La cathédrale d'Amiens

31 août 1996
06m 50s
Réf. 00742

Notice

Résumé :

Visite de la cathédrale Notre-Dame d'Amiens en compagnie du truculent guide du monument, Jean Macrez. Celui-ci nous conte l'histoire de cette cathédrale bâtie en seulement 45 ans. En 1940 elle fut le seul édifice de la ville resté intact lors des bombardements. Ce reportage est illustré de nombreux plans tournés en intérieur et en extérieur qui rendent compte des dimensions impressionnantes de l'édifice.

Type de média :
Date de diffusion :
31 août 1996
Personnalité(s) :
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Éclairage

Ce reportage diffusé en 1996 présente une vision allègre et simple du grandiose monument grâce à l'humour, ô combien picard, du guide Jean Macrez, dont les Amiénois auront reconnu la silhouette. Face à la grandeur et à la beauté, l'humour picard préfère en effet toujours se dévaloriser et se moquer de lui-même dans une auto-dérision foncièrement douloureuse. C'est une différence avec l'humour belge (les Picards sont des Belges pour Jules César) totalement construit sur l'invraisemblable et l'absurde. Ceci pour dire que ce qui fait le prix de l'édifice cathédrale d'Amiens ce ne sont pas uniquement ses proportions architecturales somptueuses, mais aussi la présence à leur côté de la dimension humaine du quotidien.

On pensera sans doute aussitôt à la face la plus visible de cette dimension, à savoir les gargouilles évacuatrices de pluie. Mais dans les blasons en quatre-feuille du portail ouest (portail saint Firmin) les signes du zodiaque sculptés montrent avec beaucoup de conviction des paysans en plein travail saisonnier (voir le "geste auguste" du semeur au signe du Sagittaire, par exemple). Les stalles du chœur sont l'autre exemple de la présence du populaire et du vivant avec leurs 4000 figures bibliques sculptées dans le chêne blond par les "huchiers" (sculpteurs) Boulin, Avernier et Huet sur l'espace de onze ans (1508-1519) pour en faire l'un des trésors du gothique flamboyant. D'ailleurs s'il fallait retenir un élément plutôt que d'autres à propos de ce monument ce serait l'incroyable vitesse générale d'exécution. On n'est jamais allé aussi vite, aussi haut, aussi large dans aucune construction de ce type. D'où ce sentiment de légèreté et de vitesse qui saisit lorsqu'on entre par le portail saint Firmin et que se décalant légèrement vers l'axe central on prend la mesure de la nef. Soit exactement 42 mètres 30 pour la hauteur sous la voûte. Or commencée en 1220 sur commande de l'évêque Évrard de Fouilloy et confiée à l'architecte Robert de Luzarches, cette nef sera achevée à peine dix ans plus tard en 1230. Luzarches étant mort entre-temps en 1422, le flambeau est repris par Thomas de Cormont et le chœur terminé en 1269. On donne 1288 pour date d'achèvement définitif de l'édifice, époque à laquelle dut être installé le dallage du labyrinthe. Ce qui fait de la cathédrale l'édifice le plus rapidement construit de toute la chrétienté, sans même évoquer quelques ralentissements dus au manque d'argent ou au mauvais vouloir de tel ou tel évêque. Car la construction du monument correspond en vérité à la grande prospérité de la ville, reposant sur la culture de la guède (ou pastel) et la teinturerie des draps, ainsi que sa proximité aux routes du commerce entre foires de Champagne et villes de la Flandre. Si l'on ajoute que la présence des reliques de saint Jean Baptiste rapportées des croisades par tel chevalier picard (Wallon de Sarton, évêque de Picquigny) faisait déjà du lieu l'objet de pèlerinages, et que le soldat de Pannonie Martin, devenu célèbre sous le nom de saint Martin, avait divisé en deux près de là, au Vè siècle, son manteau pour en vêtir un pauvre, toute cette concordance d'événements explique la ferveur suscitée par cette cathédrale.

On ne peut d'ailleurs expliquer que par la ferveur et la foi ce magnifique élan s'incarnant dans la pierre blanche de Picquigny, charriée en bateau sur la Somme jusqu'au chantier. Ne manquait plus que la bénédiction d'un vrai miracle : celui qui se produisit dans la nuit du 19 au 20 Juin 1940 lorsque les bombes incendiaires allemandes brûlèrent la ville entière, laissant la cathédrale intacte. D'ailleurs le monument avait déjà échappé à plusieurs alertes comme l'incendie de la flèche en 1527, sans conséquences, et les tirs de l'artillerie allemande en 1918, interrompus sur intervention du pape Benoît XV. Classée monument historique depuis 1862, la cathédrale est inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1981. Enfin le nettoyage des portails au laser dans les années 1990 a permis de découvrir des traces de polychromie qui depuis 1999 ont donné prétexte à un grandiose spectacle « Son et Couleur », par projection sur la façade, chaque été et pendant les fêtes de fin d'année.

Jacques Darras

Transcription

(Bruit)
Philippe Gougler
Et voilà. Juste à deux pas de l’ancien marché flottant, vous allez découvrir la cathédrale. Mais je ne vous la montre pas encore, parce que juste avant, il faut que je vous présente celui qu’ici, tout le monde appelle Quasimodo. Bonjour. Ce n’est quand même pas sympa de vous appeler Quasimodo ?
Jean Macrez
Ça m’est égal. Moi, la bosse que je n’ai pas sur mon dos, elle est là.
Philippe Gougler
C’est une grosse bosse !
Jean Macrez
C’est ça, dans la pierre.
Philippe Gougler
Elle est immense, cette cathédrale.
Jean Macrez
D’abord, quand on arrive ici, on est impressionné d’abord par son espace. Et puis par la beauté de sa façade. Et surtout à l’intérieur, que nous verrons, par sa nef. Pour moi, c’est la dernière arche de Noé amarrée sur les bords de la Somme pour l’éternité. Vous voyez ? C’est ça.
Philippe Gougler
Voilà. Donc c’est jean Macrez, c’est un poète. Vous, vous viviez dans la cathédrale tout le temps ?
Jean Macrez
Oui, incrusté dans les pierres, c’est ça. Comme les gargouilles.
Philippe Gougler
On va visiter ?
Jean Macrez
On y va. Allez. Allons-y.
Philippe Gougler
Elle est immense, celle-là. Elle est deux fois plus grande que Laon, c’est ça ?
Jean Macrez
C’est ça. Et aussi surtout deux fois Notre-Dame de Paris. C’est que les gens ne se rendent pas compte. Son espace, son volume. Moi, j’appelle ça le dernier grand vaisseau cosmique en route pour l’ultime croisière de l’éternité. Navigateurs de l’infini. Chrétiens ou non, nous sommes tous embarqués dans notre dernière croisière dans l’aventure des cathédrales. Regardez ça. Ici, l’épaisseur s’est allégée au profit de la lumière et du vitrail.
Philippe Gougler
Elle est magnifique ! Elle est immense ! Elle est deux fois plus grande que Laon.
Jean Macrez
Que Notre-Dame de Paris. Ah oui. 43 mètres de haut, 200 m3 de volume. On pouvait y mettre toute la ville d’Amiens, 12 000 personnes. C’est extraordinaire. C’était la maison du peuple et la demeure de Dieu. On y passait tout : foire, marché, c’était un rassemblement dans la cathédrale. La lumière, regardez ça. Perfection dans l’audace. Couronnement du génie bâtisseur. Quelle foi il fallait que l’homme ait pour faire d’une forêt une véritable clairière enchantée !
Philippe Gougler
Dites donc, vous l’aimez, vous, la cathédrale !
Jean Macrez
Oui, attaché à la vie, à la mort.
Philippe Gougler
Elle a été construite très très vite, en plus ?
Jean Macrez
Je pense bien. La nef, 14 ans, ce qui est un record. Donc les pierres étaient taillées sur place. 1222-1236. Et l’ensemble du vaisseau, 45 ans, alors que d’autres cathédrales, vous savez, sont faites à cheval sur deux siècles.
(Musique)
Philippe Gougler
Et c’est vrai qu’on a failli ne pas la voir, en plus, parce que pendant la Seconde Guerre mondiale, Amiens a été…
Jean Macrez
… complètement rasé. La nuit du 19 au 20 mai 40, il va pleuvoir sur Amiens une pluie apocalyptique de bombes qui est l’égal d’Hiroshima. Et pendant 5 heures, eh bien, la cathédrale restera intacte devant une vision d’apocalypse. Il n’est rien resté de la ville. Et comme un défi, comme quelque chose qui ne peut pas être détruit, cette cathédrale va rester intacte. C’est quelque chose d’extraordinaire.
Philippe Gougler
Comment vous expliquez ça, vous ?
Jean Macrez
On nous a dit que les bombes étaient écartées et ne tombaient pas sur la cathédrale. C’est vrai, parce que, à 10 mètres, il ne reste plus rien. Comment voulez-vous expliquer ? C’est un miracle qui défie les lois de la physique absolument.
Philippe Gougler
Eh bien, dis donc, c’est baroque, ici. C’est quoi, ça ?
Jean Macrez
Ça ne s’intègre pas dans un dépouillement gothique. C’est un petit peu la religion théâtralisée.
Philippe Gougler
Ce n’est pas très joli ?
Jean Macrez
Non. Moi, j’appelle ça un opéra de Mozart sculpté dans du saindoux.
Philippe Gougler
Et alors c’est ça, les stalles sculptées.
Jean Macrez
Alors si on se retourner sur l’autre côté, alors là, on voit vraiment quelque chose d’extraordinaire. Les fameuses stalles d’Amiens, c’est 110 sièges en bois…
Philippe Gougler
Mais qui s’asseyait là ?
Jean Macrez
Les chanoines du chapitre. Je les vois encore, il y a plus de 60 ans, quitter leur… comment dirais-je ? Leur confessionnal et s’amener en claudiquant avec leur camail, leur rochet et leur aumusse et s’installer. Voyez-vous, quand on dit qu’on s’installe, ça veut dire qu’on prend possession de sa stalle. Voilà la position du chanoine pendant les offices. Staller veut dire qu’on se tient debout.
Philippe Gougler
Installer, c’est se mettre dans la stalle ?
Jean Macrez
Au milieu, il y avait un lutrin. Et puis les chanoines se répondaient. Les chanoines, c’est ces prêtes qui forment le chapitre qui étaient … comment dirais-je ? Les prêtres de la cathédrale.
Philippe Gougler
Et ils étaient debout ou assis, alors ?
Jean Macrez
Il fallait qu’ils soient debout. Les offices étaient de plus en plus long et eux de plus en plus vieux. Alors ils vont inventer un système épouvantable : ils vont se plaindre à un pape qui leur fera la miséricorde d’avoir l’impression d’être debout alors qu’ils étaient assis. C’est un stratagème de chanoine.
Philippe Gougler
Ils étaient assis sur ce petit truc-là.
Jean Macrez
C’est une préfiguration de strapontin de cinéma, absolument.
Philippe Gougler
Montrez un petit peu sur quoi vous êtes assis.
Jean Macrez
Voilà.
Philippe Gougler
D’accord. Mais ça se voyait quand même qu’ils étaient assis.
Jean Macrez
Non ! Avec la soutane, ça ne se voyait pas.
(Musique)
Philippe Gougler
Vous savez que vous êtes un guide extraordinaire ?
Jean Macrez
Pff ! Ça n’a pas d’importance, ça. Quand je serai mort, eh bien, je serai statufié en gargouille et puis c’est tout. Comme ça, en me caressant, on me dira : « Tu en as de la chance, toi d’être pierre ». C’est bien.
Philippe Gougler
Voilà.
Jean Macrez
Je ne serai pas usé par routes des gifles des vents et qui nous font blanchir nos cheveux, voyez-vous ?