Fête du sous-sol à Crusnes

Depuis les années 1970, les fermetures d’usines se multiplient en Lorraine. Le PCF et la CGT cherchent à empêcher le chômage des ouvriers, et demandent de meilleures conditions de travail pour ceux qui représentent le plus gros de leurs militants et électeurs. En Lorraine, la contestation est menée de front en Meurthe-et-Moselle, là où l’implantation militante est la plus forte, particulièrement dans le Pays Haut. Crusnes est une municipalité communiste depuis 1965, en plein cœur du bassin minier. Sa mine ferme en 1973. L’église de fer de la ville montrée dans le reportage est revendue par la famille Wendel à leur départ. Elle sera par la suite entretenue par les ouvriers de la ville, comme un symbole de l’attachement ouvrier à l’histoire industrielle de cette région.

Les mineurs de fond représentent, en tant que travailleurs du fer, le vivier des militants du syndicat dans la région. La fédération régionale CGT des travailleurs du sous-sol imprime un journal mensuel, Le Sous-Sol Lorrain, dans lequel elle affiche ses revendications – Jean Markun en est le principal rédacteur. Chaque année, les militants se réunissent le 1^er mai entre les quatre départements lorrains depuis la création de cette fédération en 1950. A Crusnes se retrouvent les militants de Jarny, Joudreville ou Tucquegnieux, mais aussi potentiellement ceux de la Moselle voisine. Ils célèbrent la fête du travail et rendent hommage aux « travailleurs » ayant perdu la vie : les valeurs politiques et sociales se diffusent, les militants marquent leur identité collective. Comme le montre le documentaire, la fête est ainsi un moyen de rassembler les militants communistes. Les ouvriers – actifs et retraités – et leurs familles s’y retrouvent et viennent s’amuser, déjeuner. 

Si les mineurs de fer et de charbon resteront dans la mémoire, comme le présente le documentaire, c’est en raison des fermetures successives de mines dans la région. Militant depuis les années 1970 dans la section des mines de fer et de sel, Roger Jackiewicz a connu les nombreuses fermetures en Lorraine. Concurrencé par les pays émergents comme le Brésil et l’Afrique du Sud le minerai français n’est plus compétitif. Les mines à ciel ouvert de ces pays lointains sont plus qualitatives et productives que celles souterraines des bassins miniers lorrains. La « minette » lorraine, selon le terme qui est attribué au fer de la région – ne tient que faiblement en ferrite ce qui diminue d’autant sa rentabilité. Pour chercher à préserver la compétitivité, les gouvernements successifs français élaborent des plans de restructuration. Les emplois ouvriers sont supprimés en masse. En cinq ans, entre 1980 et 1985, treize puits de mine sont fermés dans le Pays Haut, de sorte que le nombre de mineurs baisse de 42 % (Julian Mischi, 2007). En 1991, à la suite de la crise sidérurgique européenne, il ne reste plus qu’un millier de mineurs en Lorraine. Les conditions de travail des mineurs et sidérurgistes s’améliorent dans les années 1980-1990 : la mécanisation rend le travail moins pénible (Pascal Raggi, 2019, p. 189). Les militants de la CGT sont alors favorables aux nationalisations et au développement d’usines à très haute valeur ajoutée. Ils demandent la construction d’usines où le fer serait transformé ce qui permettrait de conserver un certain nombre d’emplois au niveau lorrain. Pourtant, l’exploitation du puit de Piennes, centre symbolique du Pays Haut, se termine en 1986. L’usine sidérurgique d’Uckange, en Moselle, ferme définitivement en 1991. 

Pour pallier les fermetures d’usines, la CGT demande le renouvellement, dès 1987, de la CGPS (Convention Générale de Protection sociale de la Sidérurgie) décidée en 1984 pour réorienter les ouvriers. Les départs en préretraite et les contrats de formation se multiplient. Pour les autres, le gouvernement propose des reconversions. A Neuves-Maison, l’usine devient aciérie électrique en 1986. Experts dans leur domaine de compétences, les mineurs peinent à retrouver des emplois adaptés à leurs qualifications. Comme l’énonce Jean Markun parlant du redéploiement industriel de la France, l’industrie française se restructure autour de questions d’approvisionnement maritime, près de Dunkerque ou Fos-sur-Mer. En Lorraine, les fermetures se poursuivent après les années 1990, jusqu’en 2013 avec l’aciérie de Florange. Ce reportage dépeint ainsi l’engagement des sidérurgistes militants de la CGT quant à l’arrêt de la production en Lorraine. Aujourd’hui encore, la fête du sous-sol lorrain est organisée chaque année par la CGT, désormais à Tucquegnieux. Abandonnée à son triste sort, l’église de fer de Crusnes est aujourd’hui en train de rouiller.

• Julian Mischi, « Pour une histoire sociale du déclin du parti communiste », dans Florence Haegel, Partis politiques et système partisan en France, Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2007, p 91.
• Pascal Raggi, La désindustrialisation de la Lorraine du fer, Paris, Classiques Garnier, 2019.