Les bons contes de Robert Guédiguian
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Résumé
Enregistrée à Cannes, l'émission Ciné Etoiles du 13 mai 1997 rend compte de l'excellent accueil que vient de recevoir Marius et Jeannette, « du Guédiguian tout craché », dit la journaliste, avant d'ajouter qu'il s'agit là du « petit bonheur de la semaine ». Après diffusion d'un extrait, Robert Guédiguian est interviewé. Il explique que cette histoire, volontairement racontée « au premier degré », est un « petit inventaire d'un certain nombre de valeurs fondatrices du peuple de gauche ». Il précise ensuite sa position par rapport à Pagnol, auquel on le compare inévitablement. Après un second extrait, Ariane Ascaride explique de son côté qu'il faut souvent passer par le particulier pour atteindre l'universel et prend l'exemple de Tchekhov qui a conçu son théâtre « à partir de ce qui se passait dans la maison familiale ». Un dernier extrait clôt le reportage.
Date de diffusion :
13 mai 1997
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Contexte historique
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Comme on le sent bien à travers l'archive proposée ici, Marius et Jeannette reçoit un accueil enthousiaste au Festival de Cannes 1997. Projeté en ouverture d'Un Certain Regard - la section art et essai de la sélection officielle - le film se clôt dans un tonnerre d'applaudissement. Dans les jours qui suivent, il est vendu dans de nombreux pays et finit primé dans sa section.
Pour le réalisateur venu avec toute sa troupe, Gérard Meylan (Marius) et Ariane Ascaride (Jeannette) en tête, voilà qui change agréablement ! Sa précédente sélection cannoise, en 1984, reste un mauvais souvenir (Rouge Midi, présenté dans la plus modeste des sélections parallèles, Perspectives du cinéma français, avait été mal accueilli). Et entre ces deux dates, il a été ignoré. Enfin, pas tout à fait...
Après l'échec de Rouge Midi, Guédiguian réalise deux films au ton assez désespéré : Ki lo sa ? qu'il tourne à toute vitesse, sans aucun budget - et qui ne sort même pas en salles - puis Dieu vomit les tièdes, tout aussi noir, tout aussi fauché et à peine moins rejeté. Fortement déprimé, Guédiguian est sur le point d'abandonner le cinéma quand, soudain, l'horizon s'éclaircit.
En 1991, Hervé Bourges, alors président de France Télévision, lance un appel à projets. Guédiguian postule via un script qui a pour cadre une des cités les plus pourries des Quartiers Nord de Marseille, mais qui n'en est pas moins le premier des allègres Contes de l'Estaque : L'Argent fait le bonheur. Cette fois, l'originalité paie : il se retrouve parmi les douze sélectionnés ! Non seulement il peut alors travailler, pour la première fois, dans des conditions de production normales, mais cet Argent fait le bonheur, qui s'avère très réussi, est sélectionné dans plusieurs festivals et reçoit des prix. Un « buzz » suffisant pour que le cinéaste puisse mettre en route, pour le cinéma cette fois, A la vie à la mort !. Plus abouti que ses premières œuvres, ce film rencontre un réel intérêt, et l'installe enfin parmi les « réalisateurs à suivre ».
L'évolution que l'on sent dans ces deux titres tient à plusieurs choses : d'abord sa propre maturation, ensuite l'efficace tandem qu'il forme désormais avec Jean-Louis Milési au scénario. C'est au cours de leurs cogitations communes que les deux compères avaient eu l'idée d'écrire L'Argent fait le bonheur sous forme de conte. La formule s'étant révélée riche de potentialités (et gagnante), ils décident, en 1996, de récidiver. Ils convoquent Boccace et son Décameron revu par Pasolini. Se souvenant d'une jubilatoire mise en scène d'Il campiello, de Goldoni, par Strehler, Guédiguian a par ailleurs l'idée de placer l'histoire dans le « petit théâtre » naturel que constitue l'habitat traditionnel de l'Estaque, ces petites maisons basses regroupées autour d'une cour. Il reprend enfin, sous un autre jour, des éléments de son premier film, Dernier été (le couple Ascaride / Meylan, le décor de la cimenterie, etc...). Et voilà qui fait, au bout du... conte, Marius et Jeannette. Produit par Arte, il s'agit statutairement d'un téléfilm. Mais, autre coup de pouce du destin, il obtient quand même d'être sélectionné à Cannes. On a déjà raconté la suite...
Le film fera deux millions et demi d'entrées en France, recevra une tonne de prix, circulera sur les cinq continents, lancera définitivement la carrière de l'Estaquéen et vaudra à Ariane Ascaride le César de la meilleure actrice.
Sur le moment, Marius et Jeannette ne va pourtant pas sans créer quelques malentendus. Guédiguian est étiqueté « Pagnol de gauche » - ce qui l'agace quelque peu, comme on le voit dans l'archive proposée - et soupçonné de vouloir reprendre le filon de la galéjade.
Ce procès d'intention tombe vite. Mis à part, en 2000, A l'attaque !, troisième et (pour l'instant) dernier Conte de l'Estaque, il ne touche plus à la comédie. Il investit des terrains sur lesquels on ne l'attendait guère, le magnifique Promeneur du Champ-de-Mars, par exemple, et sa filmographie est dominée par une tonalité sombre, voire très noire (La Ville est tranquille, Lady Jane).
Les Contes de l'Estaque, Marius et Jeannette en particulier, n'en constituent pas moins une des variations les plus intéressantes sur l'interrogation qui parcourt toute son œuvre : que faire, et comment vivre maintenant que les Grands Rêves ont été balayés ? La formule magique du conte, « Alors, on ferait comme si... », lui permet de réintroduire ces utopies généreuses sans lesquelles l'Homme n'est rien. Le spectateur n'est jamais dupé : des signes multiples lui indiquent qu'on lui montre la vie non pas telle qu'elle est, mais telle qu'elle devrait être. Ce spectacle du bonheur, de « l'aujourd'hui qui chante », agit néanmoins comme un adjuvant, apportant réconfort, énergie et espérance renouvelée en un monde meilleur. Lors de la rituelle conférence de presse cannoise, Guédiguian n'avait d'ailleurs pas manqué de préciser que le but de la manœuvre était de« réenchanter le monde ».
Et maintenant, s'il faut absolument faire un rapprochement entre ces Contes de l'Estaque et Pagnol, disons que oui, il y a bien un point commun : la truculence du verbe.
Bibliographie
Isabelle Danel, Conversation avec Robert Guédiguian, Les Carnets de l'Info, 2008.
Filmographie
Robert Guédiguian, Les contes de l'Estaque (L'argent fait le bonheur,1992, Marius et Jeannette, 1996, A l'attaque !, 2000) sont disponibles en dvd.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
Journaliste
Ici notre chéri, c’est Robert Guediguian qui est venu présenter hors compétition son dernier film Marius et Jeannette .Alors Marius et Jeannette , c’est du Guediguian tout craché.Cela se passe à l’Estaque dans le quartier populaire de Marseille évidemment, et c’est une histoire de femme construite autour de sa comédienne fétiche, Ariane Ascaride.Et puis, c’est une histoire d’amour, c’est tendre, c’est chaleureux, c’est réjouissant, bref c’est le petit bonheur de la semaine.
(Bruit)
Gérard Meylan
Eh, là-bas, arrête-toi !
Ariane Ascaride
Merde, il ne manquait plus que ça, un gardien.
(Bruit)
Ariane Ascaride
Ma maison va tomber en ruine si je ne mets pas une couche de blanc sur les murs.Elle est fermée depuis 6 mois cette usine, tout le monde les a oubliés ces malheureux pots de peinture.Si je ne les prends pas, ils vont pourrir sur place, tu pourrais me les donner ?
Gérard Meylan
Mais elle est barjot, tu es barjot ou quoi ?Tu crois qu’ils sont à moi ces pots de peinture, on me paie pour les garder, donne-moi tes papiers !
Ariane Ascaride
Mes papiers ?
Gérard Meylan
Oui, tes papiers.
Ariane Ascaride
Et en plus, tu vas me dénoncer aux flics, garde tes pots et lâche-moi.Elle n’est pas à toi cette usine, tu viens de me le dire, je n’ai pas de sous pour la peinture.Je vais pas aller en taule pour ça, je ne suis pas la fille Jean Valjean moi, alors je te laisse tes pots et je me barre.
Robert Guediguian
Je voulais absolument, non seulement raconter très bien cette histoire le mieux possible, en l'assumant, etc.La raconter franchement, sincèrement, au premier degré ;et à la fois effectivement, de faire une espèce de petit inventaire d’un certain nombre de valeurs, qui sont des valeurs qui me semblent être fondatrices en fait du peuple de gauche, en fait on pourrait dire.
Gérard Meylan
Arrête-toi un peu de parler et donne-moi tes papiers je te dis !
(Bruit)
Ariane Ascaride
Fasciste !
Gérard Meylan
Quoi, qu’est que tu as dit ?
Ariane Ascaride
J’ai dit fasciste, tu es un ouvrier comme moi, non ?Qu’est que tu en as à foutre de cette peinture, merde.Heureusement que je ne suis pas arabe, sinon tu m’aurais tiré dessus.
Gérard Meylan
Stop, tais-toi, prends tes papiers et vas-t’en !Chut, tais-toi, vas-t’en et en silence.
Journaliste
Si je fais une comparaison….
Ariane Ascaride
Et la peinture ?
Journaliste
Avec Marcel Pagnol, ça vous convient ou pas trop ?
Robert Guediguian
Pas trop, pas toujours, pas tout le temps, je ne sais pas comment dire.Il y a des choses que j’aime chez Pagnol et puis il y a des choses que je n’aime pas du tout.Je n’aime pas le côté bourgeoisie, je n’aime pas le côté vichyssois, je n’aime pas le côté de boutiquier, etc.Mais j’aime bien effectivement, j’allais dire, la tragédie de la terre chez Pagnol, l’endroit où effectivement il rejoint la méditerranée.J’aime bien quand il adapte Giono, et Giono était un bien plus grand auteur que Pagnol, c’est clair, donc Pagnol….
Ariane Ascaride
Et ton amoureux, il va monter à Paris l’année prochaine ?
Laëtitia Pesenti
Non !
Ariane Ascaride
Et comment vous allez faire alors ?
Laëtitia Pesenti
On n’est pas mariés.
Ariane Ascaride
Ah, je ne pense pas que ça va durer longtemps avec lui, 145 kilomètres de distance.
Laëtitia Pesenti
Je n’ai pas dit que je vais faire ma vie avec lui.
Ariane Ascaride
Oh, excusez-moi !
Pascale Roberts
Mais qu’est-ce que tu veux aller faire à Paris ?
Ariane Ascaride
Journaliste !
Pascale Roberts
Ah ben, c’est bien ça.
Laëtitia Pesenti
Pas pour maman.
Ariane Ascaride
Ah, je n’ai pas dit ça, j’ai dit que c’était loin, je n’ai pas dit que ce n’était pas bien.J’ai dit, c’est loin, c’est tout ce que j’ai dit, c’est loin.
Pascale Roberts
Ah, il en faut des journalistes issus de notre milieu, sinon ils ne parlent jamais de nous ou alors de traviole.
Laëtitia Pesenti
Merci Caroline !
Pascale Roberts
De rien ma petite, tu nous oublie pas, c’est tout.
Ariane Ascaride
J’ai le droit de dire que je trouve que Paris c’est loin, c’est quand même mon droit de dire que c’est un peu loin.Ce n’est quand même pas moi qui ai tracé la carte de France, sinon, j’aurais mis Paris à la place d’Aix-en-Provence.
Frédérique Bonnal
Mais remarque que ça nous aurait permis d’éliminer Aix une bonne fois pour toute.
Ariane Ascaride
Moi je dirais, vous savez, Anton Tchekhov, il écrivait des histoires qui racontaient bien souvent ce qui se passait dans la maison familiale, et après, il en faisait des pièces de théâtre.Et je crois qu’Anton Tchekhov est à peu près joué dans le monde entier.Ce qui est important, c’est quand on part du particulier comme ça, c’est d’arriver à l’universel.
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