La colorisation de la cathédrale d'Amiens

20 décembre 2008
06m 40s
Réf. 00719

Notice

Résumé :

Page découverte consacrée à la colorisation de la cathédrale d'Amiens. Xavier Bailly, directeur du patrimoine, explique pourquoi dès sa construction, la cathédrale était peinte, puis au XVIe siècle, la couleur est passée de mode. On a retrouvé des traces lors des restaurations récentes. Pour imaginer ce que pouvait être cette colorisation, on a confié la réalisation d'images à une société spécialisée qui les projette ensuite sur la façade. Explication d'Hélène Richard qui travaille sur une deuxième version du procédé. Philippe Charron conservateur des monuments historiques, explique que de nouvelles techniques de nettoyage de la pierre permettent d'ôter la noirceur sans atteindre les couleurs, ce qui ouvre un nouveau champ de recherche historique.

Date de diffusion :
20 décembre 2008
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Éclairage

C'est en 1999, sous la mandature de Gilles de Robien, que s'est mis en place le "son et lumière" ou "son et couleur" appliqué à la cathédrale d'Amiens. Ce fut alors une première et ce l'est resté. D'autres expériences ont depuis lors été réalisées au Mans et à Reims. Dans le dernier quart du XXe siècle les Monuments nationaux avaient entrepris de ravaler les façades, autant dire éliminer les traces de fumée ayant noirci la pierre au cours des siècles. L'architecte suisse Le Corbusier n'avait-il pas parlé lui-même dans un livre du temps où les cathédrales étaient blanches ? (1). On aurait pu croire, au lendemain de la guerre, à une généralisation de la formule de ce célèbre (et fort controversé) bâtisseur dont les constructions sobres et fonctionnelles, dans l'esprit du Bauhaus, prônaient la luminosité du blanc (Cité radieuse à Marseille). Or voici que les ravaleurs de façade, bien décidés à retrouver la blancheur pure des carrières de Picquigny (d'où furent extraites les pierres de la cathédrale d'Amiens) découvraient, au laser, des traces de polychromie sur les figures sculptées de la cathédrale. À commencer par le bout d'ailes des anges. Comme dans les tableaux polyptyques des peintres flamands (Van Eyck, Memling) les anges sculptés au XIIIe siècle avaient donc des couleurs ! Il fallait ajouter un chapitre nouveau à la Bible de pierre célébrée par Victor Hugo et par John Ruskin. On peut parler d'une révolution, en effet, rappelant une différence pédagogique essentielle entre les âges médiévaux où la couleur jouait son rôle dans l'évangélisation du peuple et le moment Renaissance où, à la fois par usure et par iconoclasme, les esprits "éclairés" penchèrent plutôt pour la sobriété et la raison. Depuis 1999, des spectacles "son et couleur", confiés originellement à la société Skertzo, ont été ainsi organisés chaque été par projection de couleurs sur la façade de Notre-Dame d'Amiens (classée en 1981 au patrimoine mondial par l'Unesco). Il s'agit d'une interprétation artistique s'appuyant à la fois sur la numérisation des images et l'analyse scientifique des pigments initiaux. L'opération rencontre, on l'imagine, un succès populaire réel. Une heure durant les spectateurs assis à même le parvis mais surtout sur les marches des maisons faisant face au monument, retiennent d'admiration (le mot incrédulité n'étant pas approprié) leur souffle.

(1) Le Corbusier, Quand les cathédrales étaient blanches. Voyage au pays des timides, Plon, Paris 1937.

Jacques Darras

Transcription

Valérie Chopin
On reste dans l’ambiance de Noel avec notre page découverte consacrée, ce soir, à la cathédrale Notre-Dame d’Amiens. Elle est, en ce moment, colorée. Explications : Zora Hamdane et Gilles Bezou.
(Musique)
Zora Hamdane
Bonsoir. Bienvenue à Amiens. Nous sommes sur le parvis de la cathédrale, l’un des fleurons de l’architecture gothique classique inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1981. Il y a 9 ans, la cathédrale d’Amiens se réconcilie avec sa couleur. Et vous allez le voir, la couleur existait déjà et cela dès le Moyen âge.
(Musique)
Zora Hamdane
En charge du patrimoine à Amiens, cela fait plus de 10 ans que Xavier Bailly travaille sur le projet de colorisation de la cathédrale. Il a fait partie de ceux qui, durant la restauration de la façade, ont observé qu’il y avait des restes de couleur sur les sculptures des portails.
Xavier Bailly
Regardez par exemple les ailes des anges, au troisième registre du tympan. On voit très nettement que les ailes des anges sont peintes. Les plumes sont dessinées. Il y a de la couleur sur la cathédrale dès le XIIIe siècle. On construit, on sculpte et on peint. Les sculptures qui sont sur ces portails. Pour renforcer le côté naturaliste, probablement même la mise en scène qui nous est offerte ici, ce message nous est délivré, sculpté et en couleur. Et c’est beaucoup plus facile d’identifier tel ou tel personnage dès lors que l’un est habillé de blanc et l’autre est habillé de rouge.
Zora Hamdane
Après le Moyen âge, les couleurs s’estompent avec le temps jusqu'à disparaître.
Xavier Bailly
La couleur est populaire. Et l’officiel refuse peut-être ce caractère populaire et ce caractère coloré. Au XVIe siècle, les bouleversements religieux en Europe, les changements de mode, la couleur n’est plus dans le goût du temps, et on ne l’entretient plus. Voire même dans certains endroits, ailleurs qu’à Amiens, on la détruit. La couleur est quasi bannie de la société. Il faut attendre le XXe siècle pour qu’elle resurgisse au cours de la restauration.
Zora Hamdane
On trouve de la couleur sur la façade occidentale mais aussi sur le portail de la Vierge dorée dont la restauration est terminée. Le projet d’imaginer ce qu’aurait pu être cette colorisation a été confié à une entreprise de spectacles parisienne qui a conçu des images avec une impression de relief, des images, des couleurs projetées ensuite sur la façade.
Hélène Richard
Voilà. Le côté demi-éclairage par demi-portail. Et là, on voit bien l’éclairage de la Vierge. Ce que nous projetons, c’est à la fois la lumière, c'est-à-dire la couleur, et l’ombre, avec différents degrés d’ombre. C'est-à-dire plus on va vers le mur, plus on va vers le noir. Et c’est ça qui va donner, qui va décoller la sculpture et lui donner ce sentiment de vie, presque.
Zora Hamdane
Les concepteurs améliorent leur procédé. Une meilleure optique donc une projection plus fine. Ils en sont à leur deuxième version.
Hélène Richard
Avec une définition supérieure et une meilleure optique, on a obtenu des couleurs qui se sont mise à briller, vraiment d’une… beaucoup plus saturés. C'est-à-dire que les rouges sont plus profonds, plus rouges. Les bleus plus brillants. Et on a tout d’un coup la notion que l’or… on a l’illusion de l’or, ce qu’on n’avait pas avant.
Zora Hamdane
Inspiré de la réalité, le résultat est une interprétation artistique. Une projection pouvant encore évoluer. Contrairement à Amiens, au Mans, par exemple, les images sont en mouvement.
(Musique)
Zora Hamdane
Avec moi, bonsoir, Philippe Charron. Vous êtes conservateur régional des monuments historiques. Alors pourquoi de la couleur sur la cathédrale et non pas sur une abbaye, par exemple ?
Philippe Charron
Il y a deux écoles de pensée dans le monde liturgique à cette époque-là. D’une part, le monde des abbayes soutenu par l’abbé Saint-Bernard, qui postule que la couleur est matière, c'est-à-dire que le bois porte la couleur, etc. Et d’un autre côté, le monde des prélats qui sont en ville, il ne faut pas oublier que la cathédrale, c’est le lieu, la maison commune, le bâtiment le plus remarquable, le plus important. Et ce monde liturgique, en contact avec le peuple, postule, lui, que la couleur est lumière.
Zora Hamdane
C’est donc grâce aux avancées technologiques durant ces 20 dernières années qu’on a pu poser à nouveau la question de la couleur ?
Philippe Charron
Nous savions, il y a 50 ans, restaurer une cathédrale en enlevant le noir de la crasse et des suies et des fumées sans abimer la pierre. Nous avons appris, dans les 20 dernières années, à enlever la même couverture de crasse en conservant les pigments colorés qui sont sur l’épiderme de la pierre. C’était une avancée importante, et ça a permis de donner un fondement scientifique précis à ce qui n’était, jusque-là, que littérature.
Zora Hamdane
A vous entendre, on sent que la couleur, le thème de la couleur, finalement, fait plus que débat aujourd'hui ?
Philippe Charron
Nous avons presque un travail d’enquêteur policiers, si on peut dire, autour de ces questions. Et donc c’est une question tout à fait passionnante pour les spécialistes qui est loin d’être close.
Zora Hamdane
Merci beaucoup. C’est l’heure du spectacle. Regardez.
(Musique)
Inconnue
Elle raconte l’histoire du livre.
(Musique)
Inconnue 2
On a l’impression que c’est peint, quoi. Et puis de la voir en plein jour d’abord blanche et puis après en couleurs, c’est super.
Inconnu
On est vraiment en trompe-l’oeil dans le sens… on dirait que la pierre est colorée, habituellement, alors que c’est de la pierre blanche non colorée, en fait, non retravaillée.
Inconnue 3
C’est absolument merveilleux. C’est formidable. Ça nous projette dans un monde absolument… Il n’y a pas de mots.
(Musique)
Zora Hamdane
Alors tous les soirs et également pendant les fêtes, vous pouvez venir contempler ce spectacle et cela jusqu'au 1er janvier. D’ici-là, passez d’excellentes fêtes de fin d’année.
(Musique)