Visite de François Mitterrand pour la commémoration de la catastrophe de Liévin

19 novembre 1994
02m 24s
Réf. 00270

Notice

Résumé :

Le Président François Mitterrand s'est rendu à Liévin pour le vingtième anniversaire de la catastrophe minière de la fosse 3 alors que se tient le congrès du Parti socialiste dans la ville. Il a répondu aux critiques de récupération de la mémoire des mineurs et a déposé une gerbe au mémorial. Dans son discours, il a célébré les combats des mineurs pour un minimum de justice pour les conditions de travail, les retraites et la maladie. A la mairie de Liévin, François Mitterrand s'est adressé aux socialistes réunis en congrès.

Date de diffusion :
19 novembre 1994

Éclairage

Si on les compare aux cérémonies organisées en 1984, les manifestations organisées en 1994 pour le vingtième anniversaire de la catastrophe – la plus meurtrière de l'après-guerre – survenue à Liévin témoigne de la rupture achevée avec la période minière. Le dernier puits a fermé dans la région en 1990 et le mineur rescapé qui intervient brièvement dans le cours de la séquence est, comme tous ses camarades désormais, un retraité. L'évocation du souvenir de la catastrophe n'est plus liée à la poursuite d'un quelconque combat militant au sein de l'exploitation minière ; ce souvenir est relu en fonction des enjeux du présent "post-minier" à l'échelle locale comme à l'échelle nationale. L'événement de 1974 est en passe de devenir un "lieu de mémoire", au sens exact que l'historien Pierre Nora a donné à ce terme : ce qui reste encore vivant d'une certaine mémoire quand les milieux, les sociétés qui portaient auparavant cette mémoire se désagrègent ou disparaissent.

La catastrophe est donc saisie ici de manière "présentiste" (François Hartog (1) ), en particulier par les socialistes. À l'invitation du député-maire de Liévin, Jean-Pierre Kucheida, le président de la République François Mitterrand, qui achève alors son second mandat, est venu en effet participer à la commémoration. Le fait que se tienne au même moment dans la ville de Jean-Pierre Kucheida le congrès du Parti socialiste (PS) n'est sans doute pas tout à étranger à cette venue. Le début des années 1990 est de fait pour les socialistes le temps de la remise en cause et des incertitudes. À l'atmosphère de fin de règne entourant un président malade et vieillissant vient s'ajouter le poids des cuisants revers électoraux subis aux élections législatives (1993) et européennes (1994). Les socialistes se déchirent alors à la fois sur le leadership au sein du parti et sur ce que doit être désormais l'identité du PS : faut-il reconnaître la mue réformiste accomplie durant les deux septennats de François Mitterrand, faut-il au contraire renouer avec un discours plus radical ? Ce sont autant de débats qui prennent Liévin pour théâtre. Face à cela, le président François Mitterrand s'affirme d'une part comme le gardien de la mémoire, venu apporter la reconnaissance de la nation aux héritiers des mineurs. Il ne renonce pas d'autre part à jouer encore la statue du commandeur auprès de ses camarades socialistes, usant du souvenir de la catastrophe de Liévin pour rappeler à ces derniers les valeurs sociales et la base ouvrière qui, dit-il, doivent continuer à caractériser le PS. Conviction sincère et/ou tentative pour influencer une dernière fois les décisions prises au congrès de Liévin, notamment le choix du Premier Secrétaire ?(2) Les deux motifs ont leur part sans doute. Dans tous les cas l'image du président agonisant parlant aux descendants des mineurs a su inspirer le réalisateur Robert Guédiguian, qui fait de ce discours de Liévin l'une des plus belles scènes de son film, Le Promeneur du Champ de Mars (2004).

(1) François Hartog, Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil - La librairie du XXème siècle, 2003. Il donne cette définition :

" Le présent est devenu l'horizon sans futur et sans passé, il génère, au jour le jour, le passé et le futur, dont il a, jour après jour, besoin et valorise l'immédiat". Le passé est envisagé, non pour lui-même, mais comme un objet consommé au présent et analysé exclusivement en fonction des cadres du présent.

(2) C'est Pierre Emmanuelli représentant "l'aile gauche" du parti qui sera élu avec plus de 90% des voix. Sur le jeux d'influence au sein du PS voir : Frédéric Sawicki, Les réseaux du Parti socialiste. Sociologie d'un milieu partisan, Paris, Belin, 1997, p. 152-175.

Marion Fontaine

Transcription

Olivier Brumelot
Bonsoir, un hommage aux mineurs, un message aux socialistes. La visite de François Mitterrand à Liévin aujourd’hui a été empreinte de gravité. Après avoir déposé une gerbe devant la stèle commémorant les victimes de la catastrophe minière de 1974 ; le Chef de l’Etat s’est adressé aux socialistes dans son discours prononcé à la Mairie de Liévin à l’heure de leur congrès. François Mitterrand a enjoint les socialistes à rester fidèles aux valeurs de la gauche. Liévin, Hervé Arduin et Marie Laure Laîné.
Hervé Arduin
Manœuvre politicienne, utilisation de la mémoire des mineurs, les commentaires n’ont pas manqué autour de la visite de François Mitterrand. Réponse sans ambiguïté d’entrée de jeu face aux critiques.
François Mitterrand
Si on a besoin de quelques considérations, le caractère politique, ce n’est pas le lieu. Nous irons à la mairie tout à l’heure et nous pourrons davantage échanger nos propos.
Hervé Arduin
Ne pas mélanger les gens, François Mitterrand s’est donc attaché en premier lieu à rendre hommage aux 42 mineurs ayant trouvé la mort il y a 20 ans dans la fosse 3 de Liévin ; et à travers eux, tous ceux qui ont contribué au progrès social.
François Mitterrand
Ainsi, l’action de ces mineurs a-t-elle permis la mise en place d’un dispositif de solidarité et de justice ou d’un minimum de justice ; dans des domaines essentiels pour les conditions de travail, pour la retraite, pour la protection contre la maladie. Et croyez-moi, au-delà de tous les propos bénisseurs, ces combats-là restent d’actualité.
Stephan Szczepanski
Votre recueillement sur la stèle de la catastrophe de Liévin, c’est aussi et surtout un geste qui témoigne que vous n’avez pas oublié la peine des mineurs.
Hervé Arduin
13 heures, Mairie de Liévin, là, c’est un tout autre François Mitterrand qui s’adresse à ses amis socialistes réunis en congrès national, le ton est rassembleur.
François Mitterrand
On ne peut rien faire si l’on s’éloigne de ses bases. On peut à partir de là élargir l’horizon, on peut comprendre le langage des autres, on peut même en assimiler une partie. Rien n’est interdit à condition de ne rien perdre de ce qui fait le message dont on est les porteurs.
Hervé Arduin
Attachement aux valeurs de gauche, appel à l’élection d’un candidat socialiste de préférence, François Mitterrand a lancé les socialistes dans la campagne présidentielle.