A Nice, des travailleurs tunisiens ont entamé une grève de la faim
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Résumé
Dans un monastère franciscain du quartier de Cimiez à Nice, des travailleurs tunisiens ont entamé une grève de la faim. Après plusieurs années passées en France, ils réclament la régularisation de leurs droits avec l'obtention de leur carte de travail et de leur carte de séjour. Un entrepreneur se propose de leur établir un contrat de travail, dénonçant le manque de main d'oeuvre sur le territoire et la pratique du travail dit "au noir" par certains patrons.
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Contexte historique
ParDocteur en Histoire contemporaine, Post-doctorant à Aix-Marseille Université
Publication : 02 févr. 2024
Le 1er mars 1973 est le huitième jour de grève de la faim, au monastère de Cimiez à Nice, d’une dizaine de Tunisiens, qui bénéficient de l’appui déterminé des pères franciscains. Ces travailleurs immigrés réclament l’abrogation des circulaires Marcellin-Fontanet, entrées en vigueur en octobre 1972, qui subordonnent la délivrance d’une carte de séjour à l’obtention d’un contrat de travail d’une durée d’un an et d’un logement décent. Par ailleurs les durées des cartes de séjour et de travail sont harmonisées, perdre l’une équivaut donc à perdre l’autre et à risquer l’expulsion. Dans un contexte de montée du chômage, les pouvoirs publics veulent en effet donner des gages à l’opinion publique, et prendre des mesures visant à restreindre l’entrée et la présence sur le territoire français des travailleurs immigrés. L’employeur souhaitant recruter a désormais l’obligation de déposer l’offre de travail à la jeune Agence nationale pour l’emploi (ANPE) créée en 1967. L’ensemble de ces dispositions restrictives ont été édictées par deux circulaires des 24 janvier et 23 février 1972, émanant respectivement du ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin et de celui du Travail Joseph Fontanet.
Elles suscitent une réaction inédite des travailleurs immigrés menacés d’expulsion, qui manifestent dans la rue, occupent les bureaux de main-d’œuvre et surtout débutent des grèves de la faim. La médiatisation de cette lutte prend forme en décembre 1972 à Valence, dans la Drôme, lorsque des prêtres refusent de célébrer la messe de minuit le jour de Noël par solidarité avec des travailleurs immigrés ayant entrepris une première grève de la faim. Ce mouvement prend dans les mois qui suivent une envergure nationale, puisque de semblables grèves de la faim avec occupation d’églises se déroulent à Toulouse, Bordeaux, La Rochelle, Paris, Lille, Strasbourg, Mulhouse, Besançon, Lyon, Saint-Etienne, Montpellier, Nîmes, Aix-en-Provence, Fos-sur-Mer, Marseille, Toulon ou La Ciotat. Le soutien des ecclésiastiques ne se limite pas à donner asile dans un lieu de culte aux grévistes de la faim ; il se traduit aussi d’une part par une aide à la médiatisation du mouvement par l’intermédiaire de tracts ou d’entretiens dans la presse écrite et télévisuelle et, d’autre part, par la sollicitation d’avocats bénévoles en mesure d’apporter un appui juridique ou d’employeurs potentiels prêts à octroyer des contrats de travail en bonne et due forme.
Ce mouvement concerne notamment les travailleurs tunisiens, qui constituent une vague récente d’immigration, et dont la région niçoise abrite alors la troisième communauté en France. À partir de la fin des années 1960, les besoins de main-d’œuvre des Alpes-Maritimes, en particulier dans un secteur du bâtiment en plein essor, ont été pourvus par l’embauche croissante de travailleurs originaires de Tunisie. Cet ancien protectorat français, devenu indépendant en 1956 et dirigé par Habib Bourguiba, connaît en effet un marasme économique à la suite de l’échec de l’expérience socialiste initiée par le ministre de l’économie Ahmed Ben Salah. Depuis 1945, l’Office national d’immigration (ONI), qui a plusieurs bureaux à l’étranger dont un à Tunis, a en principe le monopole du recrutement et de l’introduction de la main-d’œuvre étrangère. Mais face aux besoins de bras de l’économie française, durant la période de croissance des Trente Glorieuses, les travailleurs immigrés arrivent souvent comme simples touristes ou clandestinement avant d’être embauchés et régularisés a posteriori.
Avec les circulaires Marcellin-Fontanet, les travailleurs immigrés ne peuvent plus bénéficier de cette procédure et il leur est au contraire demandé de retourner dans leur pays d’origine pour passer la visite médicale préalable à l’embauche. L’obligation faite à ces individus de disposer d’un logement décent est un autre obstacle à l’obtention de papiers, puisque la majorité d’entre eux vit dans un habitat précaire et insalubre au sein du bidonville niçois de l’ « Oued » aussi appelé bidonville de la Digue des Français, qui est un des derniers résorbés en France à la fin de la décennie 1970.
Cette première mobilisation de sans-papiers à l’échelle hexagonale paye, puisqu’en juin 1973, le nouveau ministre du Travail, Georges Gorse, suspend les circulaires Marcellin-Fontanet, qui sont ensuite annulées par le Conseil d’État. Parallèlement une possibilité de régularisation est offerte à plusieurs dizaines de milliers de travailleurs immigrés entrés en France avant juin 1973 et qui sont en mesure de présenter une promesse d’embauche. Mais dès 1974, et l’élection à la présidence de la République de Valéry Giscard d’Estaing, l’entrée de la France en crise économique amène les pouvoirs publics à suspendre officiellement l’immigration de travail. Les circulaires Marcellin-Fontanet apparaissent donc a posteriori comme un tournant en France d’une politique migratoire plus restrictive.
Bibliographie
Yvan Gastaut, L’immigration et l’opinion en France sous la Ve République, Paris, Seuil, 2000.
Philippe Hanus, « Crevons la faim. Joyeux Noël ! », Hommes & Migrations, n° 1330, 2020, p. 19-24
Danièle Lchak, « Les circulaires Marcellin-Fontanet », Hommes & Migrations, n° 1330, 2020, p. 14-17.
Ralph Schor, Stéphane Mourlane, Yvan Gastaut, Nice Cosmopolite 1860-2010, Paris, Autrement, 2010.
Nadhem Yousfi, Des Tunisiens dans les Alpes-Maritimes : Une histoire locale et nationale de la migration transméditerranéenne 1956-1984, Paris, L’Harmattan, Tunis, IRMC, 2013.
Patrick Weil, La France et ses étrangers : L'Aventure d'une politique de l'immigration de 1938 à nos jours, Paris, Gallimard, 2005.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
Journaliste
Mokhtar Hasbouri, pourquoi cette grève de la faim ?
Mokhtar Hasbouri
On a entamé cette grève de la faim, c'est pour obtenir la carte de travail et la carte de séjour, plus la visite médicale en France et sans aucune représailles sur les travailleurs immigrés en France.
Journaliste
Vous êtes tous en France depuis un certain temps, je crois.
Mokhtar Hasbouri
Oui, justement.
Journaliste
Et vous avez déjà travaillé, donc ?
Mokhtar Hasbouri
Bien sûr, oui.
Journaliste
Et alors pourquoi d'un seul coup faites-vous grève de la faim ?
Mokhtar Hasbouri
Parce qu'on a fait cette grève de la faim, on a travaillé en France sans déclaration, sans sécurité sociale, sans rien.
Journaliste
Oui, puis vous avez une visite médicale obligatoire.
Mokhtar Hasbouri
Oui.
Journaliste
Et qui doit se faire dans votre pays d'origine, je crois.
Mokhtar Hasbouri
Oui.
Journaliste
Et vous voudriez la passer ici, par contre, cette visite médicale, pour ne pas avoir à retourner en Tunisie.
Mokhtar Hasbouri
Oui.
Journaliste
C'est ça ?
Mokhtar Hasbouri
Oui, c'est ça.
Journaliste
Cette grève de la faim, vous allez la continuer longtemps ?
Mokhtar Hasbouri
Jusqu'à l'obtention de la carte de travail, la carte de séjour et la visite médicale en France.
Journaliste
Père Aloïs, vous êtes l'un des franciscains qui avait accepté dans votre monastère les Tunisiens.Comment avez-vous pris cette décision ?
Père Aloïs
La décision a été prise d'abord nous-mêmes au nom de notre conscience tous les six.On a à ce moment-là averti l'évêché qui était déjà au courant que des demandes étaient faites sur Nice dans plusieurs endroits.Ensuite, on s'est dit que ça engageait la paroisse, alors qu'il fallait contacter la communauté paroissiale.On a convoqué le conseil paroissial mercredi à 19h.On a eu un débat suffisamment long, une heure et demie, deux heures, avec les intéressés tunisiens eux-mêmes.Discussion sanctionnée par un vote qui a donné 23 oui, 3 non, 3 nul.
Journaliste
M. Barrière, pourquoi avoir proposé des contrats de travail aux grévistes tunisiens ?
M. Barrière
Nous avons proposé des contrats de travail, d'une part, dans un geste humanitaire bien normal, et d'autre part, parce que nous avons un réel problème de main-d'oeuvre.De nombreuses entreprises nous demandent des travailleurs que nous ne trouvons pas malgré la courbe de chômage officielle des Alpes-Maritimes.
Journaliste
Comment pensez-vous que ce problème va se régler, donc ?
M. Barrière
Je ne sais pas comment il va se régler, mais enfin, c'est un véritable paradoxe.Car, d'une part, on nous annonce que le département des Alpes-Maritimes est celui qui a la courbe de chômage la plus importante, et d'autre part, lorsqu'on cherche des travailleurs, même non spécialisés, on n'en trouve pas.Ce n'est pas nous qui pouvons apporter une réponse à ce problème.Mais enfin, il existe.Nous pensons par ailleurs que l'ardeur qui est mise par les pouvoirs publics à défendre l'entrée du territoire des travailleurs étrangers devrait être apportée à surveiller la réglementation en matière de travail, carBeaucoup d'errements qui se produisent sont le fait d'entreprises qui font du travail au noir en matière de social.
Journaliste
Oui, et vous pensez donc que ces travailleurs tunisiens vont être embauchés et vont avoir une carte de travail, donc ?
M. Barrière
Je pense qu'ils auront au moins une carte de travail provisoire, ce qui permettra, dans un délai de 3 à 4 mois, de régler leur situation d'une façon définitive.
Journaliste
Vous-même, vous avez eu des contacts avec la préfecture ?
M. Barrière
J'ai eu des contacts avec la préfecture pour attester que nous étions disposés à fournir du travail à ces travailleurs.
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