Visite de François Mitterrand pour la commémoration de la catastrophe de Liévin
Notice
Le Président François Mitterrand s'est rendu à Liévin pour le vingtième anniversaire de la catastrophe minière de la fosse 3 alors que se tient le congrès du Parti socialiste dans la ville. Il a répondu aux critiques de récupération de la mémoire des mineurs et a déposé une gerbe au mémorial. Dans son discours, il a célébré les combats des mineurs pour un minimum de justice pour les conditions de travail, les retraites et la maladie. A la mairie de Liévin, François Mitterrand s'est adressé aux socialistes réunis en congrès.
Éclairage
Si on les compare aux cérémonies organisées en 1984, les manifestations organisées en 1994 pour le vingtième anniversaire de la catastrophe – la plus meurtrière de l'après-guerre – survenue à Liévin témoigne de la rupture achevée avec la période minière. Le dernier puits a fermé dans la région en 1990 et le mineur rescapé qui intervient brièvement dans le cours de la séquence est, comme tous ses camarades désormais, un retraité. L'évocation du souvenir de la catastrophe n'est plus liée à la poursuite d'un quelconque combat militant au sein de l'exploitation minière ; ce souvenir est relu en fonction des enjeux du présent "post-minier" à l'échelle locale comme à l'échelle nationale. L'événement de 1974 est en passe de devenir un "lieu de mémoire", au sens exact que l'historien Pierre Nora a donné à ce terme : ce qui reste encore vivant d'une certaine mémoire quand les milieux, les sociétés qui portaient auparavant cette mémoire se désagrègent ou disparaissent.
La catastrophe est donc saisie ici de manière "présentiste" (François Hartog (1) ), en particulier par les socialistes. À l'invitation du député-maire de Liévin, Jean-Pierre Kucheida, le président de la République François Mitterrand, qui achève alors son second mandat, est venu en effet participer à la commémoration. Le fait que se tienne au même moment dans la ville de Jean-Pierre Kucheida le congrès du Parti socialiste (PS) n'est sans doute pas tout à étranger à cette venue. Le début des années 1990 est de fait pour les socialistes le temps de la remise en cause et des incertitudes. À l'atmosphère de fin de règne entourant un président malade et vieillissant vient s'ajouter le poids des cuisants revers électoraux subis aux élections législatives (1993) et européennes (1994). Les socialistes se déchirent alors à la fois sur le leadership au sein du parti et sur ce que doit être désormais l'identité du PS : faut-il reconnaître la mue réformiste accomplie durant les deux septennats de François Mitterrand, faut-il au contraire renouer avec un discours plus radical ? Ce sont autant de débats qui prennent Liévin pour théâtre. Face à cela, le président François Mitterrand s'affirme d'une part comme le gardien de la mémoire, venu apporter la reconnaissance de la nation aux héritiers des mineurs. Il ne renonce pas d'autre part à jouer encore la statue du commandeur auprès de ses camarades socialistes, usant du souvenir de la catastrophe de Liévin pour rappeler à ces derniers les valeurs sociales et la base ouvrière qui, dit-il, doivent continuer à caractériser le PS. Conviction sincère et/ou tentative pour influencer une dernière fois les décisions prises au congrès de Liévin, notamment le choix du Premier Secrétaire ?(2) Les deux motifs ont leur part sans doute. Dans tous les cas l'image du président agonisant parlant aux descendants des mineurs a su inspirer le réalisateur Robert Guédiguian, qui fait de ce discours de Liévin l'une des plus belles scènes de son film, Le Promeneur du Champ de Mars (2004).
(1) François Hartog, Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil - La librairie du XXème siècle, 2003. Il donne cette définition :
" Le présent est devenu l'horizon sans futur et sans passé, il génère, au jour le jour, le passé et le futur, dont il a, jour après jour, besoin et valorise l'immédiat". Le passé est envisagé, non pour lui-même, mais comme un objet consommé au présent et analysé exclusivement en fonction des cadres du présent.
(2) C'est Pierre Emmanuelli représentant "l'aile gauche" du parti qui sera élu avec plus de 90% des voix. Sur le jeux d'influence au sein du PS voir : Frédéric Sawicki, Les réseaux du Parti socialiste. Sociologie d'un milieu partisan, Paris, Belin, 1997, p. 152-175.