Témoignages sur la rafle de Lyon de 1942

20 août 1992
05m 48s
Réf. 00401

Notice

Résumé :

Le 20 août 1942, ordre est donné de rassembler tous les juifs étrangers à Lyon pour les envoyer en Allemagne. Mais c'était sans compter sur l'assistance des Lyonnais, de nombreux enfants juifs purent ainsi être sauvés.

Date de diffusion :
20 août 1992
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Éclairage

La spécificité de Lyon et de sa région dans la Seconde Guerre ne tient pas seulement au fait qu'elles appartiennent jusqu'à la fin 1942 à la zone dite libre, que Lyon a été nommée capitale de la résistance, mais surtout que ces territoires ont été des lieux de refuge pour les populations menacées par les nazis, notamment les Juifs de l'Europe de l'est et du nord. Nombre d'entre eux s'étaient installés à Lyon et dans la région grenobloise, en provenance de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Pologne ou d'autres pays de l'Europe de l'Est, croyant trouver là un endroit sûr et protégé.

Ce reportage revient sur un épisode peu connu du public, celui des rafles de Juifs étrangers qui ont eu lieu à Lyon à la suite de celle du Vel d'hiv à Paris en juillet de la même année. Réalisé essentiellement à partir des témoignages oraux accompagnés de quelques images d'archives, il insiste sur le rôle de Vichy dans la déportation des populations juives et, en contrepoint, l'assistance qui s'est organisée sous l'égide d'organisations confessionnelles, permettant de sauver une partie d'entre elles. En vertu du statut des Juifs voté le 3 octobre 1940, véritable fondement d'une politique antisémite, durci par le second (2 juin 1941) puis par la loi du 22 juillet 1941 (« aryanisation » économique), le gouvernement de Vichy pratique dans la zone sud les arrestations de Juifs. Ainsi devance t-il les demandes de l'occupant en participant directement à la déportation des Juifs. Comme l'indique le principal témoin René Nodot, président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), il était prévu de procéder à l'arrestation de 10.000 Juifs étrangers présents dans l'ensemble de la région. Rachel est l'une d'entre eux. Originaire de Belgique et réfugiée à Lyon avec ses oncle et tante après la déportation de ses parents, elle ne doit son salut qu'à l'action des membres de l'Amitié chrétienne qui interviennent pour prévenir les familles et, avec l'aide de médecins, faciliter leur mise à l'écart quand ils ont été arrêtés. Ces arrestations se déroulent à partir du 20 août principalement dans les départements du Rhône et de l'Isère. Elles sont conduites par les membres de l'administration française de Vichy, sous la direction du préfet de région. Les listes nominatives dressées par le commissariat général aux questions juives facilitent le repérage de personnes et leur arrestation brutale et massive. René Nodot rappelle l'importance des actions des membres des différentes confessions religieuses à Lyon et dans la région notamment pour le sauvetage des enfants juifs, cachés dans des familles, des maisons d'enfants ou des institutions religieuses. Avec 108 autres enfants, Rachel est ainsi distraite du groupe des prisonniers retenus dans le camp de Vénissieux dont quelques images évoquent le site par un mur surmonté de barbelés. Elle trouvera refuge dans le château de Peyrins (Drôme) : un lieu d'accueil moins connu que la Maison d'Izieu et qui ne connaîtra pas le même sort dramatique.

L'amitié chrétienne, regroupement officiel des différentes confessions catholique, protestante et juive, profite de son statut reconnu par le régime de Vichy pour mener sa politique de protection. Elle intervient pour cette mission comme le fait l'Œuvre de secours aux enfants, (OSE), très active pour faire passer en Suisse une partie des enfants juifs, qui furent ainsi sauvés. Une action risquée mais fondamentale alors que le contexte se durcit sous l'occupation directe des Allemands. Si à Lyon cette première grande rafle n'est pas de la même ampleur qu'à Paris, (545 personnes sont déportées à la suite des arrestations d'août 42), le nombre de personnes arrêtées et déportées dans la région ne cesse d'augmenter à partir de 1943, avec la multiplication des rafles.

Anne-Marie Granet Abisset

Transcription

(Musique)
Présentateur
Il y a 50 ans le 20 août 1942, Lyon fût le théâtre de rafles de réfugiés juifs ordonnées par le régime de Vichy. Des centaines de personnes ont été arrêtées, parquées avant d’être déportées. Mais contrairement à ce qui s’est passé à Paris, à Lyon des personnes ont réagi courageusement et ont pu sauver des vies notamment d’enfants. Didier Bouillot et Pierre Dutreve ont recueilli des témoignages sur cette rafle française.
(Musique)
René Nodot
C’est au début d’août qu’une dépêche strictement confidentielle est parvenue à la préfecture de la région. Ça concernait euh, presque tous les juifs étrangers. Il y avait quelques exceptions euh, je sais par exemple qu’au départ les belges devaient faire exception et pourtant ils ont été arrêtés comme les autres. Par conséquent c’était à peu près tous les juifs étrangers réfugiés.
Journaliste
Rachel a 6 ans, elle vient d’Anvers. Ses parents ont été déportés par les Nazis. Elle est arrivée à Lyon en compagnie de son oncle et de sa tante, ils se sont réfugiés en France non occupée au début de 1942.
René Nodot
A cette époque là, il y avait sans doute pas loin de 10000 euh réfugiés et surtout des juifs dans la région de Lyon. C’est à dire à Lyon et dans les départements limitrophes, dans les communes qui touchent Lyon, dans l’Ain, l’Isère notamment. Et alors là je pense effectivement qu’il y avait au moins 4000 arrestations prévues parce que la préfecture a employé des grands moyens.
(Musique)
Journaliste
Le 20 août avant l’aube, les arrestations commencent.
(Musique)
René Nodot
Y a des cars qui arrivaient, c’étaient des cars que, qui étaient hauts, haut sur pattes. Ces anciens cars de police qui arrivaient tout doucement et qui cernaient le quartier et alors à ce moment-là, les, c’était surtout des, des gens en civil qui descendaient. Les gardiens de la paix restaient à, pour surveiller qu’il y ait pas des gens qui s’échappent, et des, des agents civiles et des inspecteurs montaient, frappaient aux portes, ouvrez, Police. Ils avaient des adresses, ils avaient des listes nominatives, ils frappaient à la porte et on emmenait les gens dans l’état ou ils étaient.
Rachel
Mes parents adoptifs m’ont souvent demandé mais tu habitais ou à Lyon. Et je [inaudible] j’en sais rien, ce que je savais, c’est qu’on n’était pas loin d’une église ou il y avait de beaux mariages. Ça, j’ai gardé un souvenir des mariages en belles robes etcetera, et puis ben longtemps après, quand on est allé rue Sainte Catherine, on a vu que il y avait à côté l’église Saint Polycarpe, alors je pense qu’il avait à l’époque des mariages à Saint Polycarpe.
(Musique)
Journaliste
L’amitié chrétienne dans les jours précédents, prévenue et aidait de nombreux réfugiés. Cette association officielle groupe des organismes catholiques protestants et juifs. Elle est patronnée par les autorités mais animée en fait par des opposants farouches au régime de Vichy. Ils sauveront des familles entières comme les Silberman qui avaient fui l’Autriche et les nazis.
(Musique)
René Nodot
Cette famille disait si on n’avait pas eu confiance a Monsieur [Pierre Bourne], on n’aurait pas cru ce qu’il nous disait. On a dit mais on ne risque absolument rien à Lyon. Ah les, les, les allemands ne sont pas à Lyon, les allemands sont hélas entrés en mois de novembre, enfin en mois d’août, il y avait aucun allemand à Lyon. Tout a été le fait de la police française et c’est ce qui est particulièrement effrayant.
(Musique)
Journaliste
Près de 1200 hommes, femmes et enfants sont regroupés dans un camp à Vénissieux. Les médecins choisissent d’hospitaliser plus d’une centaine de personnes. D’autres sortiront grâce aux papiers apportés par les militants de l’amitié chrétienne qui leur ouvre une des 11 possibilités d’exemption. Dans l’urgence de cette situation, les familles éclatent.
Rachel
Mon oncle, je ne sais pas. Et mon oncle on n’a jamais retrouvé trace. Lui il est porté disparu où qu’on se tourne, ni on l’a retrouvé a Auschwitz, ni nulle part. Par contre on a retrouvé la trace de ma tante en achetant le livre de Serge Klarsfeld, Les déportés juifs de France. On a donc retrouvé ma tante, elle a été, elle est restée 6 mois à Drancy et le 11 elle est partie dans le convoi 43, le 11 février 43. Le 11 février 43 et elle a été gazée 2 jours après, ils sont arrivés le 13 à Auschwitz et ils ont été tout de suite…
Journaliste
Fin août, à Vénissieux une véritable évasion collective est organisé en car. 108 enfants sont pris en charge par les associations religieuses. Malgré les recherches ordonnées par le préfet régional ils seront cachés jusqu’à la fin de la guerre. Avant de trouver une nouvelle famille, Rachel resta ainsi aux Château de [Pérince] dans la Drôme.
(Musique)
René Nodot
On a sauvé là tous les enfants, plus d’une centaine, alors qu’à Paris les enfants ont été déportés. 1000 enfants ont été déportés et ils sont tous morts. Aucun n’est revenu. C’est la grande différence je crois qu’il y a entre cette rafle terrible de Paris, les rafles du Vel’d’hiv dont on parle beaucoup parce qu’elles sont effrayantes et les rafles de Lyon qui ont tout de même assez partiellement échouées grâce justement à l’initiative de Lyonnais. De Lyonnais, de toute, de toute croyance mais unis pour sauver des êtres humains.
(Musique)
Journaliste
Le 29 août 1942, 545 personnes ont été déportées.