Les produits du terroir
Introduction
La région Rhône Alpes est de longue date regardée comme un des hauts lieux de la cuisine française. Elle bénéficie de produits régionaux de qualité et elle a même collaboré avec des chercheurs du Museum d'histoire naturelle, Laurence Bérard et Philippe Marchenay, pour élaborer un petit guide méthodologique tant « les produits de terroir peuvent apparaître comme une solution pour reconquérir de la valeur ajoutée et contribuer au maintien de l'emploi en milieu rural. »
Une origine contrôlée
Au milieu des années 1930, alors que le secteur viticole ne cessait de connaître de graves difficultés, un décret-loi de 1935 créa l'Institut national des appellations d'origine (INAO) devenu depuis, bien qu'ayant conservé le même sigle, l'Institut national de l'origine et de la qualité. Cet établissement, placé sous la tutelle du ministère de l'Agriculture, a pour objectif de mettre en œuvre avec les producteurs des signes d'identification de l'origine et de la qualité. Depuis 1935, les appellations d'origine contrôlée protègent non seulement une appellation mais aussi un terroir soigneusement délimité et insistent sur le lien étroit entre facteurs naturels et facteurs humains.
Depuis 1990, l'efficacité économique des AOC pour la filière viticole a été un élément important dans l'extension par le Parlement des AOC à l'ensemble des productions agricoles.
Parallèlement, le combat des producteurs locaux, relayé par les pouvoirs publics et les élus français au conseil de l'Europe a abouti à la définition par l'Europe des Appellations d'origine protégée qui ont pour but « la dénomination d'un produit dont la production, la transformation et l'élaboration doivent avoir lieu dans une aire géographique déterminée avec un savoir-faire reconnu et constaté ». Depuis 1992 aussi, l'Europe a mis en place, pour les produits autres que les vins et spiritueux, l'IGP (Indication géographique protégée) qui est un signe d'identification des produits qui leur permet d'être protégés dans l'espace européen et au delà. Le règlement européen du 20 mars 2006 établit un régime communautaire de protection conformes aux exigences de l'organisation mondiale du commerce (OMC).
L'ensemble de ces réglementations s'appuie sur la délimitation des terroirs et sur les savoir-faire qui sont liés à telle ou telle production. C'est dans ce cadre juridique et réglementaire que se développent les produits de terroir particulièrement nombreux en Rhône-Alpes.
Des vins réputés
Les vins sont les premiers à avoir bénéficié du système AOC. La gamme des AOC s'est largement élargie. Tel est le cas pour l'Apremont qui va bénéficier de l'AOC en 1973 et qui, avec le développement des sports d'hiver, va réussir à faire apprécier le produit par de nouveaux consommateurs.
Parallèlement, des appellations moins exigeantes sont créées avec les Vins délimités de qualité supérieure (VDQS) et l'exemple des vins d'Ardèche, en un temps où les habitudes de consommation se modifient, en est un bon exemple.
La Clairette de Die bénéficie depuis la Seconde Guerre mondiale de l'AOC mais les producteurs et les coopératives vont s'efforcer d'utiliser cette appellation comme un moyen de lutter contre la concurrence déloyale.
Dans les années 1960, des vignobles prestigieux, bénéficiant de l'existence d'une AOC sont passés à deux doigts de la disparition. Ainsi à Condrieu, sur la rive gauche du Rhône, légèrement au sud de Vienne, la culture des arbres fruitiers, les migrations vers les villes et les difficultés d'une viticulture ancienne ont failli avoir raison d'un vin qui apparaît aujourd'hui, avec celui du terroir voisin des Côtes rôties, comme un très grand vin. Dans les années 1960, la commercialisation du Condrieu était devenue confidentielle et on ne le retrouvait systématiquement que sur la carte de la Pyramide, le restaurant trois étoiles de Vienne.
Le terroir magnifié par la gastronomie
La gastronomie est incontestablement un moyen de valorisation des produits du terroir. A l'occasion du cinquantenaire du décès de Fernand Point, le restaurant la Pyramide reçoit de très nombreux chefs étoilés exerçant en France et dans le monde. L'un d'eux, Régis Marcon, salue explicitement les producteurs parmi les acteurs de la gastronomie. Et ce n'est peut-être pas un hasard si la volaille en vessie est au menu. En effet, cette recette traditionnelle impose la poularde de Bresse qui est avec le chapon l'expression la plus accomplie des produits de ce terroir.
Au terroir, la gastronomie vient ajouter le raffinement urbain, une culture du goût. Claire Delfosse le souligne en prenant l'exemple de ces volailles de prestige : « On passe ainsi des produits des terroirs des campagnes voisines (poulet de Bresse, crème de Bresse, carpe de Dombes...) à la variété du terroir urbain magnifié par la culture gastronomique. [...] La ville de Bourg-en-Bresse valorise les produits de terroir des campagnes environnantes (les pays de l'Ain), mais c'est en tant que ville qu'elle patrimonialise la volaille de Bresse, au nom de la culture, d'une culture « haut-de-gamme » et non pas à caractère rural et nostalgique ».
Les grands chefs rendent hommage à Fernand Point
Les plus grands chefs de France se sont réunis à table pour rendre hommage à Fernand Point, le premier à avoir obtenu 3 étoiles au Michelin en 1933. Alain Ducasse, Paul Bocuse et bien d'autres grands cuisiniers en dressent le portrait.
Si la région est au cœur de produits de terroir prestigieux, certains chefs valorisent les plantes des montagne et leur cuisine de collecte est inséparable d'un enracinement territorial, souvent réinvesti dans la défense de l'environnement. Marc Veyrat en est un exemple emblématique.
La cuisine est aussi affaire de famille, et des enfants de familles de grands cuisiniers, même lorsque leurs études ne les y ont pas directement préparé, dans des circonstances parfois difficiles, entendent relever les défis dans la tradition des mères qui ont fait la réputation de la cuisine régionale. Anne-Sophie Pic a su aussi s'en affranchir et innover, ce qui lui a valu d'être élue « chef de l'année » par ses collègues en 2007.
Des produits de qualité
L'un des produits les plus emblématiques de la production de qualité dans la région Rhône Alpes est bien sûr le poulet de Bresse, véritable fleuron national qui joue sur les trois couleurs du drapeau : pattes bleues, plumes blanches et crête rouge. La tradition remonte à l'ancien Régime, elle est magnifiée par les Glorieuses (concours) où professionnels de l'élevage et de la gastronomie communient dans la célébration d'un produit qui associe qualité du terroir, savoir faire du producteur et excellence gastronomique, un produit que seul pourrait apprécier le « vrai consommateur ».
Avec la pêche en Dombes, c'est encore le département de l'Ain qui donne ses lettres de noblesse à la gastronomie régionale même si aujourd'hui, pour les carpes et les brochets, le marché lyonnais est moins essentiel que l'exportation.
Avec ces produits de longue tradition, les processus de valorisation des produits de terroir apparaissent clairement. Ils sont fondés sur une solide organisation des producteurs, susceptibles d'avoir des relais politiques qui, à leur tour, jouent leur partition pour l'obtention d'une appellation d'origine. Cela est très clair pour la production de châtaignes de l'Ardèche qui bénéficie d'une AOC depuis 2006. Un produit qui semblait condamné au cours des décennies précédentes devient, par la patrimonialisation, le symbole d'un terroir.
Des fromages variés
Ce qui est vrai pour les volailles, les poissons ou les châtaignes, ne l'est pas moins pour les fromages. Pour le reblochon qui obtient son AOC en 1958, pour le beaufort ou le picodon, pour lesquels il en va de même respectivement en 1968 et en 1967, l'appellation d'origine est une étape importante de la notoriété.
La présence d'un tourisme saisonnier lié aux sports d'hiver ou à une recherche de vacances rurales est un élément supplémentaire pour faire connaître le produit auprès d'une nouvelle clientèle qui, grâce au développement des transports, pourra retrouver ces produits en dehors de leur terroir d'origine.
La recherche de l'authentique passe par la connaissance du terroir et elle est renforcée lorsque le consommateur potentiel a pu assister aux différentes étapes de la production, ce que les organismes professionnels proposent souvent pendant la période de vacances.
Promouvoir les savoir-faire
Derrière chaque réussite, qu'il s'agisse de produit ou de tour de main, il existe un travail considérable car il n'est pas suffisant d'avoir un bon produit, il faut aussi le faire savoir et, en la matière, la région Rhône-Alpes dispose d'un certain acquis et d'une expérience ancienne. Le cas est patent avec le vin du Beaujolais, dont l'acquisition de l'AOC avant le second conflit mondial certes compte, mais qui doit sa notoriété au travail incessant de la confrérie des compagnons du Beaujolais qui, dès les lendemains du conflit, fait connaître le vin dans le monde entier en inventant des événements comme le lancement du Beaujolais primeur qui se fait à date fixe depuis le milieu des années 1980.
Le cinquantenaire des compagnons du Beaujolais à Lacenas
Depuis cinquante ans, la confrérie des compagnons du Beaujolais se donne pour mission de faire connaître le Beaujolais. A cette occasion, les caves sont ouvertes au public et les producteurs retracent les différentes étapes de fabrication du Beaujolais.
Un autre des ambassadeurs de la région est sans conteste Paul Bocuse. Après avoir porté la nouvelle cuisine sur les fonds baptismaux, il est aujourd'hui l'un des chantres de la qualité des produits. Le salon des métiers de bouche et le concours du Bocuse d'or qui est organisé en son sein sont les manifestations par excellence des produits du terroir et des savoir-faire culinaires qui y sont intimement associés.
La patrimonialisation des produits de terroir s'est nettement appuyée sur les signes de qualité liés à l'origine et les Appelations d'Origine Contrôlée, voire des labels certifiant des savoir-faire. Les produits du terroir sont devenus partie intégrante du patrimoine. Depuis les années 1990, avec l'appui de l'estampille européenne, cette évolution s'est accompagnée d'un passage, comme le montre Claire Delfosse, du patrimoine national pour les produits les plus réputés à une « multiplication des patrimoines locaux ».
Le produit de terroir devient un enjeu patrimonial où derrière « l'authenticité du produit » se manifestent enjeux culturels et historiques qui ne sont pas sans retombées économiques.
Bibliographie
- Maud Hirczak, La co-construction de la qualité agroalimentaire et environnementale dans les stratégies du développement territorial, une analyse à partir des produits de la région Rhône-Alpes, thèse de géographie, Université Joseph Fourier, Grenoble, 2007.
- Claire Delfosse, « La patrimonialisation des produits dits de terroir », Anthropology of food [ Consultable en ligne ], n° 8, 2011.
- Laurence Bérard et Philippe Marchenay, Produits de terroir - Comprendre et agir (2007) 64 p. Consultable en ligne .