaniste et les capacités de l’Homme à vaincre les rancœurs.
Enfin, les photos de scène ou d’affiches, montrent que les pratiques artistiques du Théâtre du Peuple se sont adaptées aux mutations sociales en perpétuant l’héritage pottecherien. Après 1971 l’équipe se professionnalisa mais les amateurs demeurèrent grâce à la présence engagée de l’association du Théâtre du Peuple. Après 1973, le répertoire intégra d’autres auteurs (Shakespeare, Tchekhov) mais l’exigence artistique du théâtre d’art fut conservée. Depuis 2017, le directeur Simon Delétang y défend le théâtre de texte. Les pièces jouées mêlent grands textes, œuvres contemporaines et commandes spécifiques pour le lieu.
Des actions sont menées autour de l’éducation artistique et culturelle, notamment des classes culturelles, spectacles, ou stages. Le Théâtre du Peuple conserve l’esprit novateur des débuts : le spectateur interagit non comme consommateur mais en participant au projet. L’État est propriétaire des bâtiments et les collectivités le soutiennent mais il a su garder son authenticité. Il accueille des acteurs de toute la France et s’est affirmé comme une référence pour la formation et la pratique des amateurs.
Transcription
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(Bruit)
Journaliste
C’était la fête à Bussang samedi dernier, pour le 80ème anniversaire du théâtre du Peuple, fondé en 1895 par Maurice Pottecher.Autour des personnalités officielles et des Bussenets de vieille souche, une foule nombreuse, parfois venue de loin, se pressait joyeuse.Mais qui était donc Maurice Pottecher.Avec la passion et la fougue qu’on lui connaît, son neveu Frédéric nous répond.
Frédéric Pottecher
C’était un jeune poète, vous savez à grand chapeau, à barbe, enfin, vous voyez le genre.Et il était Parnassien, et il fréquentait chez Alphonse Daudet, avec les Goncourt et tous ces gens, et il connaissait Paul Claudel, il connaissait Maurice Barrès, ils étaient très liés les uns aux autres jusqu’à l’affaire Dreyfus au moins.Et, il fréquentait le théâtre parce qu’il aimait le théâtre.Et il a connu une jeune actrice qui s’appelait Camm, qui était pensionnaire de Lugné-Poe, qui sortait du conservatoire avec un Grand Prix, et qui jouait chez Lugné-Poe la Dame de la Mer , pour la première fois, le rôle de la Dame de la Mer en français de Ibsen.Et mon oncle s’est amouraché de cette jeune femme qui était d’ailleurs assez étrange, que nous avons tous aimé beaucoup ici, qui est enterrée ici dans ce théâtre, à côté du moins.Et ça a déterminé sa volonté de purifier le théâtre.L’idée de ces gens c’était de sortir le théâtre d’une commercialisation qui avait quelque chose de pourri un peu, vous voyez, le théâtre était réservé au bourgeois, aux gens des villes, aux gens qui avaient de l’argent.L’idée de mon oncle, c’était de revenir au théâtre populaire tel qu’on l’avait connu en Angleterre, au moment de Shakespeare et Elisabeth I, tel qu’on l’avait connu en Espagne, au XVIème siècle.Pourquoi ne pas jouer devant le peuple.Et puis Michelet avait écrit, avait émis l’idée de créer un théâtre pour le peuple, animé par le peuple, et dont le peuple soit l’action.Cette idée avait absolument enthousiasmé mon oncle, et c’est comme ça qu’il en est venu à cette idée de faire ce théâtre, que mon grand-père, le Maître, puisque c’était le père, que mon grand-père a trouvé très bonne.La première représentation a eu lieu le 1er septembre 1895.On a joué une pièce écrite par mon oncle qui s’appelle Le Diable Marchand de Goutte .Le Diable c’est évidemment celui qui répand l’alcoolisme.On a joué dans un pré, quoi, il y avait juste un tréteau qui était assez large, et puis les gens étaient assis sur des bancs posés dans les champs.Là où nous sommes, c’était un pré et on jouait là.Et puis alors, petit à petit, deux ou trois ans après, le théâtre s’est perfectionné.On a fait une vraie scène qui est assez ressemblante à celle qui existe aujourd’hui.La scène s’étant perfectionnée, mon oncle a eu cette idée de faire un fond ouvert.Le spectateur voit non seulement la scène du théâtre mais il voit la nature.
Journaliste
Oui c’est très beau d’ailleurs.
Frédéric Pottecher
Et on peut jouer dans la nature.C’est ce qu’on fait.Et dans le Château de Hans, par exemple, et bien, quand on rejoue pour la septième ou huitième fois, j’ajoute que cette pièce a été traduite en alsacien, admirablement d’ailleurs.Elle a été jouée un peu partout.Et, il y a une partie de cette pièce qui se joue dans la nature même.Alors on prolonge la nature vraie sur la scène.Vous voyez ?Alors avec des assemblages, d’éclairages électriques et d’éclairage naturel, on arrive à des effets extraordinaires.Et ça, c’est quelque chose de particulier.Je crois que c’est le seul théâtre au monde où on joue dans la vraie nature.Comme le public de Bussang est un public particulier, fait de gens du pays, de tous les milieux, fait également de personnes qui viennent des villes d’eau, parmi lesquelles se trouvent des intellectuels, se trouvent des gens du monde, etc.Sur les bancs de ce théâtre, tout le monde s’assied au côte-à-côte, vous comprenez.Il n’y a pas de ségrégation de l’argent puisque le théâtre n’est pas cher, les places les plus chères coûtent 18 francs, les moins chères coûtent cent sous.Or, vous savez, on peut y aller quand même.Et c’est bien que le public est mélangé.C’est le peuple.C’est ça le peuple.Le peuple, ça ne veut pas dire une catégorie de gens, ça veut dire tout le monde.Ça veut dire, les intellectuels, les manuels, les riches, les pauvres, les… Enfin !L’ensemble des individus qui forme une nation, c’est ça le peuple.C’était l’idée de Michelet, et c’est à partir de cette idée que mon oncle a créé son théâtre.
Journaliste
Et le théâtre vit en somme uniquement de ce que rapportent les… ?
Frédéric Pottecher
Ah uniquement oui.Nous avons de toutes petites subventions, nous sommes d’ailleurs un peu étonnés qu’on nous accorde si peu.Le département est très gentil pour nous, la commune fait tout ce qu’elle peut mais nous sommes un village, nous ne sommes pas une grande ville, vous comprenez.
Journaliste
Puis c’est saisonnier quand même non ?
Frédéric Pottecher
Puis, on ne peut pas jouer l’hiver, c’est impossible.Alors, ou on joue le dimanche après-midi, les jours de fête évidemment aussi, par exemple 15 août, mais on ne peut jouer que l’après-midi.Et on ne peut jouer que fin juillet et au mois d’août, parce qu’en septembre, il fait déjà froid.
Journaliste
Vous, Frédéric Pottecher, vous avez joué sur le théâtre ?
Frédéric Pottecher
Ah ben je pense bien.
Journaliste
Toute la famille y jouait ?
Frédéric Pottecher
Toute la famille.Ma mère était souffleur pendant 20 ans, et vous savez, ma mère était une grande dame alsacienne avec laquelle il ne fallait pas plaisanter parce que… Alors, elle n’a jamais voulu jouer mais elle était souffleur.Mon oncle a joué le rôle de Hans, mon père a joué, enfin, nous avons tous joué, toute la famille, les petits, les grands, les vieux, les jeunes.
Journaliste
Il y a encore des Pottecher qui jouent ?
Frédéric Pottecher
Ah ben bien sûr ! Nous voudrions bien que ça continue.
Journaliste
Un nom reste cher entre tous à Bussang, celui de Pierre Richard Willm, grande vedette de cinéma des années 30, animateur et directeur du théâtre du peuple.
Frédéric Pottecher
Pendant 40 ans il a participé au travail de ce théâtre, il est devenu le patron, je puis le dire, le metteur en scène, l’acteur, le décorateur et il savait tout faire.Richard est un type qui sait tout faire.Il fait des robes, il fait des costumes, il fait des décors, il les peint, il les colle, il les cloue.C’est un homme qui sait tout faire.
(Musique)
Journaliste
Non loin du tertre où dorment les fondateurs du théâtre du Peuple, la fête se poursuit.La vie continue auprès d’eux, mêlée à eux, n’est-ce pas ce qu’ils désiraient ?Longue vie donc à Maurice Pottecher et à la tante Camm, et aussi et surtout, à leur théâtre.
(Musique)
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