Jean-Luc Godard et Anna Karina : Pierrot le fou

02 septembre 1965
03m 51s
Réf. 00028

Notice

Résumé :

Suite à une brève présentation de Simon du désert de Luis Buñuel, Jean-Luc Godard répond aux questions de Maurice Seveno sur l'histoire de Pierrot le fou, le thème de la peinture évoqué dans le film et sur son côté provocateur. Puis Anna Karina parle de son rôle dans le film et de ses autres collaborations avec Godard.

Type de média :
Date de diffusion :
02 septembre 1965
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )
Thèmes :

Éclairage

Jean-Luc Godard, ancien critique aux Cahiers du cinéma, né en 1930, sort en 1965 son deuxième film de l'année et son dixième long métrage en sept ans. Pierrot le fou a été tourné avec Anna Karina, compagne du cinéaste, avec laquelle il a déjà fait cinq films dont Bande à part et Alphaville en 1964 et 1965. L'autre vedette est Jean-Paul Belmondo, que Godard a fait connaître dans A bout de souffle en 1959 et réemployé, avec Karina, dans Une femme est une femme en 1961.

Pierrot le fou demeure l'un des films les plus éblouissants de la Nouvelle Vague. Intrigue prétexte, raccords intuitifs, citations provocantes, bande son déroutante : l'ensemble, formidablement photographié - en couleurs - par le chef opérateur Raoul Coutard, peut être vu comme un art poétique godardien. La réception agitée du film ne l'empêchera pas, au fil des ans, d'accéder au statut d'oeuvre culte.

Godard poursuivra sa carrière en se tournant bientôt vers un cinéma didactique, politique et anti-commercial avant de s'intéresser de près, à la fin des années 70, à la vidéo et à la télévision.

Thierry Méranger

Transcription

Maurice Seveno
Ici le Lido de Venise. Décidément, je n'aimerais pas être à la place du jury de ce festival car, jusqu'ici, on n'a pas vu grand-chose. Seuls deux films retiennent l'attention, mais pour des raisons diverses, ils ont peu de chances d'emporter la palme. Le premier de ces films, c'est celui de Bunuel, Simon du désert, Simon le stylite, magnifique poème, très bel exercice de style dans lequel on retrouve tous les thèmes chers à Bunuel. Mais justement, nous sommes, ici, en Italie, et vous savez qu'en Italie, on n'apprécie pas tellement le blasphème. De ce fait, Simon du désert sera sans doute écarté. Et puis, il y a le film de Jean-Luc Godard qui vient d'être présenté, Pierrot le fou. D'abord, Jean-Luc, est-ce que Pierrot le fou, c'est l'histoire du fait divers ?
Jean-Luc Godard
Ah, l'histoire de Pierre Loutrel. Non, non, absolument pas. C'est l'histoire d'un type, il ne s'appelle même pas Pierrot, il s'appelle Ferdinand, du reste. C'est la fille dont il est amoureux qui l'appelle Pierrot pour l'énerver et lui répète sans arrêt : « Je m'appelle Ferdinand. » et elle lui dit : « Tu es fou. » Enfin, c'est un surnom.
Maurice Seveno
Vous faites parler Elie Faure par sa voix. A quoi ça correspond ? L'histoire de l'art paraît-il.
Jean-Luc Godard
Au début. Il lit un truc d'histoire de l'art, je trouve qui correspond assez à... au monde qui commence... Enfin, c'est un film sur la peinture. Enfin pas sur la peinture mais qui est... qui est, je crois, un film qui est plus un tableau, enfin, qui est plus un paysage comme comment font les peintres, ou un portrait à la fois paysage et portrait. Alors, au début, je pense, mon propos était le même qu'un peintre... Je trouvais que c'était un immense peintre, Velasquèz, je suis... La comparaison est un peu haute mais qui me semblait bien.
Maurice Seveno
Jean-Luc Godard, êtes-vous un provocateur ? Entendons-nous bien, ce n'est pas injurieux ce qu'on peut vouloir signifier.
Jean-Luc Godard
Provocateur, ce n'est pas...
Maurice Seveno
Non. On peut vouloir aussi bien provoquer l'admiration, l'étonnement que la colère.
Jean-Luc Godard
Dans ce sens-là, provoquer un événement, pas provocateur au sens policier du mot, disons.
Maurice Seveno
Oui, c'est ça, oui. Enfin, je veux dire, vous aimez bien étonner, par exemple.
Jean-Luc Godard
Ben non, mais il se trouve que si les gens sont endormis et qu'il y a des choses qui font du bruit, ben, ça les réveille s'ils étaient endormis. S'ils étaient éveillés déjà, ça ne les réveille pas du tout.
Maurice Seveno
Anna, parlez-nous d'abord de votre rôle dans Pierrot le fou.
Anna Karina
C'est un personnage assez extraordinaire dans le sens que c'est une fille qui est beaucoup de choses à la fois : elle est méchante, elle est vicieuse, elle est romantique, elle est sentimentale, elle tue, dans le film, et tout de suite après, elle vit une vie, comme ça, spontanée.
Maurice Seveno
Je sais que vous êtes très souvent l'agent d'un destin signé Godard ?
Anna Karina
Oui, mais là, je crois que c'est un personnage qui est tout les rôles que j'ai faits, c'est-à-dire c'est à la fois :
Jean-Luc Godard
Une femme est une femme, Vivre sa vie, Le petit soldat, Bande à part.
Anna Karina
C'est un peu tout ça.
Maurice Seveno
Est-ce que vous ne pensez pas que vous êtes la femme fatale 1965, finalement ?
Anna Karina
Moi ?
Maurice Seveno
Oui.
Anna Karina
Ah ah ! Non, je ne crois pas. Non, je ne crois pas dans le sens que ce que j'aime faire, c'est j'aime changer de tout, j'aime... j'aime vivre, faire n'importe quoi, alors je ne crois pas que ça soit tellement fatal. Je ne crois pas que j'aie une tête à ça, d'ailleurs.
Maurice Seveno
On ne sait jamais.
Anna Karina
Peut-être. Mais j'aimerais beaucoup.
(Silence)