Pandémie de COVID-19 : la désinfection à la javel des rues de Cannes

Le 25 mars 2020, alors que la France entière est entrée depuis quelques jours en confinement pour tenter de ralentir la propagation de l’épidémie de COVID-19, les caméras des chaînes de télévision régionales et nationales filment la désinfection des rues de Cannes par le personnel de la ville escorté par la police municipale. Équipés de combinaisons jaunes intégrales, de gants et de masques, les agents aspergent minutieusement la chaussée, les trottoirs et le mobilier urbain (bancs, rampes, barrières, abris bus, horodateurs, poubelles…) avec une solution bactéricide et virucide contenant trois pour cent d’eau de javel diluée. Cela permettrait de faire disparaître toute trace du coronavirus à peine quinze minutes après le passage à pied des agents du service de la propreté, et ceci sans causer de préjudices à l’environnement. Le produit est en effet, dans un second temps, rincé à grandes eaux après efficience. À la suite du traitement initial des abords des bâtiments publics, des hôpitaux, des laboratoires, des pharmacies, des maisons de retraite, des commissariats, des parcs ou des centres commerciaux, ces opérations de grande envergure auraient vocation à s’étendre aux deux-cents kilomètres de voirie municipale. Ces images rappellent des scènes similaires filmées quelques semaines auparavant en Chine centrale à Wuhan, berceau de l’épidémie, ou en Corée du Sud. David Lisnard, maire de Cannes, confirme face caméra que les actions chocs menées dans les pays asiatiques ont servi de source d’inspiration, à ce qui est présenté comme la première opération du genre en France. Confrontées à des problématiques similaires, d’autres villes de la Côte d’Azur, comme Nice ou Menton, mènent des opérations similaires de désinfection de l’espace public.

L’efficacité de cette débauche de moyens est toutefois relativisée le jour même par l’ancien chef du service des maladies infectieuses du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Nice, qui qualifie cette pulvérisation dans les rues cannoises de « poudre aux yeux » et de « fausse sécurité ». Il recommande plutôt aux habitants de se laver scrupuleusement les mains, de limiter les contacts et, pour ceux non indispensables à la bonne marche de l’économie, de rester chez eux. Le 4 avril, le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) rend un avis allant dans le même sens en concluant à « l’absence d’argument scientifique de l’efficacité d’une telle mesure », recommandant d’arrêter ce type d’opération de nettoyage à grande échelle. Il reconnaît toutefois « son impact psychologique sur la population ».

La dimension communicationnelle de ces images apparaît en effet évidente. Le but de la municipalité est de rassurer les habitants et de les inciter à respecter strictement la distanciation sociale en vigueur. Cité de bord de mer à l’ensoleillement généreux, Cannes attire en effet de nombreux retraités, qui sont la catégorie la plus exposée aux formes graves de la maladie. Il s’agit aussi de permettre aux Cannois de faire leurs courses essentielles avec un maximum de sécurité sanitaire, et ainsi préserver une partie des revenus des commerçants locaux. Station de villégiature réputée depuis le XIXe siècle, la ville doit aussi s’efforcer de donner, à l’échelle nationale et internationale, une image saine et rassurante d’elle même, dans la perspective de sauver, au moins en partie, sa future saison touristique. D’autant que les choses paraissent mal engagées, puisque l’annulation de la 73e édition du festival de Cannes, qui devait se tenir du 12 au 23 mai 2020, est d’ores-et-déjà annoncée. La municipalité de Cannes continue le mois suivant sa campagne de communication. Dès le 10 avril, la presse est invitée à assister à une expérimentation de désinfection aérienne des rues par drone dans le quartier de la Bocca. Pour la partie terrestre du dispositif, il est prévu l’utilisation de véhicules à plateau de type pick-up, permettant de projeter, sur une portée de quinze mètres, la solution désinfectante.  

Bibliographie 

• Patrick Zylberman, Oublier Wuhan. Essais sur l’histoire contemporaine des crises sanitaires, Paris, La fabrique, 2021.
• Patrick Zylberman et Antoine Flahault, Des épidémies et des hommes, Paris, La Martinière, 2008.