Le pays bigouden

09 juillet 1966
06m 59s
Réf. 00745

Notice

Résumé :

Extrait du film "Récits bigoudens" de André Voisin. Pierre Jakez Hélias évoque ses souvenirs d'enfance.

Type de média :
Date de diffusion :
09 juillet 1966
Source :
ORTF (Collection: Les conteurs )
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Éclairage

Avec sa chaleur coutumière et son grand sens de la narration, Jakez-Helias évoque les coutumes du pays bigouden telles qu'il les a connues dans son enfance. Tout à tour, il rappelle la complexité des costumes d'apparat et la place qu'occupait la danse. Loin d'être seulement apparences ou loisirs, les costumes et la danse étaient de véritables marqueurs sociaux qui affichaient aux yeux de tous le courage, la richesse et l'intégration d'un membre dans la communauté. Son récit nous emmène bien loin des habits aseptisés des poupées bretonnes. N'oublions pas pas que P-Jakez Hélias n'a pas que des souvenirs car il connait parfaitement le thème puisqu'il a publié Coiffes et costumes de Bretagne chez Jos Le Doaré.

Ce film a été réalisé en 1966 pour la série Les conteurs qui donnait la parole à ceux qui par leur art de la narration orale savaient faire vivre les traditions rurales qui tombaient en désuétude. A cette date, Jakez-Hélias, qui est né avant la première guerre mondiale dans une famille d'ouvriers agricoles de Pouldreuzic, a déjà évoqué , en breton et en français, ses souvenirs dans une chronique de La Bretagne à Paris, version hebdomadaire de Ouest-France. A partir de 1964, ses textes sont publiés dans Ouest-France. Au milieu des années 60, ce plaisir d'évoquer une civilisation mise à mal par la modernité est nouveau car il va à l'encontre d'une tendance à la dévalorisation qui se manifeste par exemple par l'abandon rapide de la langue bretonne.

Quelques années après , Jean Malaurie, directeur de la collection Terres Humaines convainc P-J Hélias de faire un livre de tous ces souvenirs de jeunesse. Ce sera Le Cheval d'Orgueil édité en 1975, qui sera réédité une dizaine de fois et mettra la Bretagne en avant de la scène littéraire. Toutefois, ce livre fera l'objet de vives oppositions car un nouveau militantisme breton y voit la description d'une Bretagne vaincue qui pleure sur son passé. Un Apostrophe de 1977 rappelle les débats passionnés autour de l'Identité Bretonne. 35 ans après, le livre et les contes enregistrés de PJ Hélias gardent toute leurs saveurs et nous y voyons des marqueurs de la mémoire qui ont participé au maintien des expressions de l'identité bretonne.

Martine Cocaud

Transcription

Pierre-Jakez Hélias
Nous vivions repliés sur nous-mêmes, si bien que lorsque je suis allé faire mes études à Quimper, j'ai eu l'impression de sortir d'une civilisation pour entrer dans une autre et après quelque temps j'ai eu l'impression très nette, alors que nous, nous étions les gaulois et que les gens de Quimper étaient les romains, il y avait une telle différence entre les deux. Je trouvais, par exemple, que ma mère avec sa coiffe et ma soeur habillées toutes les deux à la bigoudène, quand elles arrivaient à Quimper, eh bien, les bourgeoises de Quimper qui étaient en civil, les [breton], eh bien, à côté de ma mère et de ma soeur j'avais l'impression qu'elles étaient très pauvrement vêtues. Les costumes bretons étaient des costumes qui différenciaient tel terroir de tel autre, d'abord, mais à l'intérieur d'un même terroir il y avait des différences que nul ne pouvait transgresser à une certaine époque. J'ai connu évidement la dernière partie de cette époque où ça a commencé à disparaître. Mais je me rappelle, j'avais un voisin qui était brodeur breton, brodeur bigouden, vous connaissez ces plastrons bigoudens à fil d'or que l'on faisait à Pont l'Abbé, à Ploneour, à Plozevet, et cet homme faisait donc des habits brodés pour les hommes et pour les femmes. La broderie bigoudène est une broderie d'homme parce que les femmes n'avaient pas le pouce assez fort pour enfoncer l'aiguille dans le drap de Montauban. Et les costumes étaient exactement aux mesures sociales des individus, il y avait non seulement le costume lui-même qui devait aller avec le corps, mais le costume était réglé selon la catégorie à laquelle appartenait la personne qui le portait. Par exemple, ceci, une jeune fille vient trouver le brodeur et lui dit voilà je voudrais un costume pour me marier, ce costume, je voudrais qu'il y ait deux rangées de plumes de paon, une chaîne de vie, des arêtes de poissons, un coeur, des étoiles, des planètes, enfin ce sont les noms sous lesquels on désigne maintenant les motifs de broderie bigoudène. Alors le brodeur la regardait d'un air apitoyé et disait, ma fille vous n'aurez pas ce costume. Pourquoi disait la fille qui commençait à être émue qui avait pensé à ce costume pendant très longtemps alors ? [breton] elle gémissait. Alors d'un ton paternel le brodeur lui disait, mais vous savez bien pourquoi, le costume dont vous me faites la description c'est le costume de la fille de Keribilbeus, or la fille de Keribilbeus, son père a 32 hectares, le vôtre n'en a que 20, je ne peux pas vous faire autant de broderie que j'ai fait à elle. Alors je vais vous faire un costume qui sera le milieu entre celui de la fille de tel endroit qui n'a que 10 hectares et celui de la fille de Keribilbeus qui en a 32 et c'était comme ça. Et à tel point que lorsque j'étais jeune homme, on allait faire danser les filles naturellement au Pardon et dans les bals, dans les aires neuves, on dansait la gavotte, le gibidi, le stoupig et le jabadao et on nous recommandait toujours de bien regarder la jeune fille que l'on allait inviter à danser. Alors, nos mères nous disaient mon fils regardez bien la hauteur du velours sur la jupe de la jeune fille, si le velours monte très haut jusqu'à la taille ne la demandez pas pour danser parce qu'on vous accuserait d'être l'homme qui fait se lever le soleil [breton]. C'est-à-dire, on vous accuserait d'orgueil. Mais si elle n'a qu'un tout petit peu de velours dans le bas, n'allez pas la chercher non plus parce qu'elle n'est pas de votre état. Alors on tournait autour des jeunes filles qui nous montraient leur jupe comme ça pour dire, alors, je suis de votre catégorie ? La danse était pour les jeunes gens, particulièrement les jeunes gens de famille pauvre, un atout pour se faire engager, soit comme servante s'il s'agissait d'une jeune fille, soit comme domestique ou grand valet s'il s'agissait d'un jeune homme. On dansait jusqu'à épuisement de chaleur vitale presque, c'est-à-dire que c'était une danse que l'on continuait jusqu'à ce qu'il ne reste plus personne debout ou que tout le monde abandonne et le dernier qui abandonnait, c'est-à-dire, qu'il avait en quelque sorte fait une épreuve d'endurance, on soudoyait les binious, on leur donnait à boire tant qu'il fallait mais alors ils sonnaient jusqu'à la fin. Alors celui qui restait jusqu'à la fin, le jeune homme ou la jeune fille, cela prouvait par conséquent, qu'il avait de l'endurance, qu'il avait de l'énergie, qu'il avait du courage et que par conséquent, ça ferait un excellent valet de labour. Je me rappelle quand il y avait une aire neuve, par exemple, il fallait dans les fermes un emplacement où l'on put battre le blé, c'est-à-dire, assez large, autre chose qu'une cour qui quelque fois avait des trous. Et alors, on faisait des aires spéciales, alors quand quelqu'un décidait de refaire son aire à battre, il ameutait évidement tous les parents, les amis et les connaissances et les jeunes gens dansaient par conséquent sur cet espèce d'argile que leurs pieds tassaient et il y avait le maître de la ferme qui faisait des coups d'oeil au sonneur et au directeur de la danse. Parce qu'il y a meneur de danse, ce que l'on appelait quelque fois [hoq], le coq ou [breton] et le maître de la maison lui faisait des coups d'oeil pour dire écoutez amenez la danse, vers cet endroit-là, il n'a pas été bien tassé, alors ça tournait comme ça naturellement. Alors on envoyait, toutes les familles envoyaient les jeunes gens et les jeunes filles et quand l'aire neuve était finie, je me rappelle, j'étais tout enfant à ce moment-là, les jeunes filles revenaient d'une aire neuve elles étaient crottées jusqu'au cou littéralement. Elles avaient de la boue jusqu'au cou, toute la robe était boueuse par derrière ainsi que le corselet. Alors elles se déshabillaient naturellement et la mère de la jeune fille prenait bien soin d'étaler le lendemain, la robe de sa fille [breton] comment dit-on, sur la haie qu'il y avait devant la maison et les gens qui passaient sur la route regardaient ça avec beaucoup d'intérêt et la mère était toujours derrière la haie. Alors on disait, [incompris], vous avez une fille qui est courageuse. Oh oui, disait-elle, ma fille est courageuse, regardez-moi ça, elle a tellement peiné à danser hier qu'elle s'est crottée jusqu'au cou et le témoin était là c'était la robe de la fille.
(Bruits)