La fête de l’indépendance au Sénégal [muet]
Notice
Fêtes de l'Indépendance du Sénégal et arrivée du Jeanne d'Arc à Dakar.
Éclairage
L'accession à l'indépendance du Sénégal s'est faite selon un processus moins linéaire que celui de la plupart de ses voisins ouest-africains. De fait, la création d'un État fédéral avec le Soudan voisin avait été mise en chantier à partir de 1958-1959 (voir La fédération du Mali : un projet politique original), mais s'était soldée par un échec en août 1960. Le Sénégal proclame son indépendance le 20 août 1960, dissociant désormais son destin de celui du Soudan (voir La crise politique au sein de la Fédération du Mali).
Les festivités conjointes qui auraient dû avoir lieu le 17 janvier 1961 sont donc annulées. Chacun des deux pays programme ses propres cérémonies selon un calendrier distinct et les autorités sénégalaises choisissent de célébrer l'accession à l'indépendance le 4 avril 1961 – date anniversaire de la signature des accords aboutissant à la reconnaissance de l'indépendance de la Fédération du Mali. C'est à cette date, en effet, que Michel Debré, Premier ministre français, Modibo Keita, président de la Fédération et Mamadou Dia, vice-président et Premier ministre du Sénégal, avaient conclu les accords de transfert des compétences de la Communauté à la république sénégalaise, d'une part, et à la république soudanaise, d'autre part. C'est dans ce contexte particulier – et selon ce calendrier paradoxal – que sont organisées les réjouissances du 4 avril 1961 à Dakar. Senghor, président de la jeune république, y apparaît comme l'homme fort aux côtés de Mamadou Dia (vis-à-vis de qui, pourtant, il commence à exprimer de premières divergences).
Les dignitaires français se sont pressés à Dakar pour honorer le poète-président : on aperçoit ainsi dans la tribune officielle André Malraux, ministre de la Culture, et Gaston Monnerville, président du Sénat français, aux côtés de divers chefs d'État ouest-africains, à l'exemple de Félix Houphouët-Boigny. Le vice-président américain Lyndon Johnson fait également partie des hôtes de marque. Au total, 82 délégations venues de 72 pays ont été reçues en grande pompe. La place de l'Indépendance est officiellement baptisée à cette occasion. Offices religieux, manifestations sportives et populaires se succèdent, ainsi que des réceptions officielles. On assiste toute la journée à des défilés des troupes, des saint-cyriens, des enfants des écoles, des mères de famille, des anciens combattants, des dignitaires musulmans (notamment mourides), des employés municipaux, des ouvriers métallurgistes, des athlètes, des agriculteurs, etc. C'est toute la société sénégalaise qui est mise en scène dans une chorégraphie bien rodée. Le parti du président, l'UPS (Union Progressiste sénégalaise), a œuvré pour que la mobilisation populaire se fasse à grande échelle.
Très réussie, la fête de l'indépendance sénégalaise se caractérise donc par un faste tout particulier et par la dimension internationale que les autorités, Léopold Sedar Senghor en tête, ont voulu lui donner « dans un décor global pensé par le pouvoir » (cf. Susan Baller, « Fêtes célébrées, fêtes supprimées [...] », in Odile Goerg, J.-Luc Martineau et Didier Nativel (dir.), Les indépendances en Afrique. L'événement et ses mémoires, Rennes, PUR, 2013, p. 293-316). A cet égard, et malgré le caractère paradoxal de la date retenue, la fête du 4 avril 1961 constitue un moment de cristallisation nationale de première importance.