Discours du 23 avril 1961

23 avril 1961
06m 18s
Réf. 00071

Notice

Résumé :

Le samedi 22 avril, les généraux Challe, Salan, Zeller et Jouhaud, avec l'appui du 1er régiment de parachutistes, commettent un coup de force à Alger. Ce putsch fait suite à la conférence de presse du 11 avril 1961, où de Gaulle justifie sur un ton désinvolte la décolonisation de l'Algérie par ce qu'elle coûte à la France. Ceci est ressenti comme une provocation chez les tenants de l'Algérie française, qui tentent de refaire le 13 mai 1958. Par l'allocution du 23 avril, de Gaulle, en uniforme militaire, informe la Nation qu'il assume les pleins pouvoirs prévus par l'article 16 de la Constitution. Diffusé par les postes à transistors en Algérie, ce discours jalonné de formules frappantes encourage la désobéissance des soldats du contingent aux officiers putschistes et intimide les hésitants. Discours capital, l'allocution du 23 avril fait tourner court la rébellion.

Type de média :
Date de diffusion :
23 avril 1961
Type de parole :

Éclairage

Ramené au pouvoir en juin 1958 par l'impuissance de la IV° République à résoudre la guerre d'Algérie, le général de Gaulle sait que la solution du conflit constitue une attente prioritaire pour les Français. Après avoir en vain proposé aux combattants du FLN de déposer les armes, il prend conscience que la paix en Algérie ne saurait résulter de la seule action militaire, même assortie d'un développement économique proposé par le " Plan de Constantine ". Aussi a-t-il dans son discours du 16 septembre 1959 proposé aux Algériens l'autodétermination, c'est-à-dire le droit de choisir leur destin, leur offrant trois options, la sécession, la francisation ou l'association.

Plus d'un an après le discours de septembre 1959 sur l'autodétermination, la solution de la question algérienne paraît toujours aussi lointaine. Aussi dans son allocution du 4 novembre 1960 a-t-il franchi une étape supplémentaire, en évoquant, au grand dam des partisans de l'Algérie française une " République algérienne ", laissant entendre qu'il est prêt à surmonter de possibles oppositions par le recours au référendum. De fait, consultés par référendum le 8 janvier 1961 les Français ont approuvé à 75% la politique d'autodétermination en Algérie. Pour les partisans de l'Algérie française, le spectre de l'indépendance algérienne se précise dangereusement et ils jugent urgent de passer à l'action.

Le 22 avril 1961, Alger est le théâtre d'un putsch militaire. Quatre généraux de haut rang, dont deux anciens commandants en chef en Algérie, Challe et Salan, l'ancien chef d'état-major général de l'armée de terre, Zeller et le Général commandant de l'aviation Jouhaud, appuyés par des unités de la Légion étrangère et des parachutistes s'emparent du pouvoir, arrêtent le délégué général Jean Morin, le commandant en chef en Algérie, le Général Gambiez et le ministre des Travaux publics Robert Buron, présent sur place. Il s'agit d'empêcher la politique d'autodétermination que 75% des Français ont approuvée en janvier. Le 23 avril, après consultation du Premier ministre, des présidents des deux assemblées et du Conseil Constitutionnel, le général de Gaulle décide de prendre des pouvoirs exceptionnels en vertu de l'article 16 de la Constitution. Son message du 23 avril, prononcé en uniforme, sur un ton autoritaire est une condamnation sans nuances du putsch, l'expression d'un profond mépris pour l'étroitesse de vue de ses auteurs, un ordre formel aux militaires comme aux civils de demeurer dans l'obéissance au pouvoir légal et le rappel qu'il n'est d'autre légitimité que celle que la nation lui a conférée.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en Algérie, par un pronunciamento militaire. Les coupables de l'usurpation ont exploité la passion des cadres de certaines unités spéciales, l'adhésion enflammée d'une partie de la population de souche européenne, égarée de craintes et de mythes, l'impuissance des responsables submergés par la conjuration militaire. Ce pouvoir a une apparence, un quarteron de généraux en retraite ; il a une réalité, un groupe d'officiers partisans, ambitieux et fanatiques. Ce groupe et ce quarteron possède un savoir-faire limité et expéditif, mais il ne voientt et ne connaissent la nation et le monde, que déformés au travers de leur frénésie. Leur entreprise ne peut conduire qu'à un désastre national. Car l'immense effort de redressement de la France, entamé depuis le fond de l'abîme, le 18 juin 1940, mené ensuite en dépit de tout jusqu'à ce que la victoire fut remportée, l'indépendance assurée, la république restaurée, repris depuis trois ans afin de refaire l'Etat, de maintenir l'unité nationale, de reconstituer notre puissance, de rétablir notre rang au dehors, de poursuivre notre oeuvre outre-mer à travers une nécessaire décolonisation, tout cela risque d'être rendu vain à la veille même de la réussite par l'odieuse et stupide aventure d'Algérie. Voici que l'Etat est bafoué, la nation bravée, notre puissance dégradée, notre prestige international abaissé, notre rôle et notre place en Afrique compromis, et par qui ? Hélas ! hélas ! hélas ! Par des hommes dont c'était le devoir, l'honneur, la raison d'être de servir et d'obéir. Au nom de la France, j'ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés partout pour barrer la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. J'interdis à tous Français, et d'abord à tous soldats, d'exécuter aucun de leurs ordres. L'argument suivant lequel il pourrait être localement nécessaire d'accepter leur commandement, sous prétexte d'obligations opérationnelles ou administratives, ne saurait tromper personne. Les chefs civils et militaires qui ont le droit d'assumer les responsabilités sont ceux qui ont été nommés régulièrement pour cela, et que précisément les insurgés empêchent de le faire. L'avenir des usurpateurs ne doit être que celui que leur destine la rigueur des lois. Devant le malheur qui plane sur la patrie, et devant la menace qui pèse sur la République, ayant pris l'avis officiel du Conseil Constitutionnel, du Premier Ministre, du Président du Sénat, du président de l'Assemblée Nationale, j'ai décidé de mettre en oeuvre l'article 16 de notre Constitution. A partir d'aujourd'hui, je prendrai, au besoin directement, les mesures qui me paraîtront exigées par les circonstances. Par là même, je m'affirme en la légitimité française et républicaine qui m'a été conférée par la Nation, que je maintiendrai quoiqu'il arrive jusqu'au terme de mon mandat ou jusqu'à ce que viennent à me manquer soit les forces soit la vie, et que je prendrai les moyens de faire en sorte qu'elles demeurent après moi. Françaises, Français, voyez où risque d'aller la France, par rapport à ce qu'elle était en train de redevenir. Françaises, Français, aidez-moi !