L'art du vitrail dans les cathédrales de Picardie

28 février 1987
06m 46s
Réf. 00731

Notice

Résumé :

Avec six cathédrales gothiques, la Picardie a connu de grands maîtres verriers. Des archéologues ont retrouvé un morceau de vitrail datant du IXe siècle à Beauvais. L'historien Philippe Bonnet La Borderie remarque que si le premier quart du XVIe siècle a laissé un travail prestigieux dans l'art du vitrail, on assiste par la suite à un déclin. Engrand Leprince dont on aperçois les magnifiques vitraux, est, dans son domaine, comparé par l'historien, à Léonard de Vinci pour la peinture usant en virtuose du jaune d'argent. On préfère blanc au XVIIIe siècle pour plus de clarté. Au XIXe on retravaille avec plus ou moins de finesse à la façon des maîtres du Moyen Âge et depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale on laisse place à la création.

Type de média :
Date de diffusion :
28 février 1987
Source :

Éclairage

Le journaliste Thierry Bonte poursuit avec sa curiosité et sa précision habituelles une enquête brève mais dense sur l'art du vitrail des églises picardes. C'est à l'église Saint-Étienne de Beauvais qu'il tourne (1987) des images de toute beauté autour de l'arbre de Jessé dessiné et réalisé en 1525 par l'un des frères de la famille Leprince, Engrand, mort en 1531. Comme le rappelle le commentaire on ne dispose que de très peu d'éléments sur cette famille mais il suffit que la caméra se concentre sur quelques détails dont cette extraordinaire demi-lune à visage humain pour être frappé par la force propre à Engrand. Le spécialiste qui répond aux questions du journaliste insiste sur l'usage particulièrement brillant du jaune d'argent par le maître-verrier, technique lui permettant d'ombrer de reflets la lumière des visages. On notera également une très impressionnante stylisation des systèmes pileux des personnages masculins ainsi que l'expression forte des émotions obtenue par l'artiste. L'adjectif "génial" ici employé n'est pas usurpé. La qualité des vitraux de l'église Saint-Étienne semble d'ailleurs indiquer l'excellence de l'école vitraillière de Beauvais dans le premier quart du XVIe siècle. L'historien Philippe Bonnet La Borderie interrogé par Thierry Bonte insiste à juste titre sur l'évolution du rapport au plus ou moins de transparence dans l'art des vitraux. Le XVIIIe siècle préférera ainsi la grande luminosité, ce qui n'est pas pour surprendre dans un siècle entièrement voué à la Raison. Le Romantisme qui marque le XIXe siècle reviendra au contraire au Moyen Âge dont il imitera plus ou moins heureusement les opacités. À cet égard on doit d'ailleurs signaler l'exceptionnelle beauté des vitraux de la cathédrale de Laon, surtout le merveilleux vitrail de la rose nord dite des Arts libéraux avec ses huit oculi tournant comme les roues de l'Univers autour de la figure centrale de la Sagesse ou Philosophie, elle-même entourée de huit roues adjacentes. C'est le plus ancien vitrail de la cathédrale, il date de 1200 environ. Identiquement splendide est la rose ouest. Si maintenant l'on se tourne vers l'époque actuelle, on mentionnera la renaissance de l'art du vitrail en Picardie même grâce au travail du peintre et vitraillier Alfred Manessier qui a donné à l'église du lui-même Saint-Sépulcre à Abbeville un extraordinaire chemin de croix en 31 vitraux inauguré par lui-même en 1996. Le bleu profond de la nuit du Vendredi Saint, sur le vitrail ouest, est un chef d'œuvre de profondeur et d'émotion.

Jacques Darras

Transcription

Thierry Bonté
Bonsoir. On le sait, les picards ont la réputation de garder jalousement leurs secrets et leurs trésors. Ainsi, le touriste moyen, en balade dans la région, se trouve souvent frustré de ne pouvoir apaiser sa soif de culture. Pourtant, le patrimoine régional ne manque pas de merveilles. Ainsi, nous-mêmes ne pensions pas qu’il existait ici, chez nous, les plus beaux vitraux du XVIe siècle. Ceci dit, sans chauvinisme aucun, entrez avec nous au pays du vitrail.
(Musique)
Thierry Bonté
L’art du vitrail est inséparable de celui des bâtisseurs de cathédrale. Avec 6 cathédrales gothiques, la Picardie a très tôt connu l’éclairage que les maîtres verriers ont voulu associer à la pierre dans la célébration de l’histoire divine. Notre région est donc riche en vitraux anciens même si l’apologie du romantisme et de la lumière très contrastée au XVIIIe et XIXe siècle puis les deux Guerres mondiales ont détruit une bonne partie de ce patrimoine. Il reste néanmoins quelques bribes de vitraux du XIIe et XIIIe siècle et même ce petit morceau presque unique au monde daté approximativement du IXe siècle.
(Musique)
Thierry Bonté
Un petit morceau de verre peint à la grisaille et découvert dans la crypte de l’église de Basse-oeuvre de Beauvais grâce aux recherches des archéologues. Un vestige qui prouve que même dans le haut Moyen-Age, on maitrisait bien la technique du vitrail. Mais après la période faste de construction de grandes cathédrales, cette forme d’expression a connu une évolution très inégale.
Philippe Bonnet La Borderie
Bon, au XIVe siècle, il y a beaucoup moins de vitraux mais on en trouve quelques-uns de qualité comme à la cathédrale de Beauvais, le Saint-Jean à Patmos. Vous en avez également peu au XVe. Et puis, à la fin du XVIe siècle, XVIIe siècle, il y a un déclin dans le vitrail. On peut l’apercevoir, par exemple, dans un détail du vitrail de Saint-Eustache de l’église Saint-Etienne de Beauvais. Un vitrail plus tardif où on s’aperçoit de l’usage des mots qui donne une certaine opacité au vitrail. Il n’y a pas la même couleur, la même liberté, justement, qu’on retrouve dans les vitraux du premier quart du XVIe siècle de la famille des Leprince.
(Musique)
Thierry Bonté
Célèbre famille de maîtres verriers picarde dont il ne reste d’ailleurs aucun document écrit, les Leprince nous ont légué un patrimoine merveilleux dans le domaine du vitrail. Les plus éclatants se trouvent d’ailleurs ici, autour du choeur de l’église Saint-Etienne de Beauvais, amplement reconstruite au début du XVIe siècle.
(Musique)
Philippe Bonnet La Borderie
L’arbre de Jessé, c’est la généalogie du Christ. C’est un thème iconographique qui est apparu au XIIe, XIIIe siècle. On en trouve un exemplaire, par exemple, à la cathédrale de Beauvais mais dans un style très différent. Ici, c’est traité très librement par Engrand Leprince. Et on peut dire que ce vitrail situe véritablement son chef-d’oeuvre. Dans son domaine, il peut être considéré comme l’égal de Léonard de Vinci ou de Raphael pour la peinture. Il use en virtuose, un virtuose avec une virtuosité exceptionnelle du jaune d’argent. Et c’est ainsi qu’il arrive à donner de l’éclat aux chairs, de l’éclat aux vêtements. C’est lui qui, le premier, a réussi à donner par exemple aux couronnes, aux crosses d’évêques etc. , il a su donner des reflets en utilisant ce jaune d’argent.
Thierry Bonté
Par rapport aux époques précédentes, c’est une nouveauté, justement, cette utilisation du jaune d’argent ?
Philippe Bonnet La Borderie
Non. Non, le jaune d’argent a été utilisé à partir du XIVe siècle. Mais véritablement, les maîtres du jaune d’argent, c’est l’école des maîtres verriers du Beauvaisis, de Beauvais, et en particulier Engrand Leprince. Alors c’est un sulfure d’argent qui est mis à l’envers du vitrail et qui est cuit ainsi et qui donne, justement, cet éclat extraordinaire.
Thierry Bonté
Mais au-delà du côté esthétique, les vitraux étaient d’abord conçus pour éduquer le peuple à l’histoire de l’Ancien et du Nouveau testament. Une histoire, par moments, délibérément effrayante.
(Musique)
Thierry Bonté
Au XVIIIe siècle, les religieux désirent davantage de lumière dans leur église. Ils font alors poser des panneaux en verre blanc pour remplacer les vitraux très colorés du Moyen-Age. Les cathédrales deviennent alors très claires tandis qu’elles étaient, jusque-là, très sombres. Au siècle suivant, le romantisme opère un retour à l’art du Moyen-Age, essayant de copier, avec plus ou moins de bonheur, les vitraux gothiques. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la création a définitivement pris le pas sur le pastiche afin de tenter de s’intégrer à part entière à l’architecture traditionnelle.