Tomi Ungerer, amuseur infatigable et corrosif
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Le parcours atypique du dessinateur d’origine alsacienne, Tomi Ungerer est ici retracé : de ses débuts new-yorkais, à sa notoriété dans des domaines aussi variés que les affiches publicitaires, les albums pour enfants, les affiches de films et les caricatures plus engagées et satiriques. Jusqu’à sa mort en 2019, l’artiste ne se sera jamais départi de sa fantaisie et de son goût pour un humour quelquefois caustique dont le musée qui lui est dédié porte la trace.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
09 févr. 2019
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Né à Strasbourg en 1931, Jean-Thomas Ungerer dit Tomi perd son père à l'âge de quatre ans, qui était ingénieur et fabricant d’horloges astronomiques. Dès 1935, la famille déménage à Colmar où sa maman, Alice, s’établit dès lors avec ses trois enfants, deux sœurs étaient en effet déjà nées. C’est aussi le moment où il commence à pratiquer le dessin. La famille subit entre 1940 et 1945 l’endoctrinement nazi, notamment à l’école ainsi que les épisodes les plus marquants de la guerre dans la région, à savoir la résistance des nazis devant Colmar, épisode dit de la « poche de Colmar » entre 1944 et 1945. Tomi y découvre aussi le retable d’Issenheim qui lui a révélé, dit-il : « les règles de la perspective ». Il se passionne également à cette époque pour la géologie et la minéralogie.
Après quelques voyages qui le mènent de Laponie en Russie, il s’engage dans l’armée en Algérie dans les années 1950. Réformé pour maladie, il entre à son retour à l’école des arts décoratifs de Strasbourg en 1953 dans la section dessin publicitaire. Dès cette époque, il s’intéresse à la culture américaine, au jazz, à la littérature, mais aussi aux cartoons du New Yorker. Diplômé, il quitte Strasbourg pour quelques voyages à nouveau, notamment en Islande et à Londres.
En 1956 débute sa période new-yorkaise, il s’installe définitivement dans cette ville des Etats-Unis en 1957 où il publiera la même année son premier livre pour enfants : The mellops go flying (Les Mellops font de l’avion) chez Harper and Row, ouvrage qui connaît immédiatement un grand succès obtenant le prix du Children’s spring book festival. C’est Ursula Nordstromm, « découvreuse de talent » qui lance sa carrière d’illustrateur d’albums pour enfants, et restera son éditrice jusqu’en 1973.
La série des Mellops comptera quatre autres volumes publiés entre 1957 et 1963. Cette célèbre famille de cochons anthropomorphisés s’inscrit dans la tradition de grands fabulistes tels La Fontaine ou Beatrix Potter, créatrice de Peter Rabbit. Les albums mettant en scène la famille Mellops relèvent de la veine critique de l’artiste qui porte un regard satirique sur la société de consommation. Les petits animaux sans cesse en quête de confort matériel inaugurent une longue série d’albums pour enfants souvent assez subversifs et caustiques à l’égard de la bourgeoisie. Dans ses premiers albums, Tomi Ungerer témoigne aussi de l’influence du dessinateur pour enfant, Jean de Brunhoff, créateur du personnage de Babar en 1931. Influences tant techniques avec l’usage de la ligne au trait léger grâce à l’encre de Chine, que concernant le fond, avec un ton assez léger. L’album Les Trois brigands qui date de 1961 et Jean de la Lune de 1963 figurent parmi les plus célèbres de l’artiste. Il aura ainsi été l’illustrateur de soixante-dix livres pour enfants, dont il a pour moitié écrit également les textes, cela représente donc une part considérable de son activité d’artiste.
Mais la critique sociale à laquelle se livre l’illustrateur dans ses albums pour enfants laisse également place à des œuvres plus politiques déjà annoncées dans ses croquis d’enfants, dessins tous légués par l'artiste au musée de Strasbourg. En effet, pendant la guerre, sous l’occupation, l’enfant croque déjà les nazis de manière caricaturale ou même Hitler, à l’image du dessinateur Hansi qui l’influence. Cette veine se confirme également dans les dessins de presse et affiches réalisés aux Etats-Unis, qui fustigent la guerre du Vietnam ou les discriminations raciales. Dans la veine d’un Daumier ou d’un Grosz, la charge est souvent féroce et d’une grande efficacité à l’image des affiches intitulées Eat ou White power, black power qui condamnent respectivement l’impérialisme américain au Vietnam et la ségrégation encore si vivace dans les années 1950.
Enfin, l’artiste se livre aussi à des travaux publicitaires, et participe notamment pour le New York Times à des campagnes importantes dans les années 1960-1970, par exemple pour des événements sportifs comme The Aqueduct Raceway ou pour la conception d’affiches de cinéma notamment pour le film de Stanley Kubrick, Docteur Folamour en 1964. Une fois reconnu en Europe pour cette activité, l’artiste décroche aussi des commandes du publicitaire allemand Robert Pütz, il participe à la réalisation de plusieurs campagnes publicitaires pour Bonduelle ou Nixdorf.
La blessure initiale causée par la guerre suscite également un engagement plus tardif dans les années 1980 dans sa ville natale où il milite ardemment pour un rapprochement franco-allemand, mais aussi pour la préservation du bilinguisme et de l’identité alsacienne. L’œuvre, La Fontaine de Janus, installée au nord de l’opéra au bord du canal du Faux-Rempart et réalisée par l’artiste en 1988 à l’occasion du bimillénaire de sa ville, représente ces valeurs. Janus, Dieu romain au double visage, symbolise ainsi la double identité inaliénable de la ville natale de l’artiste.
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Le reportage s’ouvre sur les images de Tomi Ungerer inaugurant le musée qui lui est dédié, aussi appelé Centre international de l’illustration. Il s’agit en effet du seul musée au monde dédié au dessin d’illustration du XXe siècle. Doté d’un fonds de plus de 14 000 dessins légués par l’artiste, il s’enrichit également de 1500 jouets eux aussi légués par l’artiste. D’autres artistes y sont également représentés, dont André François et Maurice Henry.
Le reportage se centre ensuite sur quelques dessins tirés d’albums pour enfants tout à fait légendaires de l’artiste dont Les Trois brigands datant de 1961 ou Jean de la Lune, deux créatures tout à fait originales. Ces personnages restent emblématiques car ils marquent un tournant stylistique dans la pratique de Tomi Ungerer. En effet, l’usage de couleurs primaires - bleu, jaune et rouge - qui remplissent l’espace de la page sans espace blanc et qui contrastent avec le noir en sont la marque de fabrique. Chaque couleur y revêt une fonction définie : le bleu, marque du livre, le rouge consacré à des objets précis, le manteau des orphelins, ou la hache du brigand, enfin le rouge, symbole de violence, renverrait au « sang des ancêtres dans le drapeau nazi » aux dires de l’artiste. L’usage du jaune renforce lui les contrastes. Le graphisme est aussi à voir comme un clin d’œil au style japonisant, propre à l’estampe en vogue à la fin du XIXe siècle. Mais le tournant vaut aussi pour le fond devenu beaucoup plus satirique que dans les premiers albums. Ici Tomi Ungerer renoue bien avec la vogue du conte depuis les frères Grimm jusqu’à Perrault et les illustrations qu’en proposa Gustave Doré, l’un des maîtres de l’artiste : « Doré, mon maître ! Dans les Contes drolatiques se trouvent toutes les origines de mon travail ou presque !… Enfant j’étais fasciné par ses ambiances et par ses personnages ». Ces œuvres il les découvre dans la monumentale bibliothèque de son défunt père.
La portée morale se révèle universelle comme en témoignent deux personnes à l’image dans le reportage, les albums frappent autant enfants qu’adultes. Quant à Jean de la Lune, ce personnage de marginal, il se donne à lire comme un conte sur la différence, la marginalité. L’artiste y voit aussi une représentation de lui-même arrivant aux Etats-Unis et en quête de liberté, comme le symbolise la capacité de ce héros à se glisser hors des barreaux d’une prison.
Tomi Ungerer conçoit des livres pour enfants « d’une part pour amuser l’enfant que je suis, et d’autre part pour choquer, pour faire sauter à la dynamique (sic) les tabous, mettre les normes à l’envers : brigands et ogres convertis, animaux de réputation contestable réhabilités… ».
Une photographie d’archive de l’enfance marquée par le nazisme est ensuite mise en regard des albums consacrés à la guerre : un livre de souvenirs, A la guerre comme à la guerre datant de 1991 et un album Otto, consacré au nazisme et à la guerre.
La cruauté omniprésente dans ses albums est selon l’artiste, nécessaire pour former les enfants à ce qui les attend dans leur propre vie. Cet usage d’une forme de vérité à l’égard des enfants est relié dans le reportage à la vocation satirique et engagée de l’œuvre, tant l’artiste est indissociable également de ses affiches satiriques créées dans les années 1960 et 1970 pour les plus grands journaux new-yorkais. Les cibles sont politiques : la guerre du Vietnam, la ségrégation mais aussi sociétales, comme la société de consommation, comme dans une représentation caricaturale et à contre-emploi du Père Noël trivialement humanisé sur ses toilettes, censuré aux Etats-Unis en 1960. Il s’agit là d’un portfolio de onze lithographies iconoclastes de Tomi Ungerer parmi les plus féroces et satiriques qu’il ait réalisées.
L’artiste est également filmé à sa table de travail, continuellement en quête de territoires d’expérimentations nouveaux. Son œuvre protéiforme aura fait la part belle à de multiples recherches techniques : collages, dessins, peinture. Il se sera également essayé à un grand nombre de genres : caricatures, affiches satiriques, albums pour enfants et affiches publicitaires.
Ses nombreuses influences comprennent des fabulistes et conteurs comme La Fontaine ou Perrault, mais aussi l’illustrateur régional Hansi, ou encore des albums contemporains comme Les Pieds nickelés, les premiers Tintin, mais aussi Mickey.
Transcription
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