Transversalité des arts du mime et du geste
Avant-propos : Pourquoi parler des « Arts du mime et du geste » ?
La France est le berceau du « mime », grâce aux figures tutélaires qui ont marqué de leur talent l'histoire de cet art - E. Decroux, J.L. Barrault, M. Marceau, J. Lecoq -, même si aucun d'entre eux ne se reconnaissait dans une image unique (voir parcours « Le mime à travers l'histoire »)
Mais depuis les années 70, beaucoup de compagnies ne se reconnaissent pas dans le mot « Mime », soit que l'esthétique de leur travail est très éloignée de l'image majoritaire de la pantomime blanche, soit qu'en acceptant ce nom ils laissent perdurer une ambiguïté qui trouble autant les directeurs de théâtre et de festival que le grand public.
Cependant ces artistes se sentent concernés, de par leur formation, ou par l'aspect narratif ou dramatique de leur gestualité ou de leur mouvement, par le mot mime ou d'une manière plus large par la mimésis . Ils se revendiquent d'un travail sur le geste, sur un corps dramatique voire narratif, sur un mouvement théâtral, sur des images corporelles signifiantes.
C'est pourquoi le terme « Arts du mime et du Geste » est né, une nouvelle appellation plus générique sous laquelle tous ces artistes pourraient se regrouper. [1]
[1] Ce terme est né des recherches menées au sein du groupe de travail GLAM, (Groupe de Liaisons des Arts du Mime du Geste), créé en 2008. Il souhaite d'une part faire connaître et pérenniser les enseignements des maîtres du passé, et d'autre part, élaborer une dynamique de reconnaissance et de visibilité tant de la part des institutions que du public pour tous ces artistes « oblitérés » par l'appellation « mime ».
Le Mime antique
Le paradoxe autour du sens du mot mime semble remonter fort loin :
Cinq siècles avant Jésus-Christ, en Grèce, le mot mime existe déjà mais c'est un genre littéraire, un genre mineur mais populaire, plein de jurons, de plaisanteries grossières et triviales. Les acteurs jouent à l'orchestre, devant le proscenium, sans masque, le visage noirci ou coloré. On est loin de la pantomime blanche. Plus tard, vers 240 av JC, un grand acteur, Livius Andronicus, perd la voix et obtient du public de faire dire son texte par un jeune esclave pendant qu'il joue et exécute les mouvements. Pour l'acteur, texte et geste se dissocient : c'est la naissance d'une pantomime muette. Et pendant de nombreux siècles les mimes parlants et les mimes muets se côtoient, se rencontrent, se multiplient. Le geste croise le mot, le mot croise le geste.
À cette époque le mot pantomime a un sens large de « tout imitateur ».
Les débuts du Mime au XXe siècle
C'est finalement plus de 20 siècles plus tard, qu'après de nombreuses disparitions, mutations, restrictions, amplifications, souvent en rapport avec l'interdit de parole, qu'un certain art théâtral du corps, du geste, du mouvement souhaite se retrouver sous l'appellation « Arts du mime du geste ».
L'école du Vieux-Colombier
La richesse de l'art du mime prend très probablement ses racines, dans les années 20, à l'école du Vieux-Colombier dirigé par Jacques Copeau et Suzanne Bing.
Dans cette école la pluridisciplinarité est constitutive de la conception d'un certain acteur qui appuie son jeu théâtral sur le corps en mouvement: le travail du masque, du clown, de l'acrobatie, de l'escrime, de la danse, la pratique de l'improvisation appellent déjà à cette forme de théâtre qui « s'écrit en se faisant » (Étienne Decroux, Parole sur le mime, 1963). Paradoxalement, on ne trouve pas de trace dans cette école de l'enseignement de la pantomime du XIXe siècle. Louis Jouvet a tenté de persuader Jacques Copeau du bien-fondé de cette technique pour l'acteur, mais Copeau lui a trouvé de la désuétude... Par contre, la pantomime est enseignée à l'opéra de Paris par Georges Wague, professeur de mime de l'écrivain Colette, car se jouent à l'époque de nombreux ballets-pantomime datant de la période romantique ou du début du siècle. Une forme transversale avant l'heure ?
Deux figures tutélaires
De cette école naissent deux grands courants majeurs qui alimenteront chacun à leur manière cette transversalité contemporaine : Etienne Decroux et Jacques Lecoq. Le premier, chercheur pendant plus de 50 ans, révèle, au-delà d'une oeuvre esthétique très personnelle, mais peu publique, les principes généraux et fondamentaux d'un mouvement dramatique, qui comme on le verra par la suite, va nourrir à bien des égards les autres arts de la scène. Le second, pédagogue de talent, inscrit par un enseignement plus général le jeu de l'acteur dans le corps et le mouvement, formant aussi bien des acteurs, que des mimes, des clowns, des auteurs ou des metteurs en scène.
L'un et l'autre replacent le corps au centre de la scène théâtrale.
Les principes des Maîtres du Mime
Etienne Decroux
Etienne Decroux, fortement inspiré par la théorie de la sur-marionnette d'Edward Gordon Craig, analyse et nomme, entre autres, les principes de mouvements du corps dramatique (articulation, segmentation, chronologie, hiérarchie, fixation, cristallisation, additions et soustractions segmentaires, ondulations progressives ou dégressives, contradictions, contrepoids, figures et marches, etc). Il propose, en somme, une grammaire quasiment incontournable pour la lecture du corps en mouvement de l'acteur, lui permettant de faire le portrait des choses, des actions, de la pensée. Par le jeu du « portrait du portrait », il demande à l'acteur de s'éloigner peu à peu de la référence mimétique pour tendre vers une forme d'abstraction incarnée, sensible, jouée et souvent lyrique. C'est pourquoi certains chorégraphes se sentiront attirés par sa proposition de lecture du corps. Tout corps en scène va pouvoir s'inscrire dans une terminologie et une écriture du mouvement nommée et repérée. On pourrait dire que Decroux, d'une certaine manière, continue, pour le mime, le travail que Rudolph Laban a développé au début du XXe siècle pour la danse.
Jacques Lecoq
Jacques Lecoq, de son côté, développe une pensée sur l'art et la création qui passe par une pratique. Il élabore une école davantage orientée vers la formation d'un acteur créateur que vers un interprète d'un texte littéraire existant. Son travail ouvre de nombreux champs de recherche qui nourrissent les arts de la scène, entre autres : le choeur, le masque neutre, larvaire ou expressif, la Commedia dell'arte, le clown ou le bouffon, les architectures scéniques prolongeant le corps (par son laboratoire de recherche, le LEM), et généralement, le mouvement théâtral. Lecoq est le pédagogue d'un théâtre de la nature humaine qui engage ses élèves à se révéler, dans une recherche d'un théâtre du geste au présent et qui prend la parole.
L'apport de ces deux artistes et pédagogues est déterminant pour l'avenir du geste théâtral. Le geste quitte le simple caractère descriptif ou évocatif, (voire même parfois simplement informatif) d'une certaine pantomime - ou parfois le geste remplace le mot -, vers une dimension dramatique ou poétique au sens large, où le geste se fait métaphorique.
Pour en savoir plus, voir le site de l'école Jacques Lecoq .
Marcel Marceau
Par ailleurs, même si Marcel Marceau représente une référence esthétique assez unique, incarnée par lui-même, il est à l'origine de l'Ecole Internationale de Mimodrame de Paris, fermée en 2005, dans laquelle sont enseignées des disciplines complémentaires (danse classique, escrime, mime corporel, jeu dramatique...).
Interprétation de Marcel Marceau sur le Concerto pour piano n°21 de Mozart
[Format court]
Marcel Marceau évoque avec lyrisme sa vision de la Création du monde. Cette pantomime de style quasi métaphysique retrace par séquences brèves l'apparition de la vie, des végétaux et leur germination, les animaux jusqu'au serpent qui conduit Eve à croquer la pomme.
L'école polonaise de mime
Nous pouvons ajouter au travail de ces artistes français la proposition d'un chorégraphe-mime polonais Henrik Tomaszewski qui par ses recherches donne aux gestes mimétiques une dimension chorégraphique à la portée scénique réelle. Son enseignement est transmis en France par Ella Jaroszewicz qui forme également de son côté de nombreux artistes de la scène dans sa propre école, le studio Magenia.
Sur ina.fr, une pantomime avec Ella Jaroszewicz.
Les héritiers
L'analyse des principes fondamentaux de ces artistes conduit tout naturellement à une étude plus concrète de cette question de la transversalité des Arts du mime du geste contemporain.
Le Festival Mimos de Périgueux : ouverture à des esthétiques nouvelles
Très probablement l'un des signes révélateurs de cette évolution est la création en 1982 du festival Mimos à Périgueux. Ce festival, l'un des plus grands festivals européens de ce genre, propose dès sa création une palette de spectacles qui n'hésitent pas à proposer des esthétiques cousines des autres arts de la scène.
Festival Mimos de Périgueux
[Format court]
Créé en 1982, Mimos est l'un des plus grands festivals de Mime au monde. L'extrait présente Marcel Marceau, Étienne Decroux (par Thomas Leabhart et L'Ange Fou). La présence de Kazuo Ohno (Butô), d'artistes de la rue (Ilka Shonbein, Roland) ou de Philippe Genty (marionnettiste) montre bien la diversité contemporaine des Arts du Mime et du geste, que Mimos et son directeur Peter Bu ont contribué à imposer.
Bien sûr Marcel Marceau y est honoré mais on peut y rencontrer des artistes comme Joseph Nadj ou Maguy Marin, reconnus plutôt dans les milieux de la danse, ou encore Kazuo Ohno, grand maître de Butô, mais aussi le marionnettiste Philippe Genty et de nombreux autres artistes révélant la porosité des frontières.
Philippe Genty, Boliloc
[Format court]
Philippe Genty allie dans Boliloc le mime, l'image, le jeu théâtral, jusqu'au mot Boliloc lui-même, spectacle dans lequel les acteurs parlent. Il invite le spectateur à côtoyer différentes strates de son monde intérieur. L'humour y côtoie le vertige poétique d'un univers anthropomorphe original et imprévisible.
Celui qui en a été le directeur pratiquement depuis sa fondation et pendant de nombreuses années, Peter Bu, a également eu le talent de faire connaître les artistes des pays d'Europe de l'Est pour qui la rue est devenue la scène de leur corps et de leurs mouvements. Mimos, en proposant des ouvertures esthétiques nouvelles, permet incontestablement aux artistes de se libérer des schémas contraignants d'une pantomime historiquement connotée. Il invite les spectateurs et les diffuseurs à se poser la question : « Qu'est-ce que le mime ? ». Les programmations actuelles du festival confirment cette tendance transversale et Mimos pour son 30e anniversaire devient un « festival international des Arts du mime du geste ».
Pour en savoir plus, voir le site du festival Mimos .
Pinok et Matho
Ce festival révèle de nombreux artistes, dont certains se revendiquent des maîtres du passé mais se libèrent des schémas esthétiques des anciens. C'est le cas par exemple de Pinok et Matho qui, ayant travaillé avec Etienne Decroux et pratiquant également la danse, font exploser les portes de l'esthétique du mime corporel en proposant des tableaux où alternent l'onirisme, le burlesque, l'étrange, l'absurde. Elles réfléchissent par ailleurs à la pédagogie et à l'enseignement de cet art renouvelé en direction des enseignants et des professionnels, en particulier dans le cadre de leur école, le T.E.M.P. (Théâtre Ecole Mouvement et Pensée).
Le Théâtre du mouvement
C'est également le cas du Théâtre du Mouvement, dirigé par Claire Heggen et Yves Marc. Ils débutent leur formation auprès de Pinok et Matho et la poursuivent ensuite auprès de E. Decroux. Ils ouvrent avec leur compagnie des thèmes de recherche qui les conduisent du mime corporel à la théâtralité du mouvement et, de fait, à être partie prenante d'une transversalité contemporaine. Cela leur permet d'enseigner dans plusieurs écoles nationales des arts de la scène (théâtre, marionnettes, cirque) : l'animalité, le déplacement des masques sur le corps, la marche humaine, la musicalité du mouvement, le rapport du corps à l'objet, aux matériaux et à la marionnette, les manifestations corporelles des états de pensée et émotionnels.
Tezirzek : Les animaux
[Format court]
Dans le film Tezirzek, tourné dans le désert du Ténéré au Niger, Claire Heggen et Yves Marc mettent en jeu des personnages mutants, mi-hommes mi-animaux. Issus du sable, constitués en meute, ils semblent se glisser dans le paysage et faire corps avec lui.
Pour en savoir plus, voir le site du Théâtre du mouvement .
Le clown de Pierre Byland
D'autres artistes formés par Jacques Lecoq créent également des passerelles vers les autres arts de la scène : Pierre Byland collabore avec ce dernier pour réaliser toute une recherche sur le clown de théâtre, proposant une réelle innovation par rapport aux clowns de cirque, et favorisant un développement actuel de l'art du clown. Son approche du masque expressif, inspiré des masques larvaires du carnaval de Bâle, fait naître une esthétique qui est reprise par de nombreuses compagnies (Trestle en Angleterre, la Grosse Valise au Québec) entre autres.
Pour en savoir plus : voir le site de Pierre Byland .
Les Mummenschanz transforment le masque
Pierre Byland ouvre en quelque sorte la porte aux recherches d'une compagnie de renommée mondiale qui pendant presque 40 ans développe sa créativité et décline le thème du masque au sens le plus large : Les Mummenshanz. Ils mettent en perspective cette notion en jouant sur la transformation à vue du masque, sur sa taille et sur le développement du masque corporel, intégrant tout le corps ou le prolongeant. Ils donnent vie à des architectures corporelles scéniques parfois à la limite du Théâtre d'objets.
Pour en savoir plus, voir le site de Mummenschanz .
Le burlesque d'Abel et Gordon
Abel et Gordon, également élèves de Jacques Lecoq, se spécialisent en duo dans un théâtre burlesque qui les conduit sur la scène internationale. Leur goût pour l'image les amène peu à peu vers le cinéma. Ils passent du court-métrage au long-métrage. Leur dernier film, La Fée, n'est pas sans rappeler le charme du cinéma muet et des grands acteurs qui l'ont fait vivre (Charlie Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd).
Il est également à signaler que de nombreux artistes des Arts du mime et du geste travaillent auprès de dessinateurs de bandes dessinées ou de dessin animé et les aident dans le domaine de l'analyse du mouvement (ou des émotions) des personnages.
Pour en savoir plus : voir le site d'Abel et Gordon .
Jean-Claude Cotillard : Humour et improvisation
Jean-Claude Cotillard se forme auprès d'un autre grand nom du mime, Maximilien Decroux, (fils d'Etienne) et axe son travail sur l'humour et le burlesque. Le succès de ses créations comme Tous les hommes naissent ego, Trekking, La vie en rose, Le Travail, lui permet de passer à la mise en scène de théâtre de texte et obtenir un Molière pour la mise en scène de la pièce de Pierre Notte Moi aussi je suis Catherine Deneuve !
Tous les hommes naissent Ego de Jean-Claude Cotillard
[Format court]
Dans Tous les hommes naissent ego, Jean-Claude Cotillard met en scène des personnages issus du monde de l'entreprise. Le comique y naît d'une alchimie alliant la précision rythmique du geste, l'utilisation géométrique de l'espace, le jeu des situations ainsi qu'un travail de construction rigoureuse.
Directeur de l'Ecole nationale de théâtre de l'ESAD, Jean-Claude Cotillard propose un enseignement s'appuyant largement sur un travail corporel de l'acteur à partir de l'improvisation, tournée entre autre vers l'humour. Cette école accueille dès octobre 2012 une promotion dédiée aux Arts du mime et du geste, premier département national concernant cet art, qui sera principalement orienté vers la création, permettant de rendre visible la réalité d'un art et d'une profession en redéfinition d'elle-même et en reconstruction.
Un nouveau théâtre jouant avec le corps
Un théâtre du burlesque : Jérôme Deschamps, Farid Chopel et Ged Marlon
D'autres acteurs et metteurs en scène en France marquent durablement cette histoire du mime, parfois dans un dialogue étroit avec le mot. C'est bien sûr le cas de Jérôme Deschamps qui au début de sa longue carrière de metteur en scène et de directeur de théâtre s'intéresse au burlesque du geste. Ses spectacles comme La Veillée, Lapin chasseur, Les petits pas, Aujourd'hui c'est dimanche montrent un théâtre gestuel basé, au départ de l'écriture, sur des jeux d'improvisation. La portée comique des propos et le cynisme des situations connaissent un succès indéniable. Mais en même temps il développe un théâtre du geste « de personnages » qui fait le pont avec la tradition théâtrale littéraire... même si le développement des situations en diverge totalement.
La Veillée de Jérôme Deschamps
[Format court]
Dans La Veillée, Jérôme Deschamps apporte une dimension burlesque dans le domaine de la gestuelle. Son regard souvent cynique sur le monde l'invite à mettre en scène des personnages hors du commun et à s'appuyer sur des jeux de situation inspirés d'un quotidien populaire et banal.
Dans cette lignée du burlesque, Farid Chopel et Ged Marlon incarnent dans le spectacle Les aviateurs des personnages qui marquent avec succès les années 1980. Ils apportent un humour absurde de mouvement qui, à l'inverse de Jérôme Deschamps, n'est pas simplement lié à une gestualité quotidienne. Le jeu de la dynamique, la précision des postures, alliés à la qualité du jeu des acteurs, ouvrent la porte à une réelle théâtralité du mouvement.
Pour en savoir plus, voir le site des Deschiens , de Farid Chopel et de Ged Marlon .
Corps et vidéo : Simon Mac Burney
Le théâtre de Complicité dirigé par Simon Mac Burney, lui aussi ancien élève de Jacques Lecoq, ancre son travail très profondément dans le corps. Artiste associé au Festival d'Avignon 2012, il est passé de spectacles à dominante essentiellement gestuelle à des spectacles d'une écriture contemporaine particulièrement pertinente, ou entre autres l'image vidéo fait partie intégrante de la dramaturgie. Raconteur d'histoires - comme il se définit lui-même - il mêle les récits et les différents niveaux de signification dans une démarche transversale. Il fait appel à la justesse du geste et du mot pour les acteurs, à la musique, aux images, à la lumière pour créer l'émotion du spectateur.
Tadeusz Kantor, Wladislav Znorko
D'autres grands artistes révèlent sur scène l'importance du geste. Ainsi le Polonais Tadeusz Kantor - qui se veut d'abord metteur en scène de théâtre et plasticien - influence fortement les artistes contemporains qui travaillent sur l'image corporelle scénique. Son théâtre met en scène des personnages à la gestuelle symptomatique. Le jeu de la répétition jusqu'à l'obsession, la mise en scène circulaire qui n'est pas sans rappeler le cirque traditionnel (le nom de sa compagnie Cricot Théâtre vient d'ailleurs du mot cirque), la dimension plastique, le peu de texte employé dans ses spectacles comme La classe morte, Wielopole Wielopole, Qu'ils crèvent les artistes inspirent beaucoup de jeunes artistes contemporains.
Tadeusz Kantor, Qu'ils crèvent les artistes
[Format court]
Tadeusz Kantor n'est pas à proprement parler un artiste des Arts du Mime et du Geste. Cependant les images proposées dans cet extrait de Qu'ils crèvent les artistes nous donnent à comprendre la contribution de l'artiste polonais au monde du geste, et de l'image du corps, en scène.
L'un d'entre eux, également d'origine polonaise, Wladislav Znorko, paraît être, par ses mises en scène, autant peintre qu'artiste de théâtre. Il propose lui aussi une véritable interrogation de l'image du corps en scène, par un dialogue étroit avec la lumière, l'architecture scénique et le son.
Pour en savoir plus, voir le site de Tadeusz Kantor et Wladislav Znorko .
Licedei
Kantor et Znorko amènent des images scéniques annonciatrices d'autres compagnies des ex-pays de l'Est. Ainsi la troupe russe Licedei à travers ses spectacles Afghanistan et Tchernobyl ouvrent au geste les portes du théâtre de rue. L'image scénique, l'ambiance sonore hypertrophient l'importance de la gestuelle... Et le festival Mimos, au-delà du parti pris politique et esthétique du théâtre de rue pour le plus grand nombre, ne s'y trompe pas en proposant de plus en plus de spectacles urbains mettant en jeu le décalage des images corporelles avec l'architecture de la ville. La troupe Licedei dirigée par Slava Polunin influence également fortement les milieux du clown. La formation poussée en mime des acteurs-clown de cette compagnie - et d'autres compagnies russes comme Derevo - est un facteur de précision, de définition du mouvement et du jeu sur lequel s'appuie leur succès international.
Tchernobyl avec la troupe Licedei de Leningrad
[Format court]
Tchernobyl, pourrait être le titre de ce spectacle métaphorique de toutes les catastrophes passées et à venir. Dans Katastrophi, des personnages, dépassés par les événements, s'agitent de manière dérisoire dans un univers insensé, de bruit, de fumée, de feu, de mousse hydrofuge, dans lequel ils finissent par être submergés.
Pour en savoir plus, voir le site de Licedei .
Théâtre d'Objets
Les Arts du mime et du geste se trouvent être souvent également en cousinage étroit avec le monde du théâtre d'objets et de la marionnette. L'apparition du corps des manipulateurs sur scène demande de fait un traitement du geste et du mouvement. Certains principes de mouvement, entre autres la notion de fixation, d'immobilisation des corps, donnent à celui-ci une dimension d'objet. À l'inverse la marionnette ou l'objet animé prétend, sous l'effet de la manipulation, prendre vie.
Philippe Genty
Ce passage du corps sujet au corps objet (et vice-versa) inspire Philippe Genty qui emploie souvent des mimes comme acteurs manipulateurs pour leurs capacités d'articulation du mouvement et de précision technique, rythmique et dynamique. Il joue dans ses spectacles sur cette ambiguïté de l'inerte et de l'animé et sur une image scénique où la dimension imaginaire est fortement présente, souvent autour de l'image de corps fragmentés qui ne sont pas sans rappeler les principes de segmentation du mime corporel, par ailleurs.
Philippe Genty, Boliloc
[Format court]
Philippe Genty allie dans Boliloc le mime, l'image, le jeu théâtral, jusqu'au mot Boliloc lui-même, spectacle dans lequel les acteurs parlent. Il invite le spectateur à côtoyer différentes strates de son monde intérieur. L'humour y côtoie le vertige poétique d'un univers anthropomorphe original et imprévisible.
Pour en savoir plus, voir le site de Philippe Genty .
Nicole Mossoux et Patrick Bonté
Nicole Mossoux et Patrick Bonté créent, un peu à l'image de Philippe Genty, des spectacles aux frontières de l'objet, du mouvement, de la danse, du théâtre, du mime. L'image scénique est pour eux fondamentale et s'appuie également sur une écriture dramaturgique très contemporaine qui convoque l'imaginaire.
Les Petites Morts de Nicole Mossoux et Patrick Bonté
[Format court]
Dans Les Petites Morts de Nicole Mossoux et Patrick Bonté, le mouvement organique raconte et se fait théâtre : double inspiration, celle de la danse où le geste explose, celle de la marionnette où le corps devient métaphore de l'objet inerte.
Pour en savoir plus, voir le site de Nicole Mossoux et Patrick Bonté .
Formes circassiennes, acrobaties
Plus récemment, le spectacle L'immédiat créé par Camille Boitel se trouve également dans cette frontière poreuse où le geste se fait acrobatique et où le corps devient victime des objets. Cirque, théâtre d'objets, théâtre gestuel, théâtre burlesque... Cette création contemporaine convoque des images du corps à la croisée des arts.
Il est assez clair que l'acrobatie circassienne propose des corps extrêmes mais, de plus en plus, les spectacles acrobatiques se théâtralisent. On quitte peu à peu l'esthétique du numéro pour mettre en perspective dramaturgique ces engagements du corps hors du commun. Le défi de la gravité terrestre n'est plus simplement l'œuvre d'un virtuose mais une mise en abyme poétique et de fait dramatique. On peut d'ailleurs dire que la gravité terrestre est le premier drame auquel l'humain a à se confronter. Et cette tragédie incontournable peut être la source d'effets spectaculaires, amenant souvent une dimension absurde réjouissante pour le spectateur. C'est le cas de bien d'autres compagnies, la compagnie du Hanneton de James Thierrée, la compagnie 111 d'Aurélien Bory, la compagnie Escale d'Hugues Hollenstein et Griet Krause, etc.
Du côté de la danse
Pierre Rigal
Pierre Rigal, souvent mis en scène par Aurélien Bory est à l'intersection de la danse et du théâtre de geste. Son mouvement se fait théâtre autant par la qualité du mouvement lui-même et les états d'acteurs que par les thèmes dramatiques choisis. C'est le cas de Erection où l'acteur fait du défi de la gravité l'enjeu dramatique de sa survie.
Erection de Pierre Rigal
[Format court]
Le geste « dansé » de Pierre Rigal dans Erection (mis en scène par Aurélien Bory), est essentiellement dramatique par sa lutte contre la gravité terrestre. Son dialogue avec la musique électronique, l'utilisation abstraite et inventive de la vidéo comme partenaire privilégiée de jeu dans l'espace lui donnent un caractère très contemporain.
Pour en savoir plus, voir le site de Pierre Rigal .
Dos à Deux
Soulignons également les spectacles proposés par la compagnie brésilienne Dos à deux où le jeu corporel se trouve souvent à mi-chemin du mouvement dansé, caractérisé entre autres choses par une précision rythmique, sur lequel s'appuie très clairement le jeu des deux acteurs.
Pour en savoir plus, voir le site de Dos à Deux .
Influences
Le monde de la danse est influencé par l'univers du mime. Certaines chorégraphes comme Françoise Dupuy ou Karine Waehner - même si elles s'en sont démarqué - ont travaillé avec Étienne Decroux . Alwyn Nikolaïs se dit fortement influencé par ses travaux. Joëlle Bouvier et Régis Obadia ont travaillé avec Jacques Lecoq. Joseph Nadj, Philippe Decouflé ont suivi les cours de l'école de mimodrame de Marcel Marceau et/ou de E.Decroux. De nombreux autres danseurs connaissent les bases de ce travail même s'ils s'en sont ensuite radicalement éloignés. À l'inverse, la danse contemporaine apporte mobilité et fluidité au mouvement des acteurs de geste, comme pour la compagnie de Denise Namura et Michael Bughdan, « A fleur de peau ».
On peut se souvenir également que l'une des origines du hip hop est bien le mime. La fameuse moonwalk de Michael Jackson vient de la création de la marche sur place par Étienne Decroux et Jean-Louis Barrault en 1930, après un passage mondialement connu par les figures de style de Marcel Marceau. Certaines qualités dynamiques et rythmiques de cette danse comme le blocking ou le popping, ou encore certains mouvements ondulatoires viennent directement de la technique du mime corporel.
Nous voyons bien que les univers esthétiques sont multiples et d'une grande richesse.
Et on constate que la moitié seulement des artistes présentés semblent être dans la descendance historique des maîtres de mime du passé. L'autre moitié vient des autres arts de la scène, et s'approchent de l'art du geste.
Il est clair que la transversalité participe d'un double courant.
Ecoles et enseignements transversaux
Nombre d'acteurs des Arts du mime du geste interviennent dans les écoles des autres arts de la scène et font connaître les principes de cet art : au Conservatoire national de théâtre, dans les Ecoles nationales de théâtre, dans les Conservatoires municipaux et de régions ; à l'Ecole nationale supérieure des arts de la marionnette à Charleville-Mézières ; enfin au Centre national des arts du cirque et dans d'autres Ecoles nationales de cirque.
A l'inverse, l'enseignement de la danse, de l'acrobatie théâtrale, de la manipulation d'objets et du rapport du corps à l'objet, de l'art dramatique sont proposés dans le département des Arts du mime et du geste à l'ESAD. La transversalité est ainsi proposée dans la formation supérieure de ces futurs artistes comme un facteur prépondérant de créativité.
Conclusion
Les influences mutuelles entre les arts du mime et du geste et les autres arts ne cessent de se renforcer, d'autant que la créativité contemporaine se préoccupe de moins en moins des appartenances ou des terminologies.
Et pourtant, à côté de la transversalité contemporaine, les Arts du mime et du geste ont besoin de cet espace où ils peuvent se nommer, se connaître et se faire reconnaître comme des arts de la création contemporaine... loin de l'image unique du pantomime blanc, qui lui colle encore à la peau.
Les arts de la marionnette ont ouvert la voie il y a plus de 20 ans, en réussissant à changer l'image d'une catégorie de spectacles que le public percevait quasiment uniquement comme des divertissements pour enfants. Ils ont réussi à imposer l'image d'un art innovant, qui questionne et renouvelle la représentation théâtrale. Il en va de même avec le nouveau cirque, par rapport au cirque traditionnel.
Ce sont toutes ces questions qui ont présidé à la création de l'appellation « Arts du mime et du geste ». Les compagnies et spectacles présentés donnent un aperçu de la diversité et de la richesse poétique, dramatique et humoristique d'un patrimoine historique toujours vivant, et d'une créativité réellement contemporaine.
Note Bene : Etant donné le nombre limité de vidéos susceptibles d'être présentées dans le site, le corpus choisi ne peut refléter toute la richesse de la scène contemporaine des Arts du Mime et du Geste.
Pour plus de détails, on pourra se reporter à l'éditorial des rédacteurs des notices, Claire Heggen et Yves Marc,ci-dessous.
La sélection des 21 vidéos proposées sur ce site pour constituer le corpus "arts du mime et du geste" s'est faite en essayant d'être le plus représentatif possible de son histoire. Nous avons tenté d'établir une liste "idéale", en contactant de nombreux professionnels. Nous avons demandé à une vingtaine d'artistes, de professeurs, de directeurs de compagnie, de directeurs de théâtre ou de festival émanant de cette profession, de répondre à la question : « Quels ont été pour vous les artistes qui ont influencé l'histoire des Arts du mime du geste depuis 1950 ». La profession a démocratiquement fait ses choix, nous les avons respectés.
Cette liste a cependant été contrainte par l'existence ou l'absence de vidéos disponibles. Les arts du mime et du geste - c'est aussi valable pour les arts de rue, la marionnette et dans une moindre mesure pour le cirque, à la différence d'autres arts plus institutionnalisés comme le théâtre, la danse ou l'opéra -, ont en effet dans les archives de la télévision publique une place très lacunaire : les sujets consacrés aux artistes et aux compagnies sont assez peu nombreux. Nous avons cependant pu faire certaines belles découvertes.
Certains artistes trouveront peut-être injuste de ne pas se trouver dans cette liste, d'autres trouveront que certains artistes choisis ne devraient pas y figurer...
Pour compléter cette sélection contrainte, on pourra se reporter à la page "Pour aller plus loin" qui propose une liste de liens vers des Compagnies importantes des Arts du mime geste et du geste, ainsi que des écoles actuelles.
Claire Heggen et Yves Marc, Theatre du Mouvement
Pour aller plus loin
Artistes qui ont marqué l'histoire du mime et du geste
Cie A fleur de peau – Denise Namura et Michael Bugdahn
Cie Autour du mime – Pierre-Yves Massip & Sara Mangano
Cie Escale – Hugues Hollenstein
Cie MZDP (Zimmermann et De Perrot)
Teatro del silencio – Mauricio Celedon
Pierre Etaix – Annie Fratellini
Cie La mie de pain
Cie Les masques – Dedieu & Lebreton
Mime Pradel
Pierre Véry
Théâtre de l'arbre – Yves Lebreton
James Thierrée – Cie du Hanneton
Adam Darius
Benito Gutmacher
Lindsay Kemp
Eberhard Kube
Gilles Maheu
Wolfram Mehring
Moving picture mime show
René Quellet
Cary Rick
Pavel Rouba
Ctibor Turba
Alberto Vidal
Arts en scène – Eric Zobel (Lyon)
Ateliers de Belleville – Ivan Bacciocchi (Paris)
Ecole Philippe Gaulier (Paris)
ESAD (département arts du mime et du geste) (Paris)
Folkwang Schule (département Mime) (Essen, Allemagne)
Hippocampe – Luis Torreao (Paris)
Mime and Physical Theatre - Desmond Jones (Londres)
Omnibus – Jean Asselin (Montréal)
Pomona College - Thomas Leabhart (Pomona, USA)
Daniel Stein (Little Rock, USA)
Studio Magenia – Ella Jaroszewicz (Paris)
Théâtre de l'Ange fou – Corinne Soum & Steve Wasson (Londres)
Charles Antonnetti
Jean Dorcy
Marise Flach
Certaines personnalités artistiques des Arts de la scène ont influencé l'imaginaire des Arts du Mime et du Geste