État des lieux de l'habitat minier des Charbonnages

23 mars 1996
04m 53s
Réf. 00272

Notice

Résumé :

L'habitat minier issu des Charbonnages de France a été repris par la SOGINORPA (Société de gestion du patrimoine immobilier des Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais) pour les 150 communes concernées. Pour Dominique Deprez son directeur général, il s'agit de travailler sur l'aménagement du territoire alors que Charbonnages de France n'a qu'une stratégie à court terme et veut vendre son patrimoine. Marcel Barrois, président de l'association de défense du logement minier, plaide pour l'investissement dans la réhabilitation des logements, quant à Aristide Roussel, président CFE-CGC mineurs, il n'est pas question de remettre en cause le statut du mineur (il accorde le logement gratuit aux chefs de famille).

Type de média :
Date de diffusion :
23 mars 1996
Source :

Éclairage

Le reportage présenté ici fait le point sur la question du logement minier. Il intervient dans un contexte très particulier. En 1991-1992, la gestion de la filiale des Houillères chargée de ces logements, la Soginorpa (Société de gestion du patrimoine immobilier des Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais), a été confiée aux élus via une Société d'économie mixte, la Sacomi (Société d'aménagement des communes minières). Mais la Sacomi souffre en ce milieu des années 1990 de problèmes financiers récurrents et sa gestion est de plus en plus contestée (1). A l'automne 1995, le gouvernement de droite d'Alain Juppé demande à l'Inspection générale des finances (IGF) un rapport sur la situation.

Il est vrai que cette situation paraît passablement inextricable, tant se mêlent en elle des enjeux tout à la fois financiers, politiques et symboliques. Elle est caractérisée en outre par un conflit récurrent entre échelle nationale et échelle locale. D'un côté, les dirigeants de Charbonnages de France (CdF) et les représentants de l'État, responsables en dernier ressort de ce patrimoine immobilier, estiment que ce dernier est avant tout un actif financier et qu'il doit être mieux valorisé. Ils s'inquiètent en outre du fonctionnement de la Sacomi, du coût des rénovations qu'elle entreprend et d'éventuelles dérives clientélistes de la part des élus chargés de l'organisme. De l'autre, les acteurs locaux (élus, syndicalistes) mettent en avant les contraintes que l'État fait peser sur la Sacomi (non-endettement, remontée d'une partie de l'argent des loyers vers Paris) et les obstacles matériels qui sont mis à son fonctionnement. Ce conflit aboutit à des situations parfois paradoxales : c'est ainsi que l'Union régionale du syndicat CGT des mineurs (dirigée par Marcel Barrois) s'oppose au principe de la remontée, alors que la CGT nationale, représentée au conseil d'administration de CdF, y est favorable... Tous les acteurs locaux cependant sont loin d'être d'accord entre eux : la direction de la Sacomi par Jean-Pierre Kucheida (député-maire socialiste de Liévin) est ainsi critiquée par d'autres élus socialistes miniers, tel André Delelis (député-maire socialiste de Lens).

Minée par ces dissensions internes, la Sacomi ne survit pas au sévère rapport que remet l'IGF au printemps 1996 concernant sa gestion : l'organisme disparaît dès le mois de juin. Lui succède une Soginorpa modernisée mais qui revient sous le contrôle direct de CdF. La contestation renaît aussitôt de la part des élus et la question continue à rebondir au moins jusqu'au début des années 2000. On notera enfin que les dernières secondes du reportage témoignent d'une évolution intéressante. Droit historique lié au Statut du mineur, habitat social ou modalité d'accès à la propriété, le logement minier est aussi présenté ici comme un élément patrimonial (2), au sens culturel et non plus seulement financier du terme. C'est l'un des premiers signes d'une prise de conscience qui ne fait que s'affirmer dans les décennies qui suivent.

(1) Fabien Desage, La bataille des corons. Le contrôle du logement minier, enjeu politique majeur de l'après-charbon dans l'ancien bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, DEA de Sciences Politiques, Université de Lille II, 1999, p. 195-210 . Accessible en ligne

(2) Yves Le Maner, Du coron à la cité : un siècle d'habitat minier dans le Nord-Pas-de-Calais, 1850-1950, Lewarde, Éditions du Centre Historique Minier, 1995.

Marion Fontaine

Transcription

Véronique Marchand
Dans la région, je vous propose de suivre ce dossier de Michel Barre et Bernard Deron qui fait tout simplement un état des lieux.
Michel Barre
La dernière trace encore vivante de l’exploitation du charbon dans la région est le logement. 74 000 maisons qui – dans 150 communes de Condé-sur-l’Escaut à Auchel et Barlin sur 120 km – abritent près de 150 000 personnes, dont 60 % de retraités et veuves de mineurs. Un patrimoine hors du commun, inégal, disparate. Il a été confié, il y a 11 ans, à la Société de Gestion Immobilière du Nord-Pas-de-Calais, la SOGINORPA, filiale à 100 % de Charbonnage de France. En 1992, la Société d’Aménagement des Communes Minières, la SACOMI, composée des collectivités territoriales de la région en a reçu la gérance pour 10 ans. Ce patrimoine social et économique est aussi devenu un enjeu financier. Il représente un actif de 7 milliards de francs ; et le chiffre d’affaires de la SOGINORPA a dépassé l’an dernier 1 milliard 100 millions de francs.
Dominique Deprez
Le contrat de gestion est signé pour 10 ans avec une possibilité d’évolution des modalités pratiques 4 ans après son début. Ben, nous y sommes, et nous sommes donc en train de discuter à la fois avec Charbonnage de France et avec les ministères de tutelle.
Michel Barre
A l’origine, la SOGINORPA devait rembourser à Charbonnages une avance sans intérêt de plus de 2 milliards de francs. Cette dette est désormais éteinte. Mais CdF supporte un découvert de 12 milliards du fait de la récession. Ses tutelles estiment que ce patrimoine doit maintenant produire des dividendes et qu’il est mal valorisé. Il juge les loyers trop bas et les coûts de rénovation trop élevés. De leur côté, les régionaux, et parmi eux la SACOMI, ne veulent plus envoyer d’argent à Paris envers qui, ils affirment ne plus avoir d’obligation. Ils souhaitent emprunter pour activer les travaux. Le logement minier, c’est 750 millions injectés chaque année dans l’industrie régionale du bâtiment, 2 250 emplois, et il reste entre 25 et 30 000 logements à rénover.
Dominique Deprez
La SACOMI – tout à fait dans le cadre du contrat de gestion – a développé une stratégie d’aménagement du territoire et d’amélioration de l’habitat qualitative de ce patrimoine ; alors que un certain nombre de responsables parisiens et notamment à Charbonnages de France ; pourraient privilégier une stratégie à beaucoup plus court terme de rentabilité financière de ce patrimoine.
Marcel Barrois
Le mieux serait que l’ensemble des ressources de la SOGINORPA – les ressources de gestion qui sont importantes, qui sont largement bénéficiaires ; soient réinvesties complètement dans les travaux d’entretien et d’amélioration, ce qui permettrait, sans aucun doute, au moins de doubler le rythme actuel.
Michel Barre
Charbonnage est le seul actionnaire de la SOGINORPA. C’est aussi son premier client, puisqu’il lui paie les loyers de 43 000 ayants-droits et une charge qui va s’amenuiser au fil des années. La vente d’une partie du parc à des sociétés immobilières lui apporterait de l’argent frais. Cette suggestion a fait bondir le syndicat CFE-CGC des ETAM, qui a demandé un droit de préemption pour les mineurs. Il serait 8 000 à vouloir l’exercer, et il a imaginé une autre solution pour la SOGINORPA.
Aristide Roussel
Ce Monsieur achetant son logement touchera toujours l’indemnité de logement. Donc on ne remet pas en cause les acquis et le jadis du statut de mineurs de 46, absolument pas ! SOGINORPA deviendra demain, au niveau de son actif, il aura donc toujours les 65 000 logements. Il aura la vente des 10 000 logements qui auront rapporté une somme importante, somme importante transformée en 4 000 ou 5 000 logements sociaux neufs.
Michel Barre
Encore faut-il que cette somme reste dans la région. L’avenir des logements issus des Houillères et leur gestion comporte un volet social. Le revenu moyen des 25 000 locataires non mineurs est de 7 000 francs par mois. Un volet économique par le volume d’activité fourni aux entreprises de bâtiment, et un volet aménagement du territoire qui ne se limite pas au seul ancien Bassin minier.
Marcel Barrois
Si demain, on pouvait présenter un nouveau visage de cette région, en particulier dans le domaine d’aménagement des cités et des communes minières ; il est clair que l’on deviendrait une zone beaucoup plus attractive encore que nous ne le sommes aujourd’hui.
Dominique Deprez
Nous pesons d’un poids important dans le Bassin minier. Nous sommes aux portes de Lille, à moins de 30 minutes de Lille pour l’essentiel du bassin. Nous sommes aux portes d’Arras, 30 minutes également. C’est un dossier d’aménagement essentiel dans la perspective de l’aménagement du territoire dans la région de Nord-Pas-de-Calais toute entière.
Michel Barre
L’habitat minier est enfin un patrimoine culturel. Deux ouvrages parus récemment, écrits l’un par un historien, l’autre par deux architectes, en relève la valeur. Les négociations doivent avoir abouti avant fin juin. Pour toutes ces raisons, les enjeux en sont considérables.