Le champenois, langue vivante ?
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Résumé
Le champenois, langue régionale de l’ancienne région Champagne-Ardenne, est une composante du patrimoine comme l’architecture, la statuaire, les danses traditionnelles ou les vêtements régionaux. Mais toute langue régionale relève du patrimoine immatériel, ce qui pose le problème de son statut, de son rapport au français standard, de sa transcription graphique, des fragmentations qui compromettent parfois l’intercompréhension.
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Date de publication du document :
11 mai 2021
Date de diffusion :
28 janv. 2014
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Contexte historique
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Il est toujours difficile, lorsqu’on évoque les parlers régionaux, en particulier de la zone d’oïl, comme le picard, le normand ou le champenois de trouver une dénomination parfaitement adéquate : « patois » est un mot péjorativement connoté, et lorsqu’il ne l’est pas, s’applique plutôt à la langue d’une communauté réduite à l’échelle d’un village, « dialecte » renvoie plutôt à une situation historique, en particulier médiévale, « français régional » possède un sens précis en linguistique et concerne une phase d’assimilation des parlers régionaux par le français standard, « langue » est ambigu parce que trop général. Récemment s’est imposé le terme de « langue de France », qui figure dans le nom de l’organisme chargé d’animer la politique linguistique de la France, à savoir la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF).
La question de la terminologie s’est posée avec acuité lorsqu’il fut décidé, sur l’initiative de Lionel Jospin et avec le soutien de Jack Lang, de signer la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires publiée en 1992 (dont la ratification sera ensuite bloquée par le Conseil constitutionnel) ; c’est alors Bernard Cerquiglini, directeur de l'Institut national de la langue française (CNRS), qui fut chargé de l’élaboration et de la rédaction d’un rapport sur la situation des langues régionales et minoritaires susceptibles d’entrer dans le cadre de la charte. Or, ce rapport, remis en avril 1999 au terme d’un « balayage systématique du territoire de la République (métropole, départements et territoires d'outre mer) », n’identifiait pas moins de 75 langues de France, mais omettait curieusement de citer le champenois parmi les « langues d’oïl » ainsi répertoriées : « franc-comtois, wallon, picard, normand, gallo, poitevin-saintongeais, bourguignon-morvandiau, lorrain ». Les légitimes protestations des linguistes et des associations, en particulier Lou Champaignat, permirent heureusement de réparer « l’oubli » peu de temps après.
Quoi qu’il en soit, le nom de « langue de France » possède l’avantage de souligner l’égale dignité de ces langues avec la langue française elle-même. On a parfois tendance à opposer radicalement les « langues d’oïl » citées au français standard, ce qui est bien regrettable : toutes sont romanes, elles puisent leurs sources dans le même bassin linguistique constitué par le latin enrichi de quelques centaines de mots conservés du gaulois et d’un apport germanique non négligeable lors des grandes invasions. Sans doute la forme de leur vocabulaire a-t-elle évolué en fonction de schémas phonétiques différents de ceux du français, sans doute le sens de leurs mots a-t-il connu des évolutions et des spécialisations déterminées par les lieux et les milieux dans lesquels ils se sont développés, sans doute leur grammaire, délivrée de toute surveillance académique et de toute codification normative s’est-elle structurée dans une relative autonomie, il n’empêche que ces langues entretiennent avec le français des rapports privilégiés, dont témoignent les emprunts qui l’enrichissent en permanence : on sait que « caillou » est un mot normanno-picard, « avalanche » un terme alpin, « pieuvre » un mot normand accueilli par le dictionnaire de l’Académie en 1878 grâce à Victor Hugo, « rescapé » un mot wallon diffusé à la suite de la catastrophe minière de Courrières en 1906. Le grand linguiste Charles Bruneau, qui a consacré ses premiers travaux, dont sa thèse, aux « patois d’Ardenne » au début du XXe siècle, regrettait que l’adjectif « darne », qui exprime une sensation de malaise ou d’étourdissement, employé à deux reprises par Rimbaud, ne soit pas accueilli par les dictionnaires du français, qui ne dispose pas d’équivalent lexical. Il n’est pas exclu que cela se produise un jour puisque « nareux » vient de faire son entrée dans le Petit Robert. Au-delà du nombre de locuteurs, toujours un peu difficile à évaluer, c’est à ce genre d’emprunts qu’on mesure aussi la vitalité culturelle d’une langue de France.
Éclairage média
Par
Le reportage met d’emblée l’accent sur la notion de patrimoine, dont les aspects matériels sont illustrés par le manoir des Tourelles à Rumilly-lès-Vaudes, demeure de belle facture architecturale édifiée à la fin du XIIIe siècle, puis au fil du reportage, par la statuaire auboise, une danse folklorique de Noël, des coiffes traditionnelles. Mais l’essentiel est centré sur le patrimoine immatériel, en l’occurrence le parler régional, illustré au début par une conversation entre Bernard Poplineau, président de l’association Lou Champaignat, et Jean-Paul Pinçon et dont Mme Claude Tonnelier, vice-présidente de cette association, soulignera avec raison la remarquable résistance, qui montre la force des liens qui unissent les hommes à la langue de leur région. Mais comment la nommer ? On remarque quelques hésitations terminologiques dans la bouche du journaliste, Florent Boutet, qui évoque tour à tour le champenois en tant que dialecte, langue régionale puis patois (sur cette question, voir ci-dessus le contexte historique).
La conversation s’étoffe grâce à l’arrivée de Jean Daunay, auteur d’une somme intitulée Parlers de Champagne, riche de 20000 entrées, œuvre de compilation et de vulgarisation publiée en 1998, et complétée par un second volume mis au point par Jacques Daunay, fils de Jean, publié en 2000. Œuvre d’une grande richesse lexicale, cet ouvrage met pourtant en évidence toutes les difficultés liées à une telle entreprise ; si que le contenu est linguistique, il semble que la délimitation du domaine exploré soit strictement géographique, puisque les Ardennes en sont exclues, alors même que les 9/10e des localités de ce département sont d’expression champenoise. Et puisque le reportage évoque la question de la transcription écrite des langues régionales, il faut souligner combien l’alphabet du français constitue un bien mauvais outil pour une telle entreprise : pensons qu’il ne dispose pas moins d’une dizaine de graphèmes pour transcrire le son /s/ (s, ss, c, sc, ç, x, z, etc.), alors que l’idéal d’une transcription rigoureuse réside dans une relation biunivoque entre un signe et un son. Jean-Claude Bibolet, préfacier de l’ouvrage, souligne également cette difficulté, en regrettant que Jean Daunay n’ait pas choisi de transcrire ce vocabulaire dans l’alphabet des dialectologues, celui qu’a mis en œuvre Henri Bourcelot dans l’Atlas linguistique et ethnographique de la Champagne et de la Brie (ALCB), et qui est d’une assimilation plus simple et plus rapide que l’API utilisé dans les dictionnaires. De cet ouvrage fondamental, élaboré dans le cadre d’un programme de recherche national conçu par Albert Dauzat vers le milieu du XXe siècle (voir la fiche intitulée « Le champenois, langue régionale ? »), le reportage donne un aperçu furtif, suffisant pour constater que le domaine exploré par Henri Bourcelot s’étendait vers l’ouest aux portes de Paris, dans une région que l’on pensait sans intérêt pour les langues régionales, et dont l’ALCB a révélé au contraire la grande richesse linguistique.
Enfin, le reportage souligne une caractéristique que le champenois partage avec les autres langues d’oïl, à savoir des micro-fragmentations phonétiques ou des variations lexicales qui peuvent, comme le note Jean Daunay, affecter des parlers très voisins, mais parfois compromettre l’intercompréhension : lorsque l’Ardennais Poplineau s’entretient avec l’Aubois Daunay, ils ne se comprennent pas immédiatement parce que le suffixe d’un mot n’a pas évolué de la même manière dans les zones qu’ils habitent, mais la variation peut aussi être lexicale, ce dont témoignent les trois mots différents employés par Florent Boutet pour dire « au revoir » : on pourrait en ajouter deux ou trois encore, c’est cela qui fait la richesse d’une langue de France vivante.
Transcription
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