A la découverte de la futaie Colbert

La France périra faute de bois. C’est en ces termes que s’exprime le ministre de Louis XIV, Jean- Baptiste Colbert, pour justifier La Grande Réformation (1661-1683) dont la pierre angulaire est l’ordonnance sur le fait des Eaux et Forêts en 1669. Colbert vise plusieurs objectifs à travers cette réforme. La planification forestière est pensée sur un siècle pour fournir aux constructions navales du bois d’excellente qualité, et ainsi ne plus dépendre d’importations dans un domaine aussi stratégique que la préparation de la guerre. Cette ordonnance vise aussi à unifier le droit forestier et à définir le bon usage de la forêt. Colbert envoya ses hommes dans les forêts du royaume pour qu’ils fassent prévaloir les droits de l’Etat sur ceux des propriétaires ou usurpateurs de la forêt.

C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la création de la futaie de chênes de Tronçais en 1670 (en patois bourbonnais Tronçais signifie forêt de gros chênes). Plus de 10 000 d’hectares vont être sélectionnés pour fournir à l’industrie navale du bois d’œuvre (trois à quatre mille chênes sont nécessaires pour la construction d’un navire de guerre). Mais la croissance en futaie avec des arbres qui ont poussé trop droit n’auront au final pas toutes les qualités exigées pour la construction des navires. Par contre, les chênes de Tronçais sont particulièrement recherchés pour faire des barriques destinées à la maturation du vin et de spiritueux. 

Le massif forestier du Tronçais est constitué essentiellement de forêt domaniale, c’est-à-dire appartenant à l’Etat et gérée par les agents de l’Office national des Forêts. Les forêts publiques couvrent en métropole 4,7 millions d’hectares, soit 8% du territoire national. 1,8 million d’hectares sont des forêts domaniales et 2,8 millions d’hectares des forêts des collectivités territoriales, principalement des communes. Les départements d’Outre-Mer comptent 6 millions d’hectares de forêts publiques. C’est un travail de plusieurs siècles de sylviculture que l’on peut admirer dans la futaie Colbert et qui est poursuivi par l’agent de l’Office national des forêts qui témoigne dans le reportage. Du fait de l’âge remarquable de ces arbres, on apprend dans le reportage que la majeure partie de ces derniers devra être coupé dans les dix ans pour des raisons de sécurité et que 17 hectares seront sauvegardés. En effet, la futaie Colbert est devenue réserve biologique intégrale et fermée au public en 2017, la même année où le massif forestier de Tronçais obtient le label de forêt d’exception, qui vient reconnaître la grande qualité de ses chênes sessiles à grain fin : la plantation en futaie a entrainé un accroissement des chênes fin et régulier, avec très peu de nœuds et des cernes inférieures à 2,5 mm, appréciée dans le monde entier pour la fabrication de barriques de vin. Ces arbres ne seront ainsi pas coupés et mourront naturellement (certains chênes ont plus de 600 ans en Europe) et ne donneront plus de tonneaux. La réserve demeure un terrain d’expérimentation pour comprendre l’impact climatique sur le développement et la croissance des chênes et sur la biodiversité présente.  

On apprend sur le site de l’ONF que plus de 200 sites remarquables sont préservés par l’ONF sous ce statut de réserve biologique, couvrant plus de 170 000 ha en métropole et dans les départements d'Outre-mer. Ces réserves constituent tant des points forts pour la stratégie nationale biodiversité et le respect des engagements internationaux de la France, qu'un outil au service d'initiatives locales de protection de la nature. Ce statut spécifique entraîne un supplément de protection à ces forêts publiques, habituellement gérées dans le cadre de l’aménagement forestier. Ce dernier vise à gérer durablement la forêt sur une durée de 20 ans, tant du point de vue de son exploitation que de sa préservation. Ces plans de gestion planifient les récoltes de bois et décident des modifications à apporter dans ce milieu, au regard des enjeux économiques, sociétaux et environnementaux de la forêt.

Après un lancement en plateau par le journaliste auteur du reportage, ce dernier s’ouvre sur des plans successifs de la futaie Colbert, parfois très brefs. Les zooms proposés permettent de se rendre compte du diamètre des chênes et quelques plans en contre-plongée font prendre conscience de la majesté de ces arbres remarquables, dont la taille peut atteindre la hauteur d’un immeuble de 15 étages. Ces plans, parfois proposés avec un simple fond musical, sont complétés par une interview de Bernard Garrivier, un agent technique de l’ONF, qui explique en quoi la dendrochronologie permet de dater l’âge des arbres et quelles sont les caractéristiques d’une futaie. Il annonce aussi la valeur de ces arbres remarquables (un chêne de Tronçais est vendu aux alentours de 130 000 francs en 1992).

Si au moment du reportage en 1992, il était encore possible d’y exploiter le bois et de se balader au milieu de cette chênaie pluriséculaire, ce n’est plus le cas depuis 2017, pour des raisons de sécurité. L’ONF oriente désormais les visiteurs vers les douze hectares de la futaie Buffévent (appelée aussi Colbert II). Un sentier pédagogique a été mis en place au sein de cette futaie Colbert II, pour en comprendre l’Histoire, le travail de générations de forestiers et aussi pour mettre en avant le lien qui unit la forêt de Tronçais au monde viticole à travers la fabrication des tonneaux de chêne. Ces barriques en bois vont affiner les tanins et produire des vins ou des spiritueux d’exception, qui alimentent une filière de luxe (en effet, seuls 2% des vins dans le monde sont élevés en barrique de bois).