Syndicaliste et chrétien en Moselle
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Résumé
En Moselle, un militant syndicaliste et pratiquant catholique évoque les questions que soulèvent au sein de l'usine le fait d'être à la fois chrétien et syndicaliste dans un contexte historique où le syndicalisme chrétien, la foi, la pratique religieuse et le monde ouvrier sont confrontés à des évolutions majeures à partir des années 1960.
Date de publication du document :
Février 2022
Date de diffusion :
17 févr. 1966
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Contexte historique
ParDocteur en Histoire contemporaine, Crulh, Université de Lorraine
Lors de la diffusion de l’émission, nous sommes deux ans après le congrès du 6 novembre 1964 de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), où une majorité de militants se prononce en faveur de la déconfessionnalisation, afin d’adapter le syndicalisme chrétien au monde ouvrier moderne tout en conservant un certain héritage de la morale sociale chrétienne. C’est la naissance de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) face à une minorité qui refuse cette évolution et souhaite maintenir la CFTC. Cette émission est également diffusée quelques mois après la clôture du concile de Vatican II, le 8 décembre 1963, où l’Église catholique souhaite s’ouvrir davantage au monde moderne et s’approprier certaines questions comme les conditions de vie des travailleurs. Ces deux événements s’avèrent d’importance pour toute une frange de fidèles, engagés ou non syndicalement.
Une des problématiques, soulevées dans le reportage, est la question de l’engagement des chrétiens dans le monde syndical. L’ouvrier interviewé soulève une forme de dilemme pour les chrétiens. D’une part, on comprend qu’il existe un lien ancien entre le patronat et les milieux ecclésiastiques. L’ouvrier emploie l’expression vieille terre catholique
pour qualifier la Moselle, territoire soumis au régime concordataire de 1815. Il utilise également cette expression : Il y a eu pendant trop de générations une soumission du clergé local aux directives du patronat
, qui appliquait une politique d’ordre social sur l’ensemble du territoire industriel mosellan et une forme de mécénat (politique paternaliste de la famille de Wendel). Le dilemme est présent chez cet ouvrier, gêné par cette situation où un certain nombre de tabous sont révélés : la peur de la compromission chez les chrétiens en s’engageant dans le syndicalisme, la répression patronale, les violences syndicales de la part de la CGT, la question des effectifs syndicaux et le souci de transparence sur ce sujet. Ce lien entre travailleurs et milieu patronal est à la base des premières initiatives syndicales chrétiennes du XIXe siècle, où la collaboration entre les classes et la négociation étaient à la base de l’action sociale souhaitée par l’Église et le patronat.
D’autre part, la nécessité de lutter pour des préoccupations sociales (salaires, conditions de vie et de travail, respect de la dignité humaine et du travail) s’impose de plus chez les ouvriers du fer, du charbon et de la sidérurgie en Moselle dans un contexte industriel et social qui tend à se détériorer. L’amplitude que prend la mobilisation à partir du début des années 1960 (grèves de mineurs en 1963, conflit de la sidérurgie en avril-mai 1967), montre tout de même une forme de mobilisation en Lorraine, qui n’est pas l’apanage de la seule CGT.
En effet, il existe un engagement chrétien, que l’on retrouve à la CFDT, notamment avec le Syndicat régional de la sidérurgie lorraine, affilié à la Fédération de la Métallurgie-CFDT. Cet engagement est né de la volonté de certains milieux chrétiens, par exemple la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) de pénétrer le milieu ouvrier depuis les années 1930 jusque dans les années 1960-1970 pour rapprocher l’Église des revendications des travailleurs. Ce sont ces milieux, et plus particulièrement la JOC, qui ont participé à véhiculer un esprit ouvrier et politique dans le syndicalisme chrétien, conduisant, en partie, à la scission CFTC/CFDT en 1964. Même si l’ouvrier interrogé admet qu’il n’y a pas de distinction à faire entre syndiqués chrétiens ou non, la scission du syndicalisme chrétien fut le sujet de nombreux débats et de conflits à l’intérieur de la CFTC. La position de la hiérarchie catholique, qui ne condamne pas ceci, atteste bien la volonté de l’Église de comprendre le milieu ouvrier. Ceci passe par des hommes tels que René Boudot, ouvrier chrétien à Longwy dans le nord de la Meurthe-et-Moselle ou encore par des prêtres-ouvriers exerçant leur sacerdoce au plus près des réalités de vie et de travail des sidérurgistes lorrains.
Aujourd’hui, dans le paysage syndical, il existe toujours la CFTC et la CFDT. Cette dernière représente l’organisation dépositaire du passé chrétien de la centrale syndicale. Elle est présente au sein de la Confédération européenne des syndicats (CES) au côté de la Confédération chrétienne syndicale du Luxembourg (LCBB).
Bibliographie
- Bruno Duriez (dir.), Chrétiens et ouvriers en France, 1937-1970, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2001.
- Jean-Marie Conraud, Militants au travail : C.F.T.C. et C.F.D.T. dans le mouvement ouvrier lorrain ; (1890 - 1965), Metz, Éditions Serpenoise, 1988.
- Frank Georgi, L’invention de la CFDT 1957-1970 : syndicalisme, catholicisme et politique dans la France de l’expansion, Paris, Les Éditions de l’Atelier, CNRS Éditions, 1995.
- Frank Georgi, Soufflons nous-mêmes notre forge : une histoire de la Fédération de la métallurgie CFTC-CFDT, 1920-1974, Paris, Editions ouvrières, 1991.
- Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel, À la gauche du Christ, Seuil, 2012.
- Laetitia de Warren, L’emploi au cœur : l’histoire de la CFDT sidérurgie Lorraine, Metz, Éditions Serpenoise, 2009.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
Claude Angeli
Vous êtes un militant syndical ?
Interviewé
Je suis en effet un militant syndicaliste.
Claude Angeli
Catholique pratiquant ?
Interviewé
Et oui, catholique pratiquant.J’ai même, j’ai débuté par être enfant de choeur.Il m’arrive encore aujourd'hui de quêter à la messe.Et bien sûr, je vais à la messe tous les dimanches.Je m’en confesse quand je n’y vais pas.Et moi je m'essaie à y aller, parce que c’est pour moi un lieu où je me, je retrouve des tas de gens que je ne vois que là.Ça crée effectivement une communauté, et il m’arrive même d’y rencontrer le patron ;qui vient y communier, il y a 15 jours à peu près, oui, je l’ai vu communier.Mais j’avoue que, en tant que catholique, à l’intérieur de l’église, eh bien, j’ai senti que nous avions quelque chose en commun, mais quoi ?Mais quoi, qu'ai-je en commun avec le patron.Si je parlais anglais, je dirais comme Shakespeare, That is the... etc.
Claude Angeli
Mais est-ce qu’à vos côtés, vous trouvez beaucoup de militants chrétiens, ou catholiques ?
Interviewé
Oui, alors là, c’est une… On pourrait presque...On n’aime pas beaucoup en parler, c’est comme d’une façon générale, tous les syndicats n’aiment pas tellement donner leurs effectifs.Mais alors là, pour les chrétiens ou catholiques, laissez-moi vous dire que, on préférerait ne pas les donner.
Claude Angeli
Il y en a peu ?
Interviewé
Parce qu’il y en a vraiment peu, et pas les meilleurs pratiquants, c’est qu’ils sont… On ne me brimera pas, mais je suis marqué, je porte cette marque, oui, une espèce d’infamie quoi, aux yeux de…
Claude Angeli
La marque du syndicat chrétien.
Interviewé
Du syndicat de façon générale...
Claude Angeli
Vous étiez chrétien d’inspiration avant.
Interviewé
Oui, mais, enfin, on ne fait pas la distinction, un syndiqué il est syndiqué, il y a même des syndicats chrétiens qui ;aux yeux des patrons, sont beaucoup plus dangereux, mettons dans la mesure où précisément ils se réfèrent à quelque chose qu’ils pourraient avoir de commun avec le patron.Madame, Monsieur vous vous, vous vous dites syndiqué chrétien, eh bien vous, vous avez, comment dirais-je une espèce de – vous marquez par là que vous avez quelque chose de commun avec lui, vous comprenez ?Et ça, dans le fond, ça peut les gêner.On préférera avoir affaire à un syndicat, disons, enfin athée.Parce que là, il aura affaire à des gens différents de nature, différents d’âme, enfin.Il pourra adopter à leur égard une attitude plus, qui lui laissera la conscience en paix ;au cas où un problème de conscience pourrait se poser à ce sujet-là.
Claude Angeli
Mais l’Église après le Concile, ou l’épiscopat français ou même particulièrement, disons l’évêque de votre diocèse qui est l’évêque de Metz, Monseigneur Schmitt, a, disons, pris certaines positions dans des conflits sociaux ;et même une fois, s’est dit devant toutes les églises du diocèse, qu’il était bon que les catholiques se syndiquent ?
Interviewé
Oh, il n’a pas dit ces mots qu’il était bon, mais que c’était le devoir du chrétien, autant que je me souviens.
Claude Angeli
Quels ont été les résultats ?
Interviewé
Là encore, je ne voudrais pas avancer les chiffres ;enfin, il n’y a pas de chiffre avancé, il faut bien le dire que, tant que pour nous à l’époque, syndicat chrétien, il ne nous arrivé aucune adhésion.Je me souviens même d’une réflexion d’un camarade qui, à la sortie de l’église, me dit, je ne savais que nous avions un évêque communiste.Alors, avouez qu’il y a quelque chose qui ne colle pas.
Claude Angeli
Mais à votre avis, pourquoi donc ces catholiques ne s’engagent-ils pas socialement à vos côtés ?
Interviewé
Ils ont peur de se compromettre.
Claude Angeli
Avec qui ?
Interviewé
Se compromettre à l’égard du patron, à l’égard du patron.C’est une vieille histoire, que voulez-vous, c’est une vieille histoire, c’est une vieille terre catholique.Ce n’est pas malheureux, c’est heureux.Nous avons le concordat ici et je vous dirais que je suis pour, je suis pour.Comment dirais-je, seulement il y a eu pendant trop de générations, une soumission du clergé local aux directives du patronat, dont la politique convenait à l’église.Elle était pour l’ordre établi, elle était pour l’ordre de façon générale.Et alors, il en reste encore, il en reste de cette peur de… se déconsidérer aux yeux du Pape.
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