Réaction après Mers-el-Kébir

03 juillet 1940
06m 33s
Réf. 00303

Notice

Résumé :

L'analyse gaullienne de "l'affreuse canonnade d'Oran" tient en cinq points. L'homme du 18 Juin commence par replacer l'événement dans le contexte d'une guerre qui le dépasse ô combien : un drame est en cours "où chaque peuple joue sa vie". A deux reprises, il exprime la "douleur" et la "colère" qui sont les siennes comme elles doivent être celles des Françaises et des Français ; il invite les Britanniques à se garder de tout geste et de toute parole de victoire. En troisième lieu, de Gaulle invite les Français à considérer le drame d'Oran "du point de vue de la victoire et de la délivrance" ; compte tenu des termes de la convention d'armistice et de l'état de sujétion dans lequel se trouve le gouvernement français, il ne fait pas de doute à ses yeux que les navires de Gensoul auraient été employés par les Allemands contre les Britanniques voire contre l'Empire français ; mieux vaut par conséquent qu'ils aient été détruits. Mais, quatrième point, cet événement ne doit pas détourner Grande-Bretagne et France de la seule voie possible pour ces "deux vieux peuples", ces "deux grands peuples" : celle de l'alliance envers et contre tout. Et de Gaulle de conclure en affirmant au nom des "Français qui demeurent encore libres d'agir suivant l'honneur et l'intérêt de la France", c'est-à-dire des Français libres, que rien, pas même un drame tel que celui de Mers el-Kébir, ne les détournera de leur "dure résolution" de combattre.

Type de média :
Date de diffusion :
08 juillet 1940
Date d'événement :
03 juillet 1940
Type de parole :

Éclairage

Depuis la signature de l'armistice, le sort de la flotte de guerre française est au coeur des préoccupations britanniques. Qu'elle soit livrée aux Allemands et la Grande-Bretagne, menacée d'invasion, deviendrait plus vulnérable encore. L'article 8 de la convention dispose bien que la flotte française sera désarmée sous contrôle allemand. Mais il paraît hasardeux de faire confiance aux nazis. Le 3 juillet 1940, une escadre britannique commandée par le vice-amiral Sommerville se présente devant la rade de Mers el-Kébir, près d'Oran (Algérie), où mouille une puissante escadre française sous les ordres de l'amiral Gensoul. Celui-ci se voit offrir le choix entre cinq solutions : poursuivre la guerre au côté des Anglais, ou au moins rallier des ports britanniques ; appareiller pour les Etats-Unis ou les Antilles, loin du théâtre européen des opérations et de toute influence allemande ; saborder ses navires. Gensoul choisit la confrontation. Il demande l'intervention de groupes de chasse dont l'ordre d'engagement est donné avant même que les premières salves britanniques ne soient tirées. Mais la cause est rapidement entendue. Le 3 juillet, l'escadre française est complètement neutralisée. Le 6 juillet, le port est bombardé par les Britanniques. Au total, plus de 1.300 marins français sont tués et 2.000 blessés. La première réaction du général de Gaulle est extrêmement violente. Le Général songe même à quitter l'Angleterre pour le Canada. Mais il se ressaisit et, le 8 juillet, prononce un discours dans lequel la douleur et le sentiment de révolte s'effacent devant la lucidité et le froid réalisme.

Guillaume Piketty

Transcription

Charles de Gaulle
Dans la liquidation momentanée de la force française qui fait suite à la capitulation, un épisode particulièrement cruel a eu lieu le 3 juillet. Je veux parler, on le comprend, de l'affreuse canonnade d'Oran. J'en parlerai nettement, sans détour, car dans un drame où chaque peuple joue sa vie, il faut que les hommes de coeur aient le courage de voir les choses en face et de les dire avec franchise. Je dirai d'abord ceci. Il n'est pas un Français qui n'ait appris avec douleur et avec colère que des navires de la flotte française avaient été coulés par nos alliés. Cette douleur, cette colère viennent du plus profond de nous-même. Il n'y a aucune raison de composer avec elle. Et quant à moi, je les exprime ouvertement. Aussi, m'adressant aux Anglais, je les invite à nous épargner et à s'épargner à eux-mêmes toute représentation de cette odieuse tragédie comme un succès naval direct. Ce serait injuste et déplacé. Les navires d'Oran étaient, en réalité, hors d'état de se battre. Ils se trouvaient au mouillage sans aucune possibilité de manoeuvre ou de dispersion, avec des chefs et des équipages rongés, depuis quinze jours, par les pires épreuves morales. Ils ont laissé aux navires anglais les premières salves qui, chacun le sait, sont décisives sur mer à de telles distances. Leur destruction n'est pas le résultat d'un combat glorieux. Voilà ce qu'un soldat français déclare aux alliés anglais avec d'autant plus de netteté qu'il éprouve, à leur égard, plus d'estime en matière navale. Ensuite, m'adressant aux Français, je leur demande de considérer le fond des choses du seul point de vue qui doivent, finalement, compter, c'est-à-dire du point de vue de la victoire et de la délivrance. En vertu d'un engagement déshonorant, le gouvernement qui fut à Bordeaux avait consenti à livrer nos navires à la discrétion de l'ennemi. Il n'y a pas le moindre doute que, par principe et par nécessité, l'ennemi les aurait employés soit contre l'Angleterre, soit contre notre propre empire. Et bien, je dis sans ambages qu'il vaut mieux qu'ils aient été détruits. J'aime mieux savoir même le Dunkerque, notre beau, notre cher, notre puissant Dunkerque échoué devant Mers El-kébir que de le voir, un jour, monté par des Allemands, bombarder les ports anglais ou bien Alger, Casablanca, Dakar. En amenant cette canonnade fratricide, puis en cherchant à détourner sur les alliés trahis l'irritation des français, le gouvernement qui fut à Bordeaux est dans son rôle, dans son rôle de servitude. En exploitant l'événement pour exciter, l'un contre l'autre, le peuple anglais et le peuple français, l'ennemi est dans son rôle, dans son rôle de conquérant. En tenant le drame pour ce qu'il est, je veux dire pour déplorable et détestable, mais en empêchant qu'il ait, pour conséquence, l'opposition morale des Anglais et des Français, tous les hommes clairvoyants des deux peuples sont dans leur rôle, dans leur rôle de patriotes. Les Anglais qui réfléchissent ne peuvent ignorer qu'il n'y aurait, pour eux, aucune victoire possible si jamais l'âme de la France passait à l'ennemi. Les Français dignes de ce nom ne peuvent méconnaître que la défaite anglaise scellerait, pour toujours, leur asservissement. Quoi qu'il arrive, même si l'un des deux est, pour un temps, tombé sous le joug de l'ennemi, nos deux vieux peuples, nos deux grands peuples demeurent liés l'un à l'autre. Ils succomberont tous les deux ou bien ils gagneront ensemble. Quant à ceux des Français qui demeurent encore libres d'agir suivant l'honneur et l'intérêt de la France, je déclare en leur nom qu'ils ont, une fois pour toute, pris leur dure résolution. Ils ont pris, une fois pour toutes, la résolution de combattre.