Le voyage du Général de Gaulle en Afrique noire française

08 février 1944
09m 28s
Réf. 00235

Éclairage

En 1940, le soulèvement de Brazzaville avait permis le ralliement du Congo au général de Gaulle. La ville est alors décrétée capitale de la France libre. De Gaulle confia l'AEF à Félix Eboué, ancien gouverneur du Tchad et premier administrateur d'Afrique centrale rallié à sa cause. En 1944, de Gaulle et Eboué réunissent les administrateurs coloniaux à Brazzaville pour évoquer l'avenir des colonies françaises d'Afrique.

Le résultat de cette conférence a souvent été présenté comme une ouverture vers l'idée d'une indépendance des pays de l'Afrique française. Il n'en est rien, mais la promesse a bien été faite d'une meilleure reconnaissance et d'une plus large autonomie, d'une plus grande participation des Africains aux affaires locales. [Le discours d'ouverture de la conférence est disponible dans le tome 1 des Discours et messages, Paris : Plon, 1970, p. 370-373].

Le chef de la France libre profite de cette conférence pour entreprendre, en janvier-février 1944, une vaste tournée en l'Afrique occidentale (AOF) et en Afrique équatoriale française (AEF). De Gaulle, reconnu sur place comme le seul représentant légal de la France, vient motiver les troupes d'Afrique pour le débarquement de Provence et les combats qu'il faut encore mener pour délivrer l'Europe.

Le reportage s'ouvre sur l'accueil des personnalités françaises, dont le général de Gaulle, à leur montée dans l'avion à Alger, tandis que le journaliste rappelle, d'un ton emphatique, que la France libre avait choisi avec raison, il y a plus de trois ans, la continuation de la lutte dans l'Empire. C'est ensuite la grande tournée africaine où l'on suit les foules, aux couleurs mêlées, réunies, dans un grand enthousiasme apparent, pour souhaiter la bienvenue au général tout au long de son parcours. Quelques gros plans montrent des hommes fiers et heureux de cette visite.

La démonstration voulue par ce reportage est triple : la France libre est soutenue par tout son Empire ; elle veut une politique moderne faisant plus de place aux problèmes humains, pour son Empire ; l'enjeu de cette guerre est bien la condition de l'homme. Pour illustrer cette dernière affirmation, ce film montre des exemples du racisme de l'Allemagne nazie qui refuse la reconnaissance due au soldat pour les combattants de l'Afrique, détruisant leurs monuments aux morts. A l'inverse, le reportage montre le fier défilé de nombreuses troupes coloniales, appui indispensable de la France que le commentateur place sur le même plan que les soldats des pays alliés.

Au cours de la conférence de Brazzaville, à laquelle n'assistent que les gouverneurs français et leurs familles, le commentaire rapporte quelques éléments du discours du général de Gaulle, constamment applaudi, mais on n'entend pas les paroles originales.

Françoise Berger

Transcription

AVERTISSEMENT
Commentateur
Le gouvernement de Bordeaux avait choisi la capitulation. La France avait choisi la continuation de la résistance dans l'Empire. Trois ans de lutte ont prouvé que c'était la France qui avait raison.
(Silence)
Commentateur
Et s'il en fallait une preuve de plus, éclatante, la voici : dans le film du voyage qu'a accompli, partant d'Alger, le général de Gaulle à l'occasion de la conférence africaine.
(Silence)
Commentateur
Dakar d'abord a salué celui qui s'était proposé pour premier but la réunion de l'Empire et le respect des engagements pris par la France envers ses alliés comme envers les populations qui dépendent d'elle.
(Silence)
Commentateur
Alors, à Dakar, l'Afrique occidentale française a prouvé de quel côté allaient ses vœux et sa volonté.
(Silence)
Commentateur
Alors, à Dakar, l'Afrique occidentale française a clamé son enthousiasme aux troupes de la liberté, à notre infanterie coloniale et à nos pompons rouges, comme aux marins et aux aviateurs d'Angleterre et comme aux soldats des Etats-Unis.
(Silence)
Commentateur
Dira-t-on que ces acclamations sont commandées ?
(Silence)
Commentateur
Oui, commandées par le cœur.
(Silence)
Commentateur
Une seule marine pour une seule patrie.
(Silence)
Commentateur
Abidjan, Côte-d'Ivoire.
(Silence)
Commentateur
En novembre 1940, les Allemands faisaient abattre à Reims le monument aux Sénégalais tombés pour la France. Eh bien, si l'Allemagne avait gagné la guerre, il aurait fallu abattre aussi à Abidjan le monument aux morts de la Côte d'Ivoire parce que, pour l'Allemagne raciste, les Noirs n'ont pas droit aux honneurs des guerriers.
(Silence)
Commentateur
Et voici Brazzaville. Brazzaville qui arrêta la capitulation au nord de l'Equateur. Brazzaville, refuge, pendant ces cruelles années, de l'indépendance et de l'honneur français.
(Silence)
Commentateur
Et c'est bien ici que devait se réunir la conférence africaine, c'était bien ici que devait s'assembler les meilleurs serviteurs de la civilisation française en Afrique. Parce qu'ils étaient les serviteurs de cette civilisation, pour la première fois dans une conférence de ce genre, la primauté fut accordée non plus aux problèmes économiques mais aux problèmes humains.
(Silence)
Commentateur
Et enfin, pour cette raison, déclara le général de Gaulle, qu'ayant tiré du drame la leçon qu'il comporte, la France nouvelle a décidé, pour ce qui la concerne, et pour ce qui concerne tous ceux qui dépendent d'elle, de choisir noblement, largement des chemins nouveaux en même temps que pratiques, vers le destin.
(Silence)
Commentateur
C'est l'homme, c'est l'Africain, devait résumer aussi le commissaire aux Colonies René Pleven, ce sont ses aspirations, ses besoins, c'est l'Africain comme individu et comme membre de la société qui sera la préoccupation constante de la conférence. Après cela, et devant le drapeau de Bangui, est-il possible de ne pas se rappeler l'autre déclaration, celle d'un porte-parole de Vichy : «L'Empire est la dot que la France apportera dans la corbeille de noces de l'ordre nouveau». Eh bien, Bangui, ces hommes et ces femmes si fiers, ils auraient été mis aussi dans la corbeille, sur les genoux d'Hitler. Entre l'ordre nouveau de l'Allemagne et les chemins nouveaux de la France, y avait-il eu jamais de choix pour l'Afrique ?
(Silence)
Commentateur
Or, l'un de ces nouveaux chemins est parti d'ici, des territoires du Tchad et de sa capitale Fort-Lamy. Il a été tracé, ce chemin, par Leclerc avec ces guerriers du Tchad, avec des hommes qui faisaient partie de cette foule. Il est allé, ce chemin, rejoindre loin au nord celui de la 8ème armée. Il est passé par Tunis et nous savons déjà où il aura son terme : il est l'un des chemins des hommes libres.
(Silence)
Commentateur
Et voici Zinder et la Haute-Volta. Il y avait là, par la volonté de Vichy, une frontière entre deux France ; il y avait là, par la volonté de Vichy, des armes françaises tournées vers le sud, dans le même sens que les armes de l'ennemi. Or, il n'y a eu là ni choc, ni conflit. Où sont-elles, ces deux France ? Où sont-elles, ces deux armées ? La réponse, lisez-la sur ces visages tournés vers le nord.
(Silence)
Commentateur
Gao, enfin, dernière étape avant le retour vers Alger. Ce voyage a-t-il été un simple voyage présidentiel et la conférence africaine une simple conférence administrative ? Oui, les Africains peuvent, sans arrière-pensée, sans crainte, et selon leurs coutumes centenaires qui leur seront conservées, les peuples d'Afrique noire peuvent exprimer leur joie et leur satisfaction. L'enjeu de cette guerre était bien en effet la condition de l'homme. Cet enjeu, pour l'Afrique française, est déjà gagné parce qu'en choisissant la continuation de la lutte dans l'Empire, c'était la France qui avait raison.