Christian Durieux
J'aimerais savoir, à propos de Belle de jour, monsieur Bunuel, ce que vous avez apporté en plus du roman,
de ce qu'il y avait dans le roman de Joseph Kessel.
Luis Bunuel
J'ai la ligne du roman, c'est assez difficle de faire un film moderne avec ça,
non un film à cause de la ligne un peu feuilleton.
Mais j'ai pris le personnage central de Séverine
et le changement fondamental avec le livre avec Jean-Claude,
nous avons fait le scénario en interpolant des séquences, des petites interpolations, des idées qui peuvent être imaginées par Séverine ou par nous-mêmes.
Il arrive une certaine confusion dans le film, qui est intéressante.
Je crois que c'est peut-être intéressant.
J'ai apporté...
Nous avons apporté seulement ça des idées interpolées, qui sont peut-être imaginées par Séverine ou imaginées par nous, je ne sais pas.
Ou pas imaginaires du tout.
Christian Durieux
On a dit que Belle de jour était votre dernier film ?
Luis Bunuel
Je crois que oui.
En principe, ça va...
Je crois que c'est mon dernier film.
Je n'aime pas beaucoup plus travailler.
Je suis un travailleur extraordinaire pour l'oisiveté.
Je suis capable de passer des mois sans rien faire et je voudrais déjà finir sans rien faire.
Je ne sais pas.
Christian Durieux
J'aimerais savoir ce que vous devez respectivement à l'Espagne, au Mexique et à la France.
Est-ce que vous pouvez nous parler de cela ?
Luis Bunuel
A l'Espagne, je me sens attaché physique et culturellement.
C'est mes études, ma jeunesse, mon enfance, mes amis donc je crois que je suis très Espagnol.
Mais d'un autre côté, je dois ma formation, on pourrait dire, spirituellement, je dois à la France beaucoup parce que... à cause du groupe Surréaliste, je suis allé à Paris, je suis entré dans le groupe et je dois beaucoup.
Peut-être je serais une autre personne sans cette expérience surréaliste.
Au Mexique, je dois très peu à la culture.
J'aime beaucoup le pays.
Je suis Mexicain mais je suis étranger à la culture indienne.
En principe, en art, n'est-ce pas, tout ce qui ne vient pas de nos civilisations,
c'est-à-dire l'art chrétien qui vient de la Grèce, Rome, la cathédrale romane, la cathédrale gothique,
ça se ressent avec le coeur.
Et l'autre art que j'appelle exotique me laisse tout à fait froid.
N'importe quel art qui n'est pas chrétien m'est tout à fait indifférent.
Christian Durieux
Lorsque Le Chien Andalou est sorti au cinéma Ursuline, à Paris, vous étiez dans la salle, bien sûr, mais vous aviez des cailloux pleins les poches.
Est-ce qu'il vous arrive encore de vous rendre à une projection d'un de vos films avec des cailloux pleins les poches en pensant au public ?
Luis Bunuel
Aujourd'hui, beaucoup d'années sont passées déjà.
A cette époque-là, j'avais les cailloux pas pour défendre mon film mais pour défendre nos idées, les idées du groupe, n'est-ce pas ?
C'était désintéressé.
Aujourd'hui, si j'avais les mêmes cailloux, ça serait un auteur offensé, sa dignité et sa vanité d'artiste offensé.
Donc ce n'est pas la peine.
C'est des cailloux immoral.