Témoignage d'un ouvrier machiniste chez Wendel-Sidélor
- Qualité: Moyenne
- Vitesse de lecture: 1 x (normal)
Infos
Résumé
Les employés et les ouvriers du groupe sidérurgique lorrain de Wendel, devenu Wendel-Sidélor en 1968, se succèdent souvent de père en fils. Toutefois, la fidélité ne signifie pas l’absence de regard critique sur l’évolution de l’entreprise. Le témoignage d'un ouvrier machiniste, chez Wendel depuis 45 ans, et dont le père, le grand-père et la fille y ont été ou y sont encore employés, le prouve.
Date de publication du document :
Février 2022
Date de diffusion :
01 nov. 1965
Éclairage
- Contexte historique
- Articles utilisant cette vidéo
- Parcours thématiques
Informations et crédits
- Type de média :
- Type du document :
- Collection :
- Source :
- Référence :
- 00096
Catégories
Thèmes
Lieux
Éclairage
Éclairage
- Contexte historique
- Articles utilisant cette vidéo
- Parcours thématiques
Contexte historique
ParMaître de conférences en Histoire contemporaine, Crulh, Université de Lorraine
Après la Seconde Guerre mondiale, les plans Monnet (1946 - 1952) et Marshall (1948 - 1952) favorisent la modernisation de la sidérurgie française. Dans ce cadre, les usines De Wendel de Lorraine connaissent un développement sans précédent. Fondée en 1704, l’entreprise De Wendel dont les usines sont toutes réunies en 1950 dans De Wendel et Cie, puis intégrées en 1968 dans le groupe Wendel-Sidélor (fusion de De Wendel, l’Union sidérurgique lorraine (Sidélor) et de la Société mosellane de sidérurgie), emploie des dizaines de milliers de sidérurgistes dans les années 1960.
Au sein de ces effectifs, certains employés et certains ouvriers peuvent être liés par une fidélité générationnelle à leurs patrons. Ainsi, le témoignage d'un ouvrier machiniste, Monsieur Schroeder employé chez De Wendel pendant 45 ans (1923-1968), et dont le père, le grand-père et la fille ont travaillé ou travaillent encore pour cette entreprise sidérurgique lorraine montre ce type d’attachement professionnel. Mais, bien qu’attaché à son usine, il n'en est pas moins critique sur son évolution et la situation sociale des ouvriers.
En effet, s’il fait preuve d’une forme de reconnaissance vis-à-vis de la Maison De Wendel, il constate que les liens d’homme à homme qui fondaient les relations entre le patron et ses employés du temps de son père n’existent plus. Ce type de rapports humains directs tend à disparaître, d’une part, consécutivement au développement des effectifs dans la sidérurgie et, d’autre part, avec l’augmentation du rôle des managers relais du capitalisme familial. Ce dernier assurant alors la continuité entrepreneuriale à distance des travailleurs des usines. Pourtant, chez De Wendel, jusqu’aux années 1970, la direction de l’entreprise est assurée par les représentants de la huitième génération : Pierre Celier (1917-2010), Emmanuel de Mitry (1892-1983) et Henri de Wendel (1913-1982), dans la continuité de leurs prédécesseurs François de Wendel (1874-1949), Humbert de Wendel (1876-1954) et Maurice de Wendel (1879-1961).
Malgré cette particularité entrepreneuriale de la Maison De Wendel, et comme dans les directions d’autres entreprises sidérurgiques, les patrons sont désormais davantage des technocrates que des maîtres de forges. Ce faisant, il existe bien une unification des formes de gestion du personnel dans toutes les usines de France selon des standards de plus en plus internationaux. Les particularités régionales devenant moins fortes que par le passé. Néanmoins, le témoignage de Monsieur Schroeder comporte des références à son père qui a fait la Grande Guerre en Russie. La Lorraine annexée, devenue l’actuel département de la Moselle après la Première Guerre mondiale, envoyant alors pour le compte de l’Empire allemand des soldats sur le front de l’Est.
Monsieur Schroeder déplore aussi le manque de possibilité d’évolution professionnelle et salariale pour les ouvriers comme lui, souhaitant pour son petit-fils un parcours professionnel différent du sien et de celui de ses aïeux. Son opinion est en phase avec une évolution globale du monde ouvrier français : l’élévation du niveau des jeunes recrutés. L’apprentissage dès l’Entre-deux-Guerres, puis, dans les années 1950, la mise en place de CAP professionnels destinés à mieux former les sidérurgistes, contribuent à une élévation du niveau de base des jeunes ouvriers. Plus tard, dans les années 1970-1980, la formation continue des personnels permet aussi à des ouvriers de suivre des cours qui leur permettent d’accéder à des postes de techniciens ou d’ingénieurs. Avec la crise et la modernisation de la sidérurgie, les métiers des usines se transforment tellement qu’à partir de 1989 et jusqu’à aujourd’hui le nombre d’employés techniciens et agents de maîtrise (ETAM) est plus important dans les usines sidérurgiques française que le nombre d’ouvriers.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
(Bruit)
Journaliste
A l’heure du marché commun, les grandes entreprises ont recherché et ont acquis une dimension nouvelle.Ainsi, Wendel-Sidélor, la première firme sidérurgique française qui regroupe tout l’acier lorrain.Mais les fusions ne peuvent effacer d’un seul coup l’aspect familial d’une entreprise.Aux huit générations de patrons dont nous avons retracé l’histoire correspondent très souvent plusieurs générations d’employés et d’ouvriers dont l’attachement à l’entreprise est indéniable.Tel est le cas d’un machiniste, Monsieur Schroeder.Monsieur Schroeder, vous travaillez depuis combien de temps dans l’usine ?
Monsieur Schroeder
Je travaille depuis 1923 ici, soit 45 ans le 4 du mois prochain, 4 avril.
Journaliste
45 ans, chez de Wendel.
Monsieur Schroeder
Oui, le 4 du 4 1923 j’ai commencé à travailler.
Journaliste
Quelle a été votre carrière ici ?
Monsieur Schroeder
Machiniste, toujours machiniste.J’ai commencé comme pontonnier et en 1934, je suis venu ici à la centrale.
Journaliste
Alors je crois que votre père a travaillé aussi chez de Wendel ?
Monsieur Schroeder
Mon père a travaillé 59 ans et 7 mois chez de Wendel.Mon grand-père est né en 1843 et en 1854, il est rentré chez Wendel, à 11 ans.
Journaliste
À 11 ans ?
Monsieur Schroeder
À 11 ans.
Journaliste
Il est resté combien de temps ?
Monsieur Schroeder
Ah ça je ne sais pas, il a arrêté, il avait 70 ans aussi.Alors le grand grand-père qui travaillait aussi mais là, il faudrait se renseigner ailleurs, là je ne sais pas.
Journaliste
Vous avez des enfants ?
Monsieur Schroeder
Une fille.Elle travaille au [inaudible] ça fait 13 ans.
Journaliste
C’est chez Wendel ?
Monsieur Schroeder
Chez Wendel.
(Bruit)
Journaliste
C’est un respect, c’est une admiration, qu’est-ce que c’est ce sentiment envers votre patron ?
Monsieur Schroeder
Nous ne laisserons rien dire de notre patron.Je ne sais pas.
Journaliste
Pourquoi ?
Monsieur Schroeder
C’est une famille, on a ça dans le sang.Maintenant, j’ai un petit-fils, il a 8 ans, je ne sais pas ce que lui il va faire plus tard.
Journaliste
Et votre père, est-ce qu’il vous parlait par exemple de laisser sa famille ?
Monsieur Schroeder
Mon père, il n’y avait pas de question de partir, fallait rester chez Wendel, à 14 ans, il fallait rentrer chez Wendel.Ça, c’était leur système, ces vieux-là.Dans le temps, les patrons, on les voyait toutes les semaines dans l’usine.Ce qu’il n’y a plus maintenant.Mon père, quand il parlait du François Charles de Wendel, Louis de Wendel, c’est comme s’ils avaient été copains d’école.
Journaliste
Maintenant, vous ne le connaissez plus les patrons ?
Monsieur Schroeder
Maintenant, on ne connaît plus les patrons.
Journaliste
Vous regrettez ?
Monsieur Schroeder
Ben, je crois que c’était peut-être mieux dans le temps, je ne sais pas.
Journaliste
Mais au-delà de cet attachement, lorsque l’on fait le bilan, il y a bien sûr des satisfactions, des regrets et aussi le souvenir d’épreuves considérables.
Monsieur Schroeder
La misère, c’est quand on était six enfants en 14, mon père était 4 ans en Russie, on n’avait plus rien à manger, rien, on était des pauvres malheureux.Il n’y a pas eu d’école, il n’y a rien du tout, et puis voilà.Le résultat est je pense que mon petit-fils ça ne sera pas comme ça.
Journaliste
Est-ce que vous enviez les jeunes ouvriers actuels ?
Monsieur Schroeder
Je ne crois pas.Bah alors faut qu’ils étudient mais il faut qu’ils rentrent dans une usine comme nous sommes rentrés, il n’y a rien à faire.Il faut avoir quelque chose entre les mains quand on rentre à l’usine maintenant, il n’y a rien à faire.
Journaliste
C’est le travail qui est trop dur, le bruit ou ?
Monsieur Schroeder
Non, c’est que ça ne paie plus, voilà.Avec tous nos dimanches, tout ce que nous avons, ben qu’est-ce nous avons ?75, 80 billets.Ce n’est pas une paie.En venant les dimanches, les jours de paie, c’est continuellement ici.Ce n’est pas de paie, il n’y a rien à faire.Et la pire misère, c’est qu’on est machiniste, vous rentrez à la centrale à 20 ans, à 45 ans vous avez toujours le même prix, il n’y a rien à faire.Vous ne montez pas en grade, vous êtes quoi, vous êtes un pauvre machiniste et puis c’est tout.Voilà.
Journaliste
Vous avez eu des distractions, monsieur ?
Monsieur Schroeder
Oh j’en ai eu, j’en ai eu, je n’en ai pas eu beaucoup, mais je ne me plains pas.J’ai une bonne femme, ma fille est gentille, ça c’est l’essentiel.On s’est toujours bien arrangé.Ça, ça compte pour moi, il n’y a rien à faire.
(Bruit)
Journaliste
Vous terminez votre carrière dans combien de temps ?
Monsieur Schroeder
Ben, j’aurai 60 ans le 22 décembre, et la retraite n’est pas loin je pense.
Journaliste
Et vous passerez votre retraite ici ?
Monsieur Schroeder
Ah oui.
Sur les mêmes thèmes
Date de la vidéo: 08 oct. 2011
Durée de la vidéo: 01M 33S
Manifestation des salariés d'ArcelorMittal à Schifflange au Luxembourg
Date de la vidéo: 09 avr. 2006
Durée de la vidéo: 02M 07S
Les salariés frontaliers manifestent pour leur protection sociale au Luxembourg
Date de la vidéo: 31 juil. 1987
Durée de la vidéo: 02M 07S
Longwy : de la crise sidérurgique à la crise urbaine
Date de la vidéo: 19 sept. 1997
Durée de la vidéo: 02M 32S
À la découverte des héritages et du patrimoine de la sidérurgie dans le bassin de Longwy
Date de la vidéo: 03 nov. 1960
Durée de la vidéo: 03M 36S
Paysages de la sidérurgie des vallées de l’Orne, de la Fensch et de la Moselle
Sur les mêmes lieux
Date de la vidéo: 13 déc. 1966
Durée de la vidéo: 01M 50S
Transports et paysages industriels dans la vallée de la Fensch
Date de la vidéo: 15 oct. 2013
Durée de la vidéo: 02M 47S
Denis Robert pour son livre Vue imprenable sur la folie du monde
Date de la vidéo: 16 sept. 2006
Durée de la vidéo: 04M 50S
La Lorraine peine à structurer un projet pour le côté français d'Esch-Belval
Date de la vidéo: 13 déc. 1966
Durée de la vidéo: 01M 50S