Sophia Loren à propos de Une journée particulière

18 septembre 1977
06m 09s
Réf. 00082

Notice

Résumé :

Sophia Loren parle de son rôle dans le film d'Ettore Scola et évoque son enfance dans l'Italie fasciste des années trente.

Type de média :
Date de diffusion :
18 septembre 1977
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Thèmes :

Éclairage

Actrice emblématique du cinéma italien, Sophia Loren, née en 1934, est en 1975 au sommet de sa gloire lorsque le réalisateur Ettore Scola la fait une nouvelle fois tourner aux côtés de Marcello Mastroianni dans Une journée particulière.

D'abord héroïne de romans-photos et de comédies populaires, la brune séductrice est devenue au fil des ans - et sous la direction de son mentor le producteur Carlo Ponti - un véritable mythe, qu'elle attire les hommes en affichant une sexualité provocatrice (L'Or de Naples de Vittorio De Sica en 1954) ou en jouant au contraire la carte de la sophistication (La Diablesse en collant rose de George Cukor en 1960, La Comtesse de Hong-Kong de Charlie Chaplin en 1967). Son talent ne se réduit pourtant pas à cette ambivalence. Sa prestation dans Une Journée particulière ou dans La Ciociara de De Sica, qui lui a valu l'Oscar en 1960, fait d'elle l'égale des grandes vedettes de l'époque du néoréalisme.

Thierry Méranger

Transcription

Michel Drucker
Oui c'est elle, Antonietta, Sophia Loren, quelle différence de plan. D'abord merci mille fois d'avoir accepté cette interview, Sophia Loren. Je crois que la première fois que vous accordez une interview à la télévision française, car l'interview télévisée n'est pas votre exercice préféré.
Sophia Loren
Non ce n'est pas que ce n'est pas mon exercice préféré, c'est parce que quand je tourne un film, je me sens toujours très protégée par le personnage que je fais, Et quand je suis devant la caméra d'une télévision, je me sens beaucoup plus exposée, que quand je fais un film, quand je fais un personnage dans un film.
Michel Drucker
En tout cas dans ce rôle d'Antonietta, héroïne avec Marcello Mastroianni de La journée particulière, on ne pas peut dire que vous ayez pu vous dissimuler derrière les maquillages. Là vous étiez vraiment « nue », si j'ose dire.
Sophia Loren
Pas du tout, parce que quand même on a discuté du personnage beaucoup avec le metteur en scène Ettore Scola, et c'est un metteur en scène que moi je trouve très sensible et très intelligent, Et je le considère comme l'un des trois ou quatre plus significatifs metteurs en scène italiens, et vraiment je dois à son talent et à ses manières gentilles mais fermes, de m'avoir fait comprendre et surmonter toutes les difficultés du personnage. Et alors je me suis présentée devant la caméra sans maquillage, avec une petite robe de chambre, avec des pantoufles avec un trou dedans,
Michel Drucker
Et des bas filés ?
Sophia Loren
Et des bas filés, complètement effacée.
Michel Drucker
Mais est-ce que psychologiquement c'est plus facile pour la comédienne de jouer justement sans fard, sans artifice, pour l'émotion c'est peut-être plus facile ?
Sophia Loren
Ça dépend du rôle qu'on fait. Si on fait des rôles glamours comme on dit en Amérique,
Michel Drucker
Très brillant?
Sophia Loren
Non pas du tout, mais si on fait des rôles d'une femme du peuple, ça aide beaucoup parce que vraiment moi personnellement je suis une femme du peuple, mes origines sont modestes, Je me sens vraiment chez moi et je me sens dans mes racines et je me sens tout à fait à mon aise.
Michel Drucker
Vous étiez une toute petite fille,
Sophia Loren
Bien sûr je dois oublier mes petites vanités de femme,
Michel Drucker
Oui, bien sûr. Sofpha Loren, vous étiez une toute petite fille en 1938, le jour où Hitler est venu rendre visite à Mussolini, et toute la famille va se défiler, on va en reparler dans un instant. Et vous n'aviez donc pas la maturité politique pour comprendre les événements de l'époque, votre mère l'a fait peut-être pour vous, Mais est-ce que dans ce contexte social de l'époque, vous étiez petite fille du peuple, ça voulait dire quelque chose pour vous le fascisme, quand vous avez grandi, est-ce que ça a voulu dire quelque chose de significatif ?
Sophia Loren
Ce que je me souviens de cette époque-là, c'était vraiment la faim, la misère, le froid, je n'avais pas de chaussures, je n'avais pas de vêtements pour m'habiller, et tout ça je ne peux jamais l'oublier. Et vraiment maintenant que j'ai un peu d'argent, la première chose que je fais, j'achète des chaussures, beaucoup de chaussures. Parce que vraiment c'était un moment désespéré pour moi.
Michel Drucker
Est-ce que votre mère ressemble à cette Antonietta de 1938, cette mère de famille esclave, dominée par un homme tyrannique, comme beaucoup d'hommes l'étaient à cette époque et le sont toujours d'ailleurs ?
Sophia Loren
Non pas du tout, parce que ma mère ne s'est jamais mariée avec mon père,
Michel Drucker
C'était ce qu'on appelait une ragazza madre, c'est ça ?
Sophia Loren
Ragazza madre, une fille-mère, elle était peut-être un des premiers hippies de cette époque-là, elle était une artiste, une intellectuelle, elle jouait le piano très bien, elle était une femme très belle, Elle ne ressemble pas du tout à Antonietta. Moi je peux ressembler un peu plus à Antonietta, je m'approche un peu plus d'Antonietta.
Michel Drucker
Ce n'est pas très gentil pour votre mari Carlo Ponti ?
Sophia Loren
Non, ce n'est pas pour ça, c'est dans les sentiments, ce qu'on ressent au-dedans de soi. Ce n'est pas dans les rapports avec l'homme.
Michel Drucker
Alors justement parlons des rapports avec l'homme, le mari, fasciste bien entendu, d'Antonietta, est vraiment l'être abjecte par excellence, qui tyrannise tout le monde, qui brutalise, qui a des rapports extrêmement violents avec les membres de sa famille, On le voit dans cette scène, ne parlons plus du fascisme, est-ce que des hommes comme ça existent toujours en Italie ?
Sophia Loren
Mais ce n'est pas seulement des hommes comme ça qui existent, c'est aussi des femmes comme ça qui existent dans le monde d'aujourd'hui. Et des hommes comme mon mari dans le film existent malheureusement encore, des hommes qui sont des vrais hommes, qui croient être des vrais hommes, Très virils comme devraient être vraiment des bons fascistes, et dans son univers masculin, la femme est traitée toujours comme, je ne sais pas moi, comme
Michel Drucker
Une esclave,
Sophia Loren
Une bonne à tout faire,
Michel Drucker
Une femme de ménage, oui,
Sophia Loren
Comme une entité dérisoire sans aucun droit de participation aux problèmes importants de la société.
Michel Drucker
D'ailleurs il est à remarquer qu'Antonietta ne va pas au défilé, elle reste à la maison faire le ménage.
Sophia Loren
Oui parce que c'est la seule chose qu'elle peut faire.
Michel Drucker
Nous allons maintenant parler, puisque l'extrait va nous en donner l'occasion, de Marcello Mastroianni. C'était votre neuvième rencontre avec Marcello, c'est plus qu'un ami de la famille maintenant ?
Sophia Loren
Ah oui ! C'est un frère, c'est un mari, c'est tout.
Michel Drucker
Qui est-il dans ce film, c'est un être qui a une vie difficile, il n'assiste pas au défilé, vous non plus, lui n'y assiste pas pour d'autres raisons ?
Sophia Loren
Parce qu'il est un homosexuel.
Michel Drucker
Donc rejeté par le régime.
Sophia Loren
En ce temps-là, on m'a dit que les homosexuels ne pouvaient pas faire partie de la vie sociale, ils étaient envoyés a confine.
Michel Drucker
Les camps de concentration.
Sophia Loren
Complètement, alors c'est ça le personnage de Marcello dans le film.