L'indépendance vue de Tombouctou, entre liesse et inquiétudes, séquence 3 [muet]

1959
01m 32s
Réf. 01034

Notice

Résumé :

La fête de l'indépendance : dans les tribunes, sous les drapeaux maliens et les banderoles, les officiers et sous-officiers français assistent à la fête officielle de l'indépendance en septembre 1960, à côté des officiels et notables locaux.

Type de média :
Date d'événement :
1959

Éclairage

Ce très intéressant film amateur a été réalisé entre juin et septembre 1960 par le lieutenant-colonel René Caron, en poste depuis fin 1959 à Tombouctou, ville du nord de la république soudanaise (ex-Soudan français). Comme souvent avec ce type de document audiovisuel, il est malaisé de distinguer qui est filmé, et à quel moment précis. Mais le film amateur parvient néanmoins à capturer un certain nombre d'éléments que ne donnent pas à voir, du moins la plupart du temps, une cinématographie plus officielle. C'est aussi parfois l'opérateur amateur qui a la chance de se trouver au bon endroit, au bon moment, et qui fixe sur la pellicule des scènes imprévisibles et spontanées. C'est le cas dans ce petit film couleur en format 8 millimètres, qui permet de saisir, depuis une petite agglomération, une fête de l'indépendance modeste, mais aussi moins contrôlée que celles organisées dans les grandes capitales. Il donne également la possibilité de saisir l'agitation des semaines précédant la fête nationale.

Deux scènes spontanées sont particulièrement intéressantes à interroger. Dans la première (voir séquence 1) qui se déroule en juin ou en juillet 1960, un camion pavoisé arbore une banderole proclamant la « Renaissance » de Tombouctou. S'agit-il d'un groupement politique affilié au parti du président Modibo Keita ? D'une association de jeunesse ? D'un club sportif ? Il est difficile de trancher mais l'on devine la mobilisation de certaines catégories de la population – et son encadrement possible – à l'approche de la déclaration d'indépendance.

Une deuxième scène frappante (voir la séquence 2) attire l'attention du spectateur : elle donne à voir un groupe de Touaregs montés sur les dromadaires et armés, qui investissent les rues de Tombouctou. Cette manifestation date du 14 juillet 1960. Elle témoigne de l'anxiété des groupes nomades de la région, inquiets des conséquences de l'indépendance. Comme l'a mis en évidence l'historien Pierre Boilley, les Touaregs, souvent faiblement instruits et politisés, n'eurent guère la possibilité de s'exprimer dans le contexte des décolonisations et quand ils le firent, ce fut généralement pour exprimer de fortes réticences. Une pétition lancée le 30 octobre 1957, et reprise le 30 mai 1958 par un cadi de Tombouctou, Mohamad Mahmoud ould Cheikh, fut ainsi signée par plus de 300 chefs ou notables maures, touaregs et songhaï de Gao, Goundam et Tombouctou : elle réclamait la séparation politique d'avec les Soudanais du sud et la création d'un ensemble politique spécifique dans la boucle du Niger. Certains groupes furent d'ailleurs manipulés en ce sens par des officiers méharistes français, qui souhaitaient unifier les régions sahariennes sous le drapeau de la France (cf. Edmond Bernus, Pierre Boilley, Jean Clauzel, Jean-Louis Triaud (dir.), Nomades et commandants. Administration et sociétés nomades dans l'ancienne AOF, Karthala, 1993).

Le petit film donne enfin à voir les cérémonies proprement dites de la fête de l'indépendance (22 septembre 1960), soit un peu plus d'un mois après l'éclatement de la Fédération du Mali qui avait vu le projet de réunion en une seule entité politique du Sénégal et du Soudan français (voir La fédération du Mali : un projet politique original et La crise politique au sein de la Fédération du Mali). C'est dans une certaine précipitation que sont organisées les festivités destinées à marquer l'accession à l'indépendance du nouvel État, qui garde à son compte le nom ancien de Mali. À Tombouctou, les choses ne sont pas faites en grand : en témoigne la modestie du défilé militaire et des cérémonies afférentes, tel le lever du drapeau aux couleurs de la nouvelle république.

Sophie Dulucq