L'attentat de Mers-Sultan et ses conséquences
Notice
En visite à Marrakech, Gilbert Grandval, résident général de France au Maroc, est interviewé par Georges de Caunes après l'attentat nationaliste du 14 juillet à Casablanca, qui a causé la mort de six Européens, et entraîné des émeutes anti-marocaines.
Éclairage
Gilbert Grandval, nommé résident général fin juin 1955 à la suite de Francis Lacoste, ne bénéficie d'aucun répit pour mettre en œuvre sa politique d'apaisement dans un Maroc en ébullition depuis la déposition du sultan Mohammed Ben Youssef (20 août 1953). Quelques jours seulement après son arrivée, alors que les Français célèbrent le 14 juillet, un attentat visant un café de Casablanca provoque la mort de six Européens et entraîne de sanglantes représailles dans l'ensemble du pays. Le journal télévisé du 22 juillet revient sur les troubles. La RTF a posé sa caméra avenue Mers-Sultan où explosait la bombe. Les images de débris attestent des violences qu'a traversées Casablanca durant plusieurs journées. L'équipe de reporters suit ensuite le résident général à Marrakech où il est accueilli par le pacha Thami El Glaoui, soutien de la France et principal instigateur de l'éviction de Mohammed Ben Youssef. Le rituel des visites officielles semble imperméable au temps et aux événements : le concert des musiciens marocains, l'exhibition des poupées traditionnelles le long du parcours, l'offrande du lait et des dattes ponctuent l'arrivée de Gilbert Grandval (21 juillet). Mais le résident général salue des rues à moitié vides et une manifestation nationaliste dégénère peu après son entrée dans la ville.
Le reportage, muet car commenté en direct par le présentateur du JT, est suivi d'une interview du résident par le journaliste Georges de Caunes. Grandval trouve ainsi l'occasion de s'expliquer sur une politique vivement contestée au sein de la colonie française – il a été hué par ses compatriotes lors des obsèques des victimes de l'attentat. En effet, depuis son arrivée à Rabat, le nouveau résident s'attache à rétablir l'autorité de la métropole sur une administration prompte à agir de sa propre initiative, en collusion avec certains groupes ultras. Ce grave état de fait se révèle une fois encore durant les événements de Casablanca où Grandval est contraint de faire appel à l'armée, « la police n'apporta[n]t pas à sa tâche toute la flamme désirable » – elle aurait protégé les émeutiers dans leurs exactions contre la population marocaine. L'expulsion du docteur Georges Causse, président de Présence française suspecté d'être derrière une partie des violences, participe de cette reprise en main. Si l'entretien se fait avec toutes les précautions en usage alors dans les interviews politiques (« Si c'est une question indiscrète je vous prie de bien vouloir m'en excuser, c'est une question de journaliste »), il surprend néanmoins en ce qu'il révèle les dissensions de la communauté européenne, dissensions systématiquement tues par les Actualités françaises. Le ton apparaît ainsi plus libre à la télévision, peu accessible aux Marocains, qu'au cinéma, plus populaire et donc plus durement censuré – il importe, en effet, de présenter un front uni au colonisé.
Parce que l'interview touche un public presqu'exclusivement français, Grandval prend soin de rassurer l'audience sur l'absence de politique nouvelle et minimise ses contacts avec Mbarek Bekkaï, ancien pacha de Sefrou qui avait quitté son poste pour protester contre la déposition du sultan. « Personne ne cherche à mettre en cause l'intangibilité des intérêts et de la présence française au Maroc », assure fermement le résident général qui, s'il ne croit plus en l'avenir de Mohammed Ben Arafa, espère encore empêcher le retour de Mohammed Ben Youssef.