Claude Vigée, entre judéité et culture alsacienne
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Le poète Claude Vigée âgé de 87 ans, vient en promotion à Strasbourg en 2008 à l’occasion de la parution de ses œuvres complètes en poésie bilingue, alsacien et français. Témoin des grands drames du XXe siècle, son œuvre est représentative de la synthèse des cultures : identités juive et alsacienne.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
24 mai 2008
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Les œuvres complètes de Claude Vigée sont publiées en 2008, sous le titre Mon heure sur la terre. Le recueil, qui obtient le prix Goncourt de la poésie, est dominé par les figures de Joseph, Icare ou Jacob, personnages mythiques ou bibliques convoqués pour leur exemplarité dans l’épreuve.
Claude Vigée, dont le nom de naissance est Claude-André Strauss, naît,le 3 janvier 1921, peu après la fin de la Première Guerre mondiale donc, à Bischwiller, dans une famille de confession juive mais peu pratiquante. Il parle le dialecte alsacien chez lui et apprend, contraint et forcé, le français à l’école, ce qui lui confère d’emblée une double identité linguistique qui aura une influence décisive sur son oeuvre. Il parle même d’un judéo-alsacien, appris aux côtés de son grand-père maternel, sorte d’avatar du yiddish d’Europe centrale, dérivé du moyen-allemand rhénan médiéval, mêlé d’hébreu déformé.
Scolarisé au Lycée Fustel de Coulanges de Strasbourg, il s’inscrit ensuite à l’Université de Strasbourg en médecine. Ses études sont interrompues par le début de la Seconde Guerre mondiale. Ses parents s’étant séparés en 1935, il est seul avec sa mère, Germaine Meyer et sa famille, dont sa cousine et future femme, Evelyne Meyer, au moment de leur fuite.
Ils se réfugient d’abord entre 1940 et 1942 à Toulouse, suite à l’annexion de l’Alsace et de la Moselle en 1940 par l’Allemagne nazie. Le poète y rejoint « Action juive », groupe de résistance toulousain. C’est dans cette organisation qu’il côtoiera les écrivains et poètes Pierre Darmangeat ou Etienne Lalou (ce dernier publiera ses poèmes plus tard chez Flammarion). Ses premiers poèmes sont quant à eux publiés clandestinement dans la revue de la Résistance, Poésie 42, éditée par Pierre Seghers. Il les signe « Claude Vie j’ai », pseudonyme choisi comme une revendication de liberté et d’existence en ces années troubles pour les Juifs, nom de plume qu’il conservera jusqu’à sa mort.
En 1943, il fuit aux Etats-Unis avec sa mère, et s’y marie en 1947 avec sa cousine Evelyne. Il y enseignera, après l’obtention d’un doctorat en langues et littératures romanes, jusqu’en 1960, date de son départ pour Israël où il enseignera également à l’université hébraïque de Jérusalem jusqu’à sa retraite, en 1983. Le poète est donc véritablement représentatif des soubresauts du XXe siècle.
On estime que 15 000 Juifs d’Alsace et de Lorraine ont fui l’Alsace au début de la guerre. L’œuvre de Claude Vigée témoigne constamment des deux racines qui sont les siennes, un ancrage dans la culture alsacienne et germanique, comme en témoigne le sujet de sa thèse portant sur l’auteur allemand Goethe et son identité juive qui le contraint à l’exil mais oriente durablement son écriture poétique. Le poète compose incessamment des poèmes dans ce double terreau linguistique : le dialecte alsacien et le français. Son œuvre poétique est également empreinte de spiritualité hébraïque : l’installation à Jérusalem est en effet l’occasion d’approfondir sa connaissance des grands mythes liés à cette culture. Le recueil Moisson de Canaan en portera la trace. C’est aussi l’occasion pour lui de s’intéresser à la cabalistique et de côtoyer quelques figures de la poésie israélienne : Léah Goldberg ou encore Yehouda Amishaï. Cependant, Claude Vigée conserve des liens forts avec son pays natal, comme en témoigne sa rencontre avec André Malraux en 1966. Il lui consacre d’ailleurs un article, en 1968, interrogeant la place de la mort dans ses romans.
La publication de poèmes en alsacien se poursuit en France, avec Les Orties noires en 1984, et Le Feu d’une nuit d’hiver, en 1989. Il publie aussi ses mémoires intitulées Un Panier de houblon, en deux tomes, en 1994 et 1995. L’intérêt du poète pour la culture hébraïque s'affirme également dans des essais, dont Vision et silence, Dans le silence d’Aleph en 1992 et La Poétique juive en 1999.
Témoin majeur de son temps, il fréquentera les grands intellectuels, écrivains et poètes du XXe siècle : Albert Camus, avec lequel il pourra nouer une amitié de courte durée à partir de 1957, Yves Bonnefoy, René Girard ou encore Saint-John Perse qu’il côtoie aux Etats-Unis.
De nombreuses distinctions couronnent son œuvre, dont le Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1996 et le Grand Prix national de poésie en 2013.
L’oeuvre, à l’image d’autres grandes œuvres poétiques ou littéraires, de manière générale, d’obédience régionale est, à la fois de témoignage de la condition juive au XXe siècle en Alsace entre exil et persécution, mais aussi, revendication d’humanisme, de pacifisme et confiance en la vie. Des orientations qui résonnent avec les poètes et auteurs régionaux que sont Nathan Katz, originaire du Haut-Rhin et dont l’œuvre porte également la marque de la guerre de 14-18, René Schickelé, Ernst Staedler ou encore André Weckmann, militants inconditionnels d’un rapprochement franco-allemand et en quelque sorte précurseurs humanistes de la construction européenne.
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Le reportage part à la rencontre du poète Claude Vigée, de culture juive alsacienne, à l’occasion de la promotion de ses œuvres complètes bilingues. Il s’ouvre sur sa propre lecture d’un extrait de Canaan d’exil, lors d’une rencontre-dédicace à la librairie Kléber à Strasbourg. Une thématique qui fait entrer de plain-pied dans cette identité double qui caractérisera toute l’œuvre du poète. La rencontre, également organisée pour célébrer la création d’une nouvelle collection nommée « Le siècle des poètes » aux éditions Galaad, salue l’œuvre complète du poète en édition bilingue (français et alsacien) sous le titre Mon heure sur la terre et rassemble des poèmes parus entre 1936 et 2008. Le poète interrogé par le journaliste parle d’un « jaillissement », d’un « ressurgissement de lui-même ». Filmé en gros plan, il redit le sens de sa démarche poétique, somme de ses expériences de vie : l’exil, la persécution des juifs pendant la guerre, et revendique une poésie de l’universalité, entre destin individuel et collectif. Des photographies du poète enfant puis jeune écolier dans sa commune natale de Bischwiller confirment par l'image l’ancrage de son oeuvre dans ses origines et donc, sa dimension autobiographique.
La famille juive du poète, marchands de draps, implantée depuis trois siècles en Alsace, est en effet contrainte, comme bon nombre de familles juives alsaciennes, de fuir lors de l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne nazie. Victimes dès 1880 de pogroms, de nombreux Juifs d’Europe centrale avaient trouvé refuge en Alsace. A partir de 1933, avec la montée du nazisme, ils sont à nouveau contraints de fuir. Avec la déclaration de guerre du 3 septembre 1939 et surtout l’annexion, on estime que 15 000 juifs d’Alsace-Lorraine ont quitté la région et que 6 000 ont péri dans les camps d’extermination. Une seconde série de photographies illustrent à la fois l’exil et la jeunesse du poète, marquée par la montée du nazisme.
Entre 1945 et 1960, la communauté juive se reconstruit et les Juifs reviennent progressivement en Alsace et en Lorraine. Mais il semblerait que le judaïsme rural auquel se rattache la famille de Claude Vigée soit en perte de vitesse au profit de grandes villes comme Colmar, Mulhouse ou Strasbourg.
"Les Orties noires", long poème en vers libres rédigé d’un seul jet en dialecte et dédié à Adrien Finck, universitaire germaniste poète et ami de Claude Vogée, exprime dans le reportage, la violence de l’exil et de la persécution. On y trouve ces deux vers programmatiques, tirés du poème « La Lune d’hiver », en exergue : « Survivant, j’apporte ici le témoignage de notre jeunesse brisée ; / Rescapé, je dis le destin d’une génération vouée tout entière au désastre. ». Il s’agit bien de revenir sur l’enfance blessée mais aussi sur l’extraordinaire capacité de vie que confère le verbe poétique. A l’écran, Claude Vigée évoque la nécessaire dimension polémique de ses vers.
Il parle aussi pour la première fois dans La Maison des vivants paru en 1996 du choc vécu le 19 octobre 1940, lorsqu’à Toulouse il découvre, horrifié, à la Une du journal Paris-Soir, « le statut des Israélites », dite « loi du premier statut des Juifs », qui signe la légalisation de l’expression « race juive » et ouvre officiellement la voie, avec l’appui total du gouvernement de Vichy, à une politique progressive corporatiste, raciale et antisémite. Le poète dit vivre cet affichage comme « une mise au ban du genre humain ». A cet égard, son œuvre est comparable aux grandes œuvres poétiques de langue allemande de l’après-guerre, celle de Paul Celan par exemple, poète d’origine roumaine, militant antifasciste dès sa jeunesse en 1933, dont la famille entière est décimée dans les camps d’extermination pendant la Seconde Guerre mondiale et dont l’œuvre poétique n’a de cesse de dire la nécessité du verbe poétique après ces massacres.
Humaniste et érudit, Claude Vigée pratique également six langues : le dialecte alsacien, le français, l’espagnol, l’anglais, l’allemand et l’hébreu. L’année 2008 est très porteuse pour le poète : c’est l’année de la fondation de l’Association des Amis de Claude Vigée mais aussi, au plan éditorial, de la parution des œuvres poétiques bilingues : Mon heure sur la terre et Mélancolie solaire, recueil d’entretiens composés de souvenirs littéraires. Le reportage s’achève sur des images de la séance de signatures qui suit la lecture de Claude Vigée à la librairie Kléber, la foule présente témoigne de la vitalité de l’oeuvre du poète auprès du public.
L’autre recueil qu’il présente à Bischwiller, Langue d’amour, est amplement illustrée de photographies de Claude Vigée en compagnie de sa femme, Evy, et lui est dédié. Il porte en épigraphe cette citation, tirée du « Passage du Vivant » publié en 2001 et programmatique : « Tant que des poètes s’engagent à la faire vivre en y consacrant les efforts conjugués de leur intelligence et de leur cœur, une langue populaire intacte, fût- elle diminuée et décriée, peut échapper à la destruction définitive programmée par ceux qui la frappent d’interdit, ou simplement l’ignorent comme une survivance négligeable (…) ». Il s’agit bien, là encore, de revendiquer une identité linguistique. La présentation du recueil dans sa ville natale de Bischwiller est à cet égard doublement symbolique. Le corps du recueil se compose de deux longs poèmes : « Les Orties noires » et « Le Feu d’une nuit d’hiver », présentés dans leur langue originale, le bas-alémanique, première langue de Claude Vigée. Le volume se clôt sur un poème intitulé « La gravité perdue », inspiré par Evy treize mois avant sa mort.
Quant à Claude Vigée, il est décédé le 2 octobre 2020 à l’âge de 99 ans et a souhaité être inhumé à Bischwiller, sa ville natale.
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