Sauvegarder le théâtre des Bleus de Bar-le-Duc : une association et un loto au secours du patrimoine

Le reportage a été diffusé en septembre 2018 soit quelques jours après le lancement par la Française des jeux (FDJ) d’un nouveau jeu baptisé Loto du patrimoine. Piloté par l’animateur télé Stéphane Bern, ce jeu de hasard cherche mobiliser les Français autour d’une loterie et d’un jeu de grattage, afin de financer la rénovation de monuments dans le cadre d’une opération annoncée fin 2017.

En mai 2018, le président Emmanuel Macron avait confié une mission sur le patrimoine à Stéphane Bern. Il s’agissait d’identifier les biens patrimoniaux en péril et de trouver de nouveaux financements pour les sauvegarder. Quelque 2000 monuments ont ainsi été identifiés dans toutes les régions et de toute nature : bâtiments religieux, châteaux, ouvrages d’art, patrimoine militaire, édifices industriels et agricoles, privés et publics, protégés ou non, classés ou pas. Après examen par les services du ministère de la Culture, 269 projets ont été sélectionnés sur les 2000, en fonction notamment de l’urgence de leur restauration.

En tout, 18 monuments en péril ont été qualifiés d’ « emblématiques » et à aider en priorité grâce aux recettes de ce loto. Parmi ces 18 lieux emblématiques (un par région métropolitaine et cinq pour l’outre-mer) figurait en 2018 le théâtre des Bleus de Bar-le-Duc. Ce théâtre côtoyait ainsi la maison de l’écrivain voyageur Pierre Loti à Rochefort (Charente-Maritime), l’ancien fort militaire de Fort-Cigogne dans l’archipel des Glénan (Finistère) ou encore la maison d’Aimé Césaire à Fort-de-France (Martinique).

Ce type de financement par une loterie s’inspire notamment de ce qui se pratique en Italie et surtout au Royaume-Uni. En France, par contre, il s’agit d’un loto dédié et ponctuel (un par an depuis 2018) alors qu’en Angleterre on réserve un pourcentage de toutes les loteries, donc beaucoup plus d’argent. Ce système doit permettre de mobiliser la population et de susciter de l’intérêt à la fois chez des joueurs pas forcément intéressés par le patrimoine et à l’inverse chez des passionnés du patrimoine peu enclins aux jeux de hasard. Ainsi 12 millions de tickets à 15 euros ont été mis en vente en septembre 2018 pour des recettes estimées à 15 à 20 millions, ce qui constitue un véritable succès. Cependant seulement 1,5 euros soit 10% revient au patrimoine en raison des taxes prélevées par l’Etat, des frais de gestion et de communication et des gains pour les joueurs. C’est avant tout une bonne opération en termes de communication.

Ce type de financement requiert une mobilisation de tous les acteurs, publics et privés et les associations y jouent un rôle clé. Accompagnant l’élargissement de la notion de patrimoine au-delà du patrimoine national, elles se sont multipliées au cours des années 1980 et 1990 et expriment ainsi une nouvelle sensibilité et révèlent de nouvelles préoccupations. Il y aurait eu, entre 1975 et 1984, la création de 8 100 associations de sauvegarde du patrimoine architectural et culturel, sociétés historiques et archéologiques, associations régionalistes. Ainsi l’Association pour la Sauvegarde du Théâtre des Bleus de Bar à qui le reportage donne la parole et formée en 2015 a acquis le théâtre en 2016 et a médiatisé son projet de réhabilitation en usant, entre autres, des réseaux sociaux.

Le reportage donne la parole à deux des « trois copains d’enfance » à l’origine du projet : Etienne Tagnon, secrétaire de l'Association pour la Sauvegarde du Théâtre des Bleus de Bar, et Loïc Atif qui en est le trésorier. Pour eux il s’agit avant tout de redonner vie à un théâtre créé il y a 110 ans.

Inauguré en 1902, ce théâtre à l’italienne a été construit en 1900, par la volonté d'un certain Claude-Marcel Mayeur, commerçant à Bar-le-Duc et passionné de théâtre. Endetté, le commanditaire doit laisser partir l’édifice aux enchères en 1906. C'est une œuvre catholique qui se rend alors acquéreur de l'ensemble afin de se procurer des locaux aux « Bleus de Bar » une association sportive qui donne le nom au théâtre.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est occupé par les Allemands et prend le nom de Theater Soldaten. En 1945, il devient le Théâtre des Bleus de Bar et de nombreuses troupes locales en assurent la programmation. Mais dans les années 1970, faute de moyens pour mettre le théâtre aux normes de sécurité en vigueur, le rideau se baisse définitivement. Transformé en gymnase dans les années 70 il perd ses sièges et un plancher vient couvrir l’ensemble. Abandonné en 2000, il devient un squat et connaît des dégradations importantes : les décors, les boiseries sur lesquels s’attardent la caméra ont ainsi subi les outrages du temps et des hommes.

En 2016 l’association devient propriétaire du bâtiment et entreprend de réhabiliter les lieux en conservant l’esprit d’origine, à savoir un théâtre à l’italienne pour y accueillir à nouveau des spectacles. Ce projet, qui a suscité beaucoup d’intérêt dans la population locale mobilise en 2018 jusqu’à 150 bénévoles. Un succès que l’association explique par la patrimonialisation du lieu et par les usages sociaux qui y sont attachés selon une transmission de génération en génération. Ainsi, les grands-parents ont fréquenté le théâtre, les parents se sont exercés au gymnase, puis les enfants et petits-enfants auront restauré le théâtre en vue d’une réouverture espérée pour 2020 avec une capacité d’accueil de 400 personnes. 
D'ores et déjà, le théâtre a été inscrit aux Monuments historiques en avril 2020.

Cette réhabilitation de grande ampleur a reçu, comme le rappelle l’association, également soutenue par la Fondation du Patrimoine, des subventions d’acteurs publics et privés. Classé lieu emblématique de la région Grand Est pour le loto du patrimoine, le théâtre a pu bénéficier de 358 000 euros en 2018. Mais rien que restaurer un petit château demande 500 000 euros... Le reportage rappelle d’ailleurs que la réhabilitation du théâtre des Bleus de Bar-le-Duc exigerait 1,6 million d’euros.