Mai 68, les revendications de l'Ouest
Notice
Les partis de gauche et les syndicats ont lancé un appel à la grève générale. Des manifestations regroupant étudiants, ouvriers et paysans se sont déroulées au Mans, à Laval et à Angers.
Éclairage
Mai 68 dans l'Ouest n'est pas une simple imitation des événements parisiens. Dès la fin de l'année 1967, les syndicats d'agriculteurs, d'ouvriers et d'enseignants se mettent d'accord pour appeler à une journée de grève générale et manifester dans tout l'Ouest le 8 mai 1968. La région de Nantes-Saint-Nazaire comme la Bretagne connaissent pendant les années Soixante des mouvements sociaux spécifiques qui s'ancrent dans le monde agricole et industriel. Avant 1968, la fermeture des forges d'Hennebont en 1966, les difficultés des chantiers navals de Saint-Nazaire et la crise de l'industrie de la chaussure à Fougères provoquent de nombreuses manifestations, parfois entachées de violences. Tous ces mouvements voient se développer la notion de la solidarité entre ouvriers et paysans. Dès 1961, la FDSEA de Loire-Atlantique s'est rapprochée des syndicats ouvriers et en juin 1961 a lieu à Saint-Nazaire la première grande manifestation rassemblant des ouvriers et paysans. En 1967, les manifestations rassemblent de plus en plus souvent les ouvriers, les paysans, voire les commerçants d'une même région qui prennent conscience de leurs intérêts communs.
Toutes ces luttes sociales révèlent l'insuffisance des mesures de décentralisation et le relatif échec du CELIB - le Comité d'Etudes et de Liaison des Intérêts Bretons - ainsi que les difficultés d'adaptation à la modernisation. Mai 68 dans l'Ouest ne peut être une totale surprise, vu l'ampleur des mécontentements qui existent dans de nombreux domaines. Si la CGT domine dans les pays de Loire, la CFDT - la Confédération Française Démocratique du Travail - est le syndicat dominant en Bretagne et semble le mieux s'adapter à cette situation nouvelle. En dépit d'un 1er mai relativement calme, la colère ne cesse d'enaler, notamment dans les universités de Brest, Nantes et Rennes : les étudiants y manifestent eux aussi contre la guerre du Viêtnam. Dans les villes des deux régions comme dans une grande partie des villes provinciales, les débuts de mai 68 sont timides et commencent par quelques manifestations estudiantines, en réponse aux événements du 4 mai dans la capitale. Le 6 mai, la première manifestation a lieu à Rennes, regroupant quelques 500 étudiants. Le mouvement prend de l'ampleur et des incidents violents ont même lieu à Nantes. De la même façon, tous les syndicats ouvriers et paysans décident de maintenir leur manifestation du 8 mai : tout l'Ouest est alors dans la rue.
Les revendications concernent l'emploi dans tous les domaines (agriculture, industrie, commerce, secteur public), la faiblesse du pouvoir d'achat, la reprise de négociations avec le patronat accusé de refuser celles-ci et bien entendu, la Sécurité sociale. En réalité, le 8 mai 1968, plus de 100 000 personnes se retrouvent dans la rue et une quinzaine de meetings se déroulent dans la région. Tous les secteurs réagissent pour que vive l'Ouest. La mobilisation varie selon les villes, allant de 1000 manifestants à Saint-Malo à 25 000 à Brest en passant par 10 000 à Lorient ou à Nantes. Aussi, dans plusieurs localités, les élus sont en tête de cortège et expriment par leur présence le profond malaise qui règne dans les deux régions. Après cette journée qui fait entrer l'Ouest de plain-pied dans les luttes de mai, les grèves s'étendent. Les manifestations se multiplient avec de nombreuses actions de solidarité entre les diverses composantes des secteurs en grève. Le 13 mai, toutes les villes, petites ou grandes, organisent leur manifestation et rassemblent un nombre de participants jamais atteint : ils sont 12 000 à Rennes et à Brest et plus de 20 000 à Nantes. C'est également dans cette ville qu'a lieu à Sud-Aviation la première occupation d'usines, le 14 mai 1968. D'autres occupations d'usines et grèves vont suivre aux usines Renault du Mans ou encore dans les chantiers navals de Saint-Nazaire par exemple. La fièvre monte, la rue est en ébullition et les organismes officiels bretons contestent eux aussi la politique gouvernementale. Cette contestation inquiète le pouvoir qui a les yeux fixés sur la ville de Nantes, véritable point de convergence de la contestation violente et des mécontentements des différentes couches sociales : drapeaux rouges et drapeaux noirs flottent désormais régulièrement sur les usines de cette région. On a pu parler d'une "commune de Nantes" dirigée pendant quelques jours par un comité central de grève composé d'étudiants, d'ouvriers et de paysans. La violence, la force de mai 1968 dans les deux régions sont dues certes au rôle des syndicats d'ouvriers, de paysans, d'étudiants mais aussi au développement d'une nouvelle gauche qui regroupe la CFDT, le PSU (Parti socialise unifié) ; ces derniers ont attiré à eux les catholiques de gauche, révoltés par les injustices et les inégalités sociales ou régionales.
Mais, peu à peu, le reflux gagne la péninsule et les grèves cessent vers la mi-juin. La dissolution de l'Assemblée nationale et les accords de Grenelle - 27 mai 1968 - contribuent à calmer les esprits, surtout que concernant la Bretagne, Georges Pompidou avait fait quelques promesses au CELIB, contribuant ainsi à un retournement de l'opinion paysanne. Surtout, le pouvoir utilise la peur de la violence pour calmer les esprits les moins engagés. Toujours est-il que mai 1968 marqua durablement les esprits - par les idées soulevées, par le type d'action menée -, conduit les syndicats à une réflexion sur leurs méthodes d'action et contribua à un renouvellement en profondeur des luttes sociales et culturelles. Preuve en est, les nombreuses grèves qui se déclenchèrent dans les années 1970 furent en fait un prolongement de mai 68.