Les politiques culturelles de l'après-guerre à aujourd'hui : la décentralisation remise en cause
Introduction
La décentralisation théâtrale fut une des politiques culturelles les plus importantes en France. Mise en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle a entièrement redessiné le paysage culturel français, et les installations qui existent aujourd'hui sur tout le territoire en témoignent. Mais l'idée de la décentralisation avait déjà germé au début du XXe siècle, bien avant que l'Etat n'accompagne le projet. Plusieurs initiatives ont vu le jour dans l'entre-deux-guerres, avant d'être arrêtées pour des raisons financières ou historiques. Elles montrent que le souci d'élargir le public du théâtre au-delà de Paris, et au-delà de certaines classes sociales aisées, était présent bien avant que l'Etat n'accepte d'engager une politique culturelle à proprement parler.
Quelques expériences de décentralisation avant l'heure : 1911-1945
En 1911, Firmin Gémier, qui souhaite que la création théâtrale dépasse les frontières de Paris, crée le Théâtre National Ambulant. Il s'équipe d'un chapiteau de 1650 places et de locomotives pour permettre à la compagnie de voyager à travers la France. L'expérience ne dure malheureusement que deux saisons, faute de moyens et de solutions techniques. Firmin Gémier ne reçoit en effet aucune subvention. Par ailleurs les locomotives que le Théâtre National Ambulant a construit s'avèrent inadaptées aux routes de l'époque.
Histoire du TNP
[Format court]
Une animatrice, au Centre de formation sociale de Maltot (Basse-Normandie), en milieu rural, présente l'histoire du TNP, avec plusieurs diapositives. Elle remonte à la fondation du TNP par Firmin Gémier, puis elle aborde la direction de Jean Vilar en 1951 au Palais de Chaillot.
Après avoir renoncé à ce projet de décentralisation, Firmin Gémier devient directeur du Théâtre National Populaire au Palais de Chaillot en 1920, où il continue à travailler à un théâtre moins élitiste.
En 1924, Jacques Copeau, alors directeur du Théâtre du Vieux-Colombier à Paris, qu'il a fondé en 1913, décide de quitter la capitale avec sa troupe pour s'installer à Pernand-Vergelesses en Bourgogne. Il réaménage une grange en salle de spectacle et crée des classiques joués dans les villages alentours. L'idée de Copeau essaime puisque Léon Chancerel, qui fait partie des copiaus, crée en 1929 Les Comédiens routiers, compagnie amateur qui s'insère dans le mouvement du scoutisme français. La compagnie propose un théâtre pour la jeunesse exigeant et accessible aux milieux populaires. Dans le même temps, certains groupes tentent de sortir le théâtre de son carcan bourgeois - comme le groupe Octobre, né en 1932 - et de créer un théâtre prolétarien.
Un peu plus tard, en 1936, André Clavé, metteur en scène et comédien, crée une compagnie qu'il nomme Les Comédiens de la Roulotte. Ensemble, ils partent sur les routes de l'est de la France. Jean Vilar rejoint la Roulotte en 1940.
Ces quelques exemples montrent à quel point le besoin d'un théâtre différent se fait sentir dans la première partie du XXe siècle. Beaucoup d'hommes de théâtre remettent en cause le système de production et de diffusion d'œuvres théâtrales en France, toutes centralisées à Paris, et la plupart du temps accessibles uniquement à un public aisé. Cette réflexion s'accompagne d'une remise en question esthétique et dramaturgique : tous refusent un théâtre de divertissement, d'une qualité scénique et dramatique pauvre. Cela passe par un allègement des effets scéniques, et un recentrage sur le jeu des acteurs et la mise en scène.
1946 : une politique de décentralisation théâtrale
Durant la Seconde Guerre mondiale, la plupart de ces expériences ont disparu, du fait, notamment, de l'Occupation. La circulation est devenue difficile, les conditions de vie se sont dégradées et en 1945, le temps est à la reconstruction de la France. Dans le gouvernement de l'après-guerre, il n'y a pas plus de place pour un ministère de la culture qu'auparavant. Une femme haut-fonctionnaire va pourtant changer le cours des choses. Il s'agit de Jeanne Laurent, d'abord nommée secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts en 1939, avant d'entrer dans la résistance, puis en 1946 sous-directrice des spectacles et de la musique à la direction générale des Arts et Lettres au ministère de l'Éducation nationale. Dès son entrée en fonction à la sous-direction des spectacles, elle prend conscience de la nécessité d'une décentralisation dramatique. Sa nomination, conjuguée aux efforts de plusieurs compagnies situées en province, notamment le réseau Education populaire, donne lieu à la création des premiers centre dramatiques nationaux en France.
Le Théâtre de Bourgogne : Centre Dramatique
[Format court]
Jacques Fornier présente le Théâtre de Bourgogne après une session de répétition. Il explique comment fonctionne un théâtre comme le Théâtre de Bourgogne, avec tous ses corps de métier. Il s'attarde également sur la question du public, et de l'accessibilité des pièces aux différents publics, scolaires, adultes, initiés, etc.
Le tout premier est créé à Colmar suite à une initiative régionale : la mise en place d'un Syndicat Intercommunal pour la gestion d'un théâtre qui doit mener à la création d'une troupe régionale. Constatant une dynamique locale forte, autant de la part des élus que par la présence de plusieurs troupes itinérantes sur ce territoire (comme celles de Léon Chancerel, André Clavé ou Louis Ducreux), Jeanne Laurent décide de donner le statut de Centre Dramatique National (CDN) à cette troupe régionale. En 1946, le Centre Dramatique de l'Est est né, il devient CDN en 1947.
Il est dirigé par Roland Pietri lors de la première saison. Mais dès 1947, c'est André Clavé qui le reprend et y adjoint immédiatement une école d'art dramatique, qui devient la spécificité de ce centre dramatique et qui existe encore aujourd'hui au sein du Théâtre National de Strasbourg.
La même année, la Centre Dramatique de la Cité des Mineurs, renommé Comédie de Saint-Etienne, obtient également le statut de CDN. La troupe, créée par Jean Dasté, s'installe à Saint-Etienne en 1947. Elle est auparavant située dans la région de Grenoble, où elle joue notamment dans les usines depuis sa création, en 1945.
Trois autres centres dramatiques nationaux vont ouvrir leurs portes dans la décennie qui suit, couvrant ainsi une large partie du territoire. D'abord le Centre Dramatique de l'Ouest en 1949, qui se crée à partir de la compagnie les Jeunes Comédiens de Rennes, fondée par Guy Parigot et Jean-Louis Bertrand en 1940.
La même année, le Grenier de Toulouse obtient également ce statut, après de longues négociations avec Jeanne Laurent.
Jeanne Laurent à propos de Charles Dullin et du Grenier de Toulouse
[Format court]
Jeanne Laurent raconte l'intervention de Charles Dullin en faveur de la troupe du Grenier de Toulouse. Elle évoque les difficultés des jeunes compagnies pour survivre et l'épisode de qui a permis au Grenier de Toulouse de poursuivre son travail.
Le Grenier de Toulouse en tournée
[Format court]
On suit ici une étape dans la vie de la troupe du Grenier de Toulouse, dirigée par Maurice Sarrazin, de l'arrivée du car, jusqu'au démontage et au départ de la troupe vers une autre ville. Le Grenier présente La Nuit des Rois de Shakespeare, dont on voit quelques extraits. On assiste au montage, repas, maquillage, habillage, préparation, puis démontage.
Comme son nom l'indique, le Grenier de Toulouse est implanté dans la région toulousaine. Créé autour de Maurice Sarrazin, Simone Turck, Jacques Duby et Pierre Nègre en 1945, son rattachement aux CDN aura été complexe, car Maurice Sarrazin a longtemps refusé de se voir imposer un co-directeur parisien, comme ce fut le cas pour Hubert Gignoux à Rennes. Il faut l'intervention de Charles Dullin pour que les négociations aboutissent.
Enfin, en 1952, la Comédie de Provence obtient à son tour le statut de CDN, l'année où son créateur, Gaston Baty, meurt. Les cinq premiers CDN sont donc répartis de manière à rayonner dans l'ensemble des régions. La plupart des troupes sur lesquelles s'est appuyée Jeanne Laurent sont passées par le concours des Jeunes Compagnies, né en 1946, qui récompense les jeunes talents du théâtre. Malgré des désaccords sur la façon de procéder, elles ont toutes en commun ce désir de renouveler l'art du théâtre et de permettre à un public le plus large possible d'en profiter. Chaque centre dramatique effectue donc des tournées dans la région où il est situé, essayant de jouer dans des villages reculés, où il n'y a pas forcément de structures adéquates à l'accueil des spectacles. Par ailleurs, la plupart n'ont même pas de lieu dans leur ville d'origine ; le soutien de l'Etat se caractérise par une subvention de fonctionnement, mais ne s'accompagne pas immédiatement de la création de structures d'accueil. À ces cinq CDN, on peut rajouter la reprise du Théâtre National Populaire (TNP) par Jean Vilar en 1951, qui s'inscrit dans la même dynamique.
Jeanne Laurent doit cependant essuyer de vives critiques de la part des directeurs de théâtres privés parisiens, qui voient d'un mauvais œil les subventions accordées à ces jeunes compagnies. Ces critiques, le plus souvent relayées par la presse, en plus de désaccords au sein de son ministère, mènent à sa mutation en 1952.
Les années Malraux
Il faut alors attendre 1959, et la création du Ministère des Affaires Culturelles, confié à André Malraux, pour que la décentralisation entre dans une nouvelle étape de son histoire. Convaincu par l'idée d'un théâtre de « service public », et par la nécessité de créer un réseau de lieux culturels le plus large possible, André Malraux annonce dès son arrivée la mise en place de Maisons de la Culture. Le plan initial prévoyait une Maison de la Culture dans chaque département. Ce plan n'a pas abouti, mais plusieurs Maisons ont tout de même été implantées. La première est créée au Havre en 1961.
Ouverture de la Maison de la Culture de Bourges : Malraux et De Gaulle
[Format court]
André Malraux et le général de Gaulle font chacun un discours pour l'inauguration de la maison de la culture de Bourges en 1964. C'est à cette occasion que De Gaulle parle de la culture comme de la « condition sine qua non de notre civilisation ».
L'ambition d'André Malraux est la création de structures pluridisciplinaires, dans lesquelles tous les arts doivent se côtoyer sans prendre le pas les uns sur les autres. Elles doivent également s'appuyer sur un réseau d'animateurs socio-culturels, et procéder à leur formation. Elles ne sont donc pas en concurrence avec les CDN. Dans la réalité, les Maisons de la Culture vont la plupart du temps se créer autour des réseaux d'art dramatique qui existent déjà en France, suite à la première vague de décentralisation. La plupart des directeurs de Maisons sont metteurs en scène ou directeurs de troupe.
Dans le même temps, le Ministère continue de transformer plusieurs théâtres en CDN, par exemple la Comédie de Bourges de Gabriel Monnet. En 1968, les villes de Caen, Bourges, Thonon, Firminy, Amiens, Reims et Grenoble possèdent chacune leur Maison de la Culture.
Ouverture de la Comédie de Caen
[Format court]
Jo Tréhard inaugure une salle paroissiale transformée en théâtre pour accueillir la Comédie de Caen. Pour la semaine d'ouverture, plusieurs artistes de la chanson se produiront : Catherine Sauvage, Atahualpa Yupanqui, les frères Jacques, Claude Nougaro. Jo Tréhard présente ensuite la programmation théâtrale de la Comédie de Caen et ses projets à long terme.
Le cas le plus atypique est celui du Théâtre de l'Est Parisien (TEP), créé par Guy Rétoré, qui obtient le statut de Maison de la Culture en 1963. La décentralisation est à l'œuvre à l'intérieur même de Paris, dans les quartiers populaires où il n'existe jusqu'alors presque aucune structure culturelle. Le TEP, installé à Ménilmontant, devient un CDN en 1968.
Le TEP de Guy Rétoré
[Format court]
Après une présentation par Guy Rétoré du TEP (Théâtre de l'Est Parisien), plusieurs spectateurs, principalement ouvriers, sont interviewés. Ils racontent comment ils en sont venus à prendre des abonnements collectifs au théâtre, notamment grâce au car mis en place par le théâtre depuis Montreuil. On voit également quelques extraits de On ne sait jamais tout de Pirandello.
Le tournant des années 60
Au début des années 60, une nouvelle génération, dont fait partie le TEP, s'empare de la décentralisation, et l'associe à un théâtre politique, adressé aux classes laborieuses. La décentralisation s'est jusqu'ici concentrée sur la province, les années 60 sont celles de l'établissement de théâtres en banlieue parisienne. Ainsi, en 1965, Pierre Debauche et sa compagnie crée un festival sous chapiteau au lieu dit « Côte des Amandiers » à Nanterre, non loin des bidonvilles dans lesquels dorment nombre de travailleurs immigrés. Pierre Debauche décide notamment de créer des spectacles en plusieurs langues, accessibles aux immigrés portugais et maghrébins. Le festival devient annuel et donne lieu à la construction d'une Maison de la Culture en 1969, puis d'un théâtre, le Théâtre Nanterre-Amandiers, devenu CDN en 1971.
Les débuts du Théâtre des Amandiers à Nanterre, avec Pierre Debauche
[Format court]
Pierre Debauche est interviewé autour de son projet théâtral à Nanterre. Il a installé un chapiteau sur un terrain vague et propose un festival durant le mois de mai 1965, adressé à tous les publics de Nanterre ; enfants, adultes, travailleurs immigrés... Il propose notamment un spectacle joué en quatre langues : arabe, français, espagnol et portugais.
Quelques années auparavant, Gabriel Garran, metteur en scène, se bat pour créer un théâtre permanent en banlieue parisienne. Sa rencontre avec Jack Ralite, à Aubervilliers, est décisive. Un chantier pour la construction d'un théâtre sur la commune commence en 1961. Durant les quatre années de travaux, Gabriel Garran propose un festival dans le gymnase d'Aubervilliers, où il présente notamment La Tragédie optimiste de Vsevolod Vichnevski, L'Étoile devient rouge de Sean O'Casey ou encore Coriolan de William Shakespeare. N'ayant pas obtenu le statut de Maison de la culture, le bâtiment est entièrement construit sous l'égide de la Mairie d'Aubervilliers. Le théâtre, alors nommé Théâtre de la Commune, obtient finalement le label CDN en 1971.
La naissance du Théâtre de la Commune d'Aubervilliers
[Format court]
Gabriel Garran raconte comment il en est venu à fonder le Théâtre de la Commune d'Aubervilliers. Il explique pourquoi il a voulu ouvrir un théâtre permanent en banlieue parisienne, la difficulté à convaincre les municipalités et sa rencontre avec Jack Ralite.
D'autres initiatives se créent un peu partout dans la petite couronne de Paris, comme la création de l'Ensemble Théâtre de Gennevilliers, dirigé par Bernard Sobel en 1963, ou l'arrivée de Jacques Roussillon à la tête du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis.
Les événements de mai 68 viennent bousculer le petit monde théâtral. Le Théâtre de l'Odéon est occupé par des étudiants, le festival d'Avignon envahi par des manifestations et les théâtres de la décentralisation sont accusés d'être devenus les lieux de la culture d'Etat et d'avoir reproduit l'élitisme auquel ils tentaient d'échapper. En mai 1968, un très grand nombre de directeurs de Maisons de la Culture se réunissent au Théâtre de la Cité de Villeurbanne, à l'invitation de Roger Planchon. Ils souhaitent discuter de l'avenir des Maisons de la culture. Ils aboutissent à une déclaration commune, la Déclaration de Villeurbanne, qui reprend trois point essentiels : la formation, la création et l'action culturelle. Cette déclaration est signée par trente-trois directeurs d'institutions culturelles et apporte son soutien aux étudiants et aux grévistes.
Extrait de la Déclaration de Villeurbanne
[Format court]
Cette lecture est un extrait de la Déclaration de Villeurbanne du 25 mai 1968, signée par les directeurs de la plupart des Maisons de la Culture de l'époque, alors réunis dans l'espoir de faire entendre leurs doléances et leurs revendications concernant l'avenir d'un service public culturel en France.
Suite à la Déclaration de Villeurbanne, un comité permanent se met en place pour approfondir les questions abordées lors de la réunion de mai. Ce comité se met alors en relation avec le Ministère des Affaires Culturelles. Malheureusement, les négociations n'aboutissent pas à des actions concrètes. Progressivement les Maisons de la Culture sont abandonnées. D'autres structures se mettent en place dans les décennies suivantes, comme les Centres d'Action Culturelle (CAC) puis les Centres de Développement Culturel. Toutes ces entités sont réunies en 1991 sous le label Scènes Nationales.
Quel héritage ?
Les CDN continuent également de se développer dans les années qui suivent ; les Tréteaux de France créés par Jean Danet sont labellisés en 1974.
Marcel Maréchal présente les Tréteaux de France
[Format court]
Les Tréteaux de France, créés par Jean Danet, sont repris par Marcel Maréchal. On suit la troupe dans son installation sur la commune de Rugles ; montage du chapiteau et de la scène, accueil du public, cantine et installation sous la pluie. Quelques extraits de Ruy Blas de Victor Hugo sont présentés.
Par ailleurs, la mise en place d'un réseau de théâtres en banlieue parisienne s'étend jusqu'au milieu des années 80 (l'Ensemble Théâtral de Gennevilliers et le Théâtre Gérard-Philipe deviennent CDN en 1983).
Réouverture du Théâtre de Gennevilliers
[Format court]
Le Théâtre de Gennevilliers rouvre ses portes après de longs travaux. C'est Bernard Sobel qui dirige le lieu. Il présente les nouveaux équipements et les projets à venir. Il précise qu'il a travaillé sur le projet de réaménagement, ce qui fait de ce théâtre le lieu idéal pour travailler.
Le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, dirigé par Stanislas Nordey
[Format court]
Stanislas Nordey, nouvellement arrivé à la direction du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, entend ouvrir le théâtre sur la ville et retrouver l'idéal d'un théâtre citoyen, espace de rencontre. Il inaugure une nouvelle formule, avec des répétitions ouvertes au public, des discussions et des représentations. Philippe Boulay, metteur en scène, parle de sa dernière création.
Mais les inquiétudes soulevées en mai 68 par les signataires de la Déclaration de Villeurbanne n'ont fait que se confirmer avec le temps. Petit à petit, les théâtres de la décentralisation – qui avaient pour objectif de faire du théâtre un « service public », touchant le public le plus large possible tout en conservant une exigence artistique – sont devenus des structures au lourd fonctionnement administratif, de plus en plus soumises aux lois économiques. Les tournées régionales ont disparu, et les théâtres se sont repliés sur eux-mêmes. Le jeu des nomination impose des directeurs qui ne connaissent pas obligatoirement le territoire où ils arrivent, s'éloignant du travail de terrain que revendiquaient les troupes des années 50. La notion même de troupe n'est plus d'actualité : la plupart des théâtres n'ont plus les moyens d'avoir une compagnie permanente.
« L'abandon graduel d'un certain idéal du travail collectif au service du public et à travers un territoire semble inexplicable si l'on s'en tient aux déclarations des uns à Villeurbanne, aux opinions des autres à Paris ou Avignon. Elle se comprend mieux au regard de la stagnation des budgets et de l'évolution de la condition du comédien, car l'instauration en 1969 d'un régime spécifique d'allocation chômage pour les artistes et techniciens du théâtre offre une solution de substitution à l'emploi permanent. » [1]
En 1987, Jack Ralite, sénateur et rapporteur du budget du cinéma à l'Assemblée Nationale, lance un appel aux acteurs de la culture. L'initiative remporte un grand succès dans le secteur de la culture et devient les états généraux de la culture. Après un tour de France, qui finit au Zénith de Paris en novembre 1987, une déclaration des droits de la culture est lancée, qui refuse notamment que la culture soit réduite à une marchandise. Le mouvement se poursuit mais perd de son ampleur.
1987 : les états généraux de la culture
[Format court]
À l'initiative de Jack Ralite, les états généraux de la culture voient le jour en 1987. Un très grand nombre d'artistes et d'acteurs du secteur culturel de tous bords se rallient à ce mouvement. Le mouvement aboutit notamment à une déclaration des droits de la culture et pèse dans les négociations sur la culture à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Plusieurs autres manifestations ont lieu dans les années qui suivent comme le mouvement des intermittents contre la remise en cause de leur statut, qui donne lieu à l'unique annulation du festival d'Avignon, en 2003.
L'annulation du 57e festival d'Avignon : le conflit des intermittents
[Format court]
En 2003, Bernard Faivre d'Arcier prend la décision d'annuler la 57ème édition du festival d'Avignon, suite au conflit des intermittents et à la grève reconductible menée par les artistes et techniciens. C'est la première annulation de l'histoire du festival IN.
Aujourd'hui, la décentralisation théâtrale semble loin derrière nous. Pourtant, tout notre système culturel s'est construit sur les luttes de ces troupes de l'après-guerre, qui rêvaient d'un autre rapport au public. Ces rêves sont toujours d'actualité ; l'aide de l'Etat et des collectivités n'a pas réglé la question de l'accessibilité de la culture. La France possède actuellement un réseau de structures culturelles impressionnant, répartis sur l'ensemble du pays. Il semble presque banal d'avoir un théâtre dans n'importe quelle ville, de pouvoir accéder à des activités culturelles un peu partout. Malgré cela, on peut regretter que ces structures soient sans cesse remises en cause, et que la question du public ait peu à peu laissé la place à celle de la rentabilité, nous rappelant qu'il est encore nécessaire de réfléchir et d'agir pour un théâtre de « service public ».
[1] Wallon Emmanuel, « Théâtre public : des pionniers aux héritiers » in L'Observatoire, Observatoire des politiques culturelles de Grenoble, n° 27, hiver 2005, p. 63-64
Bibliographie
-
Abirached Robert (sld), La Décentralisation théâtrale, 1. Le Premier âge 1945-1958, Actes Sud Papiers, Les Cahiers Théâtre/éducation, n°5, 1992.
-
Abirached Robert (sld), La Décentralisation théâtrale, 2. Les Années Malraux 1959-1968, Actes Sud Papiers, Les Cahiers Théâtre/éducation, n°6, 1994.
-
Abirached Robert (sld), La Décentralisation théâtrale, 3. 1968, le tournant, Actes Sud Papiers, Les Cahiers Théâtre/éducation, n°8, 1994.
-
Abirached Robert (sld), La Décentralisation théâtrale, 4. Le Temps des incertitudes 1969-1981, Actes Sud Papiers, Les Cahiers Théâtre/éducation, n°9, 1995.