Le mag : Pierre Soulages, de l'ombre a la lumière

19 juin 2010
13m 14s
Réf. 00041

Notice

Résumé :

Reportage sur Pierre Soulages au printemps 2010, de Beaubourg à Strasbourg, en passant par Rodez et le chantier du futur musée Soulages.

Date de diffusion :
19 juin 2010
Source :
FR3 (Collection: Le mag )

Transcription

(Musique)
Journaliste
Il est le peintre de tous les superlatifs. Premier artiste vivant invité à exposer au musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg. Peintre français le mieux côté au monde. Présent dans les musées d'art contemporain de New York et Londres. Un artiste dont l'oeuvre ne laisse pas indifférent.
Inconnu 1
Ca me plaît. Mais je ne comprends pas trop.
Inconnue 1
Oui j'aime bien. Les couleurs et le coup de pinceau.
Inconnu 2
Je le mettrais bien dans mon salon.
Inconnue 2
J'aime la profondeur, les contrastes, la respiration du pinceau. Il a les deux.
(Musique)
Journaliste
Paris, l'automne dernier. Pierre Soulages, 90 ans, est consacré à Beaubourg.
(Musique)
Journaliste
Soixante ans de peinture réunis sur un étage, pour fêter un homme a priori paradoxal. Méconnu du grand public, mais célébré par ses pairs. Adepte de la lumière, mais révélé par son noir.
Pierre Soulages
Mais c'est pas noir. Depuis 79, si on regarde... oui, le pot avec lequel je peins, c'est le noir. Mais en réalité, c'est la lumière qui importe. C'est la lumière réfléchie par les états de surface du noir. Et d'ailleurs, quand les toiles sont accrochées comme je les accroche, on peut circuler dans les toiles, c'est-à-dire on voit la lumière qui arrive, ou qui disparaît. Et les toiles apparaissent telles qu'elles sont au moment même du regard. C'est un travail avec la lumière, absolument. Si on ne voit que du noir, c'est qu'on a le noir dans la tête.
(Bruit)
Journaliste
Nous sommes donc partis sur les chemins de ces mystères. Nous avons tenté de remonter le fil de sa vie, avec une envie : écouter l'homme pour comprendre l'artiste.
(Musique)
Pierre Soulages
Quand je suis devant une peinture préhistorique, quand je suis devant une statue menhir, quand je suis devant des choses d'il y a plusieurs millénaires, qu'est-ce qui se passe en moi ? Pourquoi je suis ému ? Pourquoi cela va si loin en moi ? Ca n'a pas besoin de passer par l'illusion, au contraire même. Ce qui compte, c'est la présence. C'est à ce moment-là que j'ai pensé que ce qui était important dans une oeuvre d'art, ce n'était ni la ressemblance, ni... C'était la présence. La force qu'elles prennent quand on les regarde, et combien ça va loin en nous. Et c'est comme ça que j'ai été amené à réfléchir à la peinture et à faire la peinture que je fais depuis maintenant soixante-trois ans.
Journaliste
La peinture préhistorique, une source d'inspiration que l'on retrouve dans ces brous de noix. Des oeuvres de jeunesse, réalisées à partir d'une matière peu conventionnelle pour l'époque. Une terre sèche, obtenue à partir d'écorces de noix broyées, dissoute à l'eau et qui, une fois chauffée au bain-marie, donne un épais sirop noir. Nous sommes vers la fin des années quarante, Pierre Soulages a trente ans, il se veut déjà différent.
(Bruit)
Benoît Decron
Il ne laisse pas le geste aller n'importe comment. Ou il ne se laisse pas aller, je veux dire, à une sorte de mouvement un petit peu, pathologique, en quelque sorte. Lui, son trait est vraiment appliqué. Mais lui dit que tout ça, le musée... du moins, l'oeuvre se fait au moment où il la fait. Au moment où il cherche, l'oeuvre se fait. Et c'est ça qui est justement intéressant, c'est quand on voit toutes ces barres, et bien on voit le côté étudié, on voit la trace de l'outil, on voit très bien comment avec une brosse, par exemple, il a une ligne extrêmement droite.
(Musique)
Journaliste
Un caractère bien trempé. Une volonté de ne pas se conformer. L'artiste abstrait commence à se dessiner.
(Musique)
Journaliste
Mais comprendre Pierre Soulages, c'est aussi le découvrir autrement. Nous nous envolons pour Strasbourg. Là-bas, dans une exposition dédiée à la gravure, un peu du mystère de sa création va se dissiper. Soulages va se dévoiler sous un nouveau jour.
(Musique)
Journaliste
Dans les années soixante-dix, le peintre joue les apprentis chimistes, avec une obsession : la matière. Il prend du cuivre, le recouvre d'acide, et gratte, triture, laisse agir et réagir, jusqu'à trouer son support.
(Musique)
Journaliste
Le passage en presse donnera ces eaux-fortes, méconnues, mais essentielles dans son oeuvre.
Marie-Jeanne Geyer
Je considère que en gravure, ce sont des oeuvres majeures, et pour Soulages c'est extrêmement important, parce qu'il y a une chose qu'il répète toujours, c'est qu'il n'y a pas de genre supérieur à un autre. C'est-à-dire que pour lui, la peinture n'est pas supérieure à la gravure. Et il dit "j'ai des crises de lithographie, j'ai des crises d'eau-forte, comme j'ai des crises de peinture". Voilà.
(Musique)
Journaliste
Soulages s'amuse des codes, des disciplines, et du regard. Chez lui, tout prend sens dans l'instant et dans la confidence.
(Musique)
Pierre Soulages
Là, vous avez les bronzes qui sont nés de... qui sont autre chose, qu'il ne faut pas voir de la même manière. Et que j'ai travaillés en fonction de la lumière qui brille dessus d'ailleurs. Je me suis demandé, longtemps après, si ce n'était pas l'origine de mes peintures outrenoir.
Benoît Decron
Oui c'est vrai, c'est...
Pierre Soulages
Je me suis demandé ça parce que finalement, et c'est ce que je disais ce matin, je travaille avec le reflet, or... Comme j'ai fait ça deux-trois ans avant, lorsque j'étais en train de me désoler parce que j'avais recouvert toute ma surface de noir, et que je savais pas si j'allais en sortir, et que je travaillais depuis des heures à ça, je me suis... je ne suis quand même pas masochiste, je suis allé dormir. Quand je me suis réveillé, je suis allé voir ce que j'avais fait, je me suis aperçu que je ne travaillais plus avec du noir, que je travaillais avec la réflexion de la lumière sur le noir. Et peut-être cette idée de réflexion de la lumière sur le noir m'est venue de ça. Il est possible. Mais enfin je le dis avec un point d'interrogation.
(Musique)
Journaliste
Tenter de découvrir l'homme qui se cache derrière le miroir.
(Musique)
Journaliste
Notre quête nous mène à Conques. Une route que Soulages connaît bien. En 1986, l'artiste est choisi pour réaliser les cent quatre vitraux de l'abbatiale. Point de motif coloré au programme, le travail demandé sonne comme un retour aux sources, fait d'ombre et lumière.
(Bruit)
Journaliste
Soulages a visité Conques adolescent, et en garde un souvenir puissant. C'est là qu'il rencontre sa vocation.
(Musique)
Pierre Soulages
La révélation de Conques, c'est à l'intérieur de l'abbatiale. L'espace et la manière dont la lumière jouait dans cet espace-là, quand je l'ai vu, les premières fois. Il n'y avait pas de vitraux colorés, à ce moment-là. Je vous parle de mon enfance, mon adolescence. Et c'est... l'espace architectural qui m'a, qui m'a impressionné, à un point où, ce jour-là, je me suis dit "au fond, il n'y a qu'une chose importante dans la vie, c'est l'Art".
(Musique)
Pierre Soulages
Ce jour-là, à Conques, j'ai décidé d'être... de faire de la peinture ma vie. Et pas de l'architecture. Mais c'est l'espace architectural de Conques qui m'a à ce point touché, qui m'en a décidé. Et puis je voyais autour de moi tous les gens qui perdaient leur vie à la gagner. Qui n'aspiraient qu'à une chose, au dimanche, puisque c'était le dimanche, le seul jour qui était disponible en dehors du travail. Et le dimanche, ils avaient des conduites... On avait l'impression qu'ils ne savaient pas que faire. J'ai trouvé ça... j'ai trouvé cette vie terrible. Et j'avais décidé de faire de la mienne autre chose. Et comme j'aimais peindre, d'être peintre. C'est au fond à Conques que je l'ai décidé.
(Silence)
Journaliste
Il le rendra bien, à Conques. Son travail autour des vitraux durera huit ans. Huit années à façonner, à la manière de l'artisan, ces grandes plaques de verre blanc. Autant de temps passé à dompter la lumière et à rendre à l'abbatiale romane ses couleurs initiales.
(Bruit)
Journaliste
Conques, Rodez, l'Aveyron, Montpellier, Sète. Le cheminement de Pierre Soulages s'écrit entre Grands Causses et Languedoc. Artiste du monde, mais homme bien d'ici. L'artiste n'a pas d'enfants, et depuis quelques années il lègue. Son héritage, vingt grandes toiles données au musée Fabre de Montpellier par exemple. Des outrenoirs, beaucoup, comme s'il cherchait à laisser une trace dans les lieux qui l'ont vu grandir, à s'enraciner dans le territoire.
(Silence)
Michel Hilaire
Le fait aussi que l'épouse de Pierre Soulages, Colette Soulages, qui a été d'ailleurs elle-même associée à ces donations et associée à l'installation, a des liens très forts avec l'Hérault puisqu'elle est originaire de Sète, et donc il a cette maison aussi à Sète, où toute sa vie il est venu, depuis 58-59, tous les étés, se replonger dans cette ambiance, donc il est revenu aussi dans ce musée. Je crois que vraiment, là, on peut parler d'un ensemble, l'ensemble d'une aventure artistique, affective, autour de cette donation.
(Musique)
Journaliste
L'itinéraire de Pierre Soulages s'écrit entre ombre et lumière, entre douceur et rudesse. Les sillons de ses toiles rappellent le relief des paysages de son enfance. Né à Rodez en 1919, il garde avec ce territoire abrupt un rapport tourmenté, fait d'amour et de distance. L'Aveyron, un lieu qu'il a quitté, il y a plus de soixante ans.
(Silence)
Pierre Soulages
Je suis un individu, avec sa liberté, et quand on me parle de l'Aveyron, c'est le pays où je suis né, mais j'ai l'habitude de dire que je suis né, finalement, dans la peinture. Et dans la peinture moderne, et dans la peinture contemporaine. C'est ça ma véritable naissance. Mais mon lieu d'origine, c'est l'Aveyron, mes goûts se sont formés dans l'Aveyron, mes choix se sont faits dans l'Aveyron, j'ai aimé la grande façade nue de la cathédrale de Rodez, j'ai aimé les grands plateaux, j'ai aimé, oui, tout ça c'est mes goûts qui se sont formés dans l'Aveyron. Et puis peut-être aussi une certaine opiniâtreté qui est aveyronnaise, je trouve, et qui a fait que je n'ai pas dévié de ma ligne, du début jusqu'à maintenant.
(Musique)
Journaliste
Une affection qui l'a poussé, il y a cinq ans, à donner cinq cents pièces à la ville de Rodez. Un musée qui portera son nom devrait sortir de terre dans les deux prochaines années. L'artiste voulait un musée dans un jardin, les matériaux choisis sont à son image. Bruts et simples. Fait de bois et d'acier, ouvert à la lumière, le musée accueillera ses oeuvres de jeunesse et celles d'artistes contemporains. La capitale aveyronaise hérite d'une des signatures les plus convoitées du monde.
(Musique)