De l'image des soldats aux images de soldats
L'image des soldats français face à une guerre d'indépendance
par Sébastien Denis
L'armée n'est pas une et indivisible durant la guerre d'Algérie. Elle est constituée de groupes sociaux parfois très différents n'ayant pas vécu les mêmes expériences : il n'y a pas grand rapport entre un soldat d'active ayant fait la guerre d'Indochine, un appelé français à peine majeur venu de sa province et un « harki ». Pourtant, tous doivent faire face à une guerre doublement particulière, à la fois par la forme de guérilla qu'elle prend dans un pays aux territoires souvent difficiles d'accès, et parce qu'il s'agit d'une guerre d'indépendance visant à mettre un terme à la colonisation de l'Algérie. Le gouvernement et l'armée ne veulent toutefois pas que ces « événements » puissent passer pour une « guerre », terminologie limitée à des pays belligérants. S'il y avait une « guerre » en Algérie, cela laisserait en effet entendre que l'Algérie est un pays constitué – or il s'agit de départements français... Toute la complexité de la situation est là : il faut faire la guerre (une guerre dure où on n'hésite pas à employer le napalm et la torture, même si ce n'est bien sûr pas le cas partout) tout en la montrant le moins possible et en mettant en valeur les actions de « pacification »... Difficile alors, en dehors de quelques rares films d'instruction dédiés aux soldats, de mettre en scène une armée en guerre avec de véritables soldats, ni même un véritable ennemi.
Des soldats ordinaires : le contingent
En mars 1956, les « pouvoirs spéciaux » votés par le parlement confèrent aux militaires d'Algérie un pouvoir très important, le gouvernement se désaisissant d'une partie de ses prérogatives. Le contingent est a priori utile en termes d'image pour le gouvernement et l'armée, puisque l'envoi des appelés et rappelés crée un lien fort entre les deux côtés de la Méditerranée qui va dans le sens d'une impossible séparation de l'Algérie et de la France. On donne des soldats du contingent une image qui semble relativement réconfortante (l'arrivée des troupes en bateau pour lutter contre le « terrorisme ») et paisible, limitée à une action non violente (le quadrillage du terrain et le contrôle des populations), comme dans de nombreuses actualités civiles et militaires (Voir L'armée et le drame algérien) ou dans des rushes couvrant des actions de « pacification » (voir Construction d'une route dans le cadre de la "pacification").
Pourtant, dans les faits de nombreux appelés sont amenés à faire une « sale guerre », qui transpire (malgré la censure) à travers le courrier ou les films d'appelés (voir infra), mais surtout lors des rares permissions. Nombreux sont les soldats du contingent qui voyagent pour la première fois, et qui, confrontés à un environnement et à une civilisation radicalement différents de leurs habitudes, sombrent dans la dépression. Enfin, face à une guérilla violente sur des terrains tourmentés, ces jeunes soldats meurent (voir les images choquantes dans Autour du drame algérien) et donnent rapidement du conflit une image négative en métropole, ce qui décidera le général de Gaulle, en plus de la situation internationale (voir La question algérienne à l'ONU et le Discours de M. Couve de Murville à l'ONU), à refermer la « boîte à chagrins » de l'Algérie française.
Des soldats « positifs » : les SAS
Les Sections administratives spécialisées sont mises en œuvre par Jacques Soustelle (alors gouverneur général de l'Algérie) en septembre 1955 afin de doter l'Algérie d'un meilleur outil d'administration.
Ces soldats dépendent à la fois des pouvoirs civil et militaire et sont chargés d'actions jugées positives auprès des populations algériennes, avec la mise en route de chantiers (et donc l'emploi des hommes), d'écoles pour les enfants, de dispensaires médicaux... A l'image (en photo dans la presse, et au cinéma), parallèlement aux soldats du contingent qui « pacifient » le terrain, les officiers SAS donnent donc de l'armée française une représentation non militaire (ils sont « désarmés et désarmants », héritée des bureaux arabes du XIXe siècle, ouverts sur l'écoute et l'aide aux populations.
Képi bleu
Le képi bleu : surnom donné aux officiers SAS (Section administrative spécialisée) engagés dans l'opération de "pacification" menée par l'armée française en Algérie. Présentation de sa mission : le rôle du képi bleu est d'établir le contact, de "fraterniser" avec la population en difficulté. Il effectue une tournée dans divers villages, accompagné d'un harki et si besoin d'infirmières.
Ces soldats sont surtout employés dans la propagande entre 1956 et 1960 ; ils sont mis en parallèle des avancées sociales du plan de Constantine dans plusieurs films militaires, dont le film ci-dessous.
Des soldats d'exception : les « grands chefs » et les troupes de choc
Les soldats des troupes de choc sont centraux dans le dispositif militaire en Algérie, à la fois pour leur force de frappe dans une guerre de guérilla et pour l'image qu'ils donnent de l'armée, qui est pourtant en contradiction apparente avec la « pacification ». Ils perpétuent (et souvent en viennent directement) la tradition contre-révolutionnaire créée durant la guerre d'Indochine. Ces mêmes soldats sont au cœur de l'expédition avortée de Suez.
Par ailleurs, les chefs les plus connus médiatiquement sont ceux issus de ces corps d'exception, notamment les parachutistes à l'occasion des « batailles d'Alger » en 1957 : Bigeard et Massu, en particulier, vont être largement médiatisés. L'arrivée du général de Gaulle en 1958 ne change pas totalement cette dimension : ce sont bien les troupes de choc qui sont au centre des images du Plan Challe à partir de 1959 de manière à donner l'image d'une armée martiale répondant aux ordres de leurs chefs et du gouvernement (voir L'opération Jumelles continue).
Un film est dédié à ces « commandos de chasse » que le général Bigeard a mis en oeuvre.
Mais les parachutistes, trop connectés à la torture et trop impliqués dans les actions « séditieuses » à partir de 1960, s'ils font partie de ces commandos, ne sont plus directement mis en valeur, au profit de « commandos » au sens large, composés de soldats issus d'unités différentes et comportant souvent d'anciens soldats de l'ALN ralliés. L'un des commandos les plus connus est le commando Georges, composé uniquement de « FSNA » (Français de souche nord-africaine).
Des soldats « utiles » : les soldats « musulmans » de l'armée, les supplétifs et les ralliés
Les soldats « musulmans », comme on les appelle alors, sont très utiles pour l'armée en Algérie, aussi bien parce qu'ils connaissent le terrain et facilitent les échanges en arabe (une langue inconnue de la plupart des soldats métropolitains) que parce qu'ils donnent l'impression que les Algériens sont de manière générale du côté de la France. Trois cas existent : les soldats d'active d'origine algérienne, les « supplétifs » non permanents (dont les fameux « harkis ») et les « ralliés », anciens soldats de l'ALN. Les anciens combattants de l'armée d'Afrique lors des guerres mondiales sont également valorisés dans plusieurs films, faisant office de modèles pour les jeunes générations.
Askri - anciens combattants algériens
Ce film consacré aux anciens combattants algériens propose une rétrospective des combats les plus importants auxquels ils ont participé lors de la Seconde Guerre mondiale. Il expose ensuite, à travers l'exemple de quelques vétérans, les droits qu'ils ont acquis : licences spéciales pour ouvrir des cafés ; décorations militaires ; pensions de guerre ; dispensaires et centres pour invalides et mutilés ; école militaire pour leurs enfants.
Ne dépendant pas directement de l'armée, mais sous sa surveillance, les groupes d'autodéfense sont également très intéressants car ils sont la preuve d'une prise en main des populations par elles-mêmes.
S'ils sont très « utiles » en termes tactiques et en termes médiatiques, les harkis et ralliés (ces « 180.000 musulmans », comme l'indiquent plusieurs films comme celui ci-dessous – un chiffre largement surévalué) seront fréquemment abandonnés en Algérie à la vindicte populaire, exécutés en tant que traîtres au moment de l'indépendance, et parfois protégés par l'armée.
180 000 musulmans
Ce reportage évoque la vie quotidienne et la mise en place de groupes d'autodéfense dans le bled. Il montre des tirailleurs et spahis "contre la rébellion", ainsi que le travail des officiers SAS (visite dans les villages, distribution d'armes, chantiers de construction).
Ils seront également au centre de la prise de position des militaires « ultras » (notamment au sein de l'OAS) ne supportant pas de voir bafouée la « parole donnée » à ces soldats qu'ils seraient protégés par la France qu'ils avaient défendue.
Le soldat politique : le général de Gaulle
Dès son arrivée au pouvoir en juin 1958, le général de Gaulle est présenté comme un soldat d'exception dans plusieurs films militaires rappelant ses hauts faits (il était jusqu'alors interdit d'antenne) – voir les films Honneur, patrie, Algérie française (1958) avant son accession au pouvoir, et Le général de Gaulle en Algérie, 4, 5 et 6 juin 1958 après celle-ci.
Le général de Gaulle en Algérie, 4, 5 et 6 juin
Film couleur sur la tournée du général de Gaulle, nouveau président du Conseil, en Algérie du 4 au 6 juin 1958. Durant son séjour, il prononce des discours à Alger ("Je vous ai compris" du balcon du gouvernement général au dessus du forum), à Constantine, à Oran et à Mostaganem. Partout, la foule l'acclame.
De Gaulle se présente lui-même comme LE soldat français par excellence, celui qui va prendre la main sur l'armée d'Algérie en en brisant, au fur et à mesure, tous les rouages. Il commence d'ailleurs par limoger le général Salan en décembre 1958, le remplaçant par un délégué du gouvernement en Algérie, Paul Delouvrier. S'il ne supporte pas que le FLN-ALN lui tienne tête (il nomme le général Challe en 1959 pour remplacer Salan et briser les troupes de l'ALN, avec succès, et favorise la « paix des braves » pour les ralliés), il supporte moins encore l'indiscipline militaire, qui a été générée par le gouvernement et le parlement en 1956 et à laquelle il entend mettre fin. Quand les éléments « séditieux » entrent en action en Algérie (en janvier 1960 puis pendant le putsch des généraux en 1961), il n'hésite pas à reprendre le costume de général pour appeler à leur mise au pas. [1]
Message radiotélévisé du général de Gaulle du 23 avril 1961
Le samedi 22 avril 1961, les généraux Challe, Salan, Zeller et Jouhaud, avec l'appui du 1er régiment de parachutistes, commettent un coup de force à Alger. Le 23 avril, De Gaulle décide d'assumer les pleins pouvoirs prévus par l'article 16 de la Constitution. Il en informe la Nation.
[1] Voir la fresque Charles de Gaulle, paroles publiques , consacrée aux discours, allocutions, voyages, conférences de presse, voeux du général.
Images de soldats : les films des soldats cinéastes amateurs durant la guerre d'Algérie
par Jean-Pierre Bertin-Maghit
Entre 1954 et 1962, des soldats du contingent ont pris leur caméra comme d'autres leur appareil photographique, se muant ainsi en cinéastes amateurs. Dans la plupart des cas, leur préférence est allée à la caméra pour sa capacité à « mieux » enregistrer le réel, « Ça bouge » disent-ils ! Néanmoins, nous voyons que ces images renvoient à des démarches différentes. Même s'il est plus aisé de sortir son appareil photo plutôt que sa caméra qui exige de viser, régler la lumière avec la cellule, mettre au point, le regard du filmeur gagne en pouvoir par l'importance que la temporalité confère à son geste. Ce n'est pas pour organiser une projection avec ses camarades que le soldat filme, mais pour garder un souvenir de son expérience algérienne, éventuellement l'envoyer à sa famille, lui donner des nouvelles de sa vie de militaire et la rassurer, il expédie les bobines non développées en France.
Des soldats français se sont transformés en cinéastes amateurs
Pour comprendre le geste cinématographique du soldat cinéaste, il est bon d'interroger ses motivations. À travers ses films, il nous raconte par « fragments » la chronique de son séjour là-bas. Parti en Algérie avec la mission de « maintenir l'ordre », ce qu'on appelait alors la pacification, il découvre, en même temps, un pays et des terres inconnus. Cette double réalité oriente le filmage où il se fait tantôt touriste européen et tantôt soldat épistolier.
Extraits :
Film du sous-lieutenant Henri Frigoul de la 3e section de réparation de matériel de la 52e Cie divisionnaire d’infanterie, nord de la frontière tunisienne, 1961-1962. Mission de maintien de l’ordre : atelier de réparation du matériel.
Film du sous-lieutenant Francis Lemaître, 3e Cie de diffusion et de production (CDP) près de la frontière tunisienne. Mission de pacification : Mise en pratique de la construction volontaire d’une route pour permettre la réorganisation d’un secteur, campagne d’action psychologique de la 3e CDP.
Film du sous-lieutenant Francis Lemaître. Regard touristique : découverte de paysage dans les Aurès, des ruines de Timgad et des rues animées de Tébessa, 1960.
Son regard sur un pays qu'il découvre se fait documentaire au point de produire des cartes postales animées mais pas seulement. Il construit également un imaginaire puisque ceux qui sont devant sa caméra composent une image souhaitée d'eux-mêmes : l'expression du désir s'imprime sur le réel. Mais ce geste épistolier, qui presque exclusivement rassemble les moments de joie éphémères partagés dans des scènes anecdotiques du quotidien, refoule le réel dramatique de la guerre et l'incertitude du futur, il crée des images-souvenirs-écrans. Ce sont ces images-là, de camaraderie insouciante et de rigolades de régiment, que le soldat voulait garder « pour toujours » comme souvenirs.
Extrait :
Film du maréchal des logis André Triboulet, 401e régiment d’artillerie à Aïn Guiguel (Aurès). Images-souvenirs-écrans. Des scènes anecdotiques du quotidien. Jeux pendant les temps de repos aux abords et à l’intérieur du fortin d’Aïn Guiguel, 1959-1960.
Il faut s'interroger sur la valeur de témoignage de ces films qui ne montrent que des fragments de la vie quotidienne et sur l'articulation entre la vie de ces « êtres singuliers » et l'ensemble des phénomènes collectifs qui les entourent. Quelles images ces soldats ont-ils voulu donner à voir, et garder en souvenir ? Comment leurs histoires font effraction dans l'Histoire ?
Qui sont ces opérateurs ?
Ils sont jeunes, une vingtaine d'années, à l'exception des rappelés, des sursitaires, des gradés d'active et des réservistes, ils sont restés en moyenne entre 4 et 26 mois en Algérie. Ils ont une caméra 8mm ou 9,5mm, achetée pour la plupart d'entre eux avant de partir ou sur place pour la circonstance, c'est dire qu'ils sont peu familiers de son maniement. Certains sont membres d'associations de cinéastes amateurs ou de ciné-clubs, d'autres fréquentent assidûment les salles de cinéma. Ces films peuvent donc être « bien faits » ou « mal faits », en noir et blanc ou en couleurs en fonction des possibilités financières de chacun.
Des documents d'histoire
Je considère ces films non seulement comme une source mais également comme un objet d'histoire. Tout en renvoyant à une expérience sociale ils apportent un point de vue d'autant plus précieux que chaque soldat filme peu, pour des raisons financières et à cause des contraintes du terrain. Pour l'historien qui s'interroge sur la vie de ces « appelés en guerre d'Algérie » ils forment un document culturel. Témoignages plus ou moins partiels, plus ou moins partiaux du monde au sein duquel se trouve le soldat cinéaste, ils sont organisés en « récits de soi » et renvoient à ce qu'un regard humain a pu enregistrer, des instantanés « de l'intime » qui envahit les temps de repos et de loisirs.
Extrait :
Film du sous-lieutenant Henri Frigoul. Moment de détente. Les soldats autour d’un méchoui après livraison d’un tank réparé.
Ils ne nous disent rien des stratégies ou des manœuvres de combat et oblitèrent les atrocités de la guerre. Néanmoins, la violence et la mort peuvent s'inviter dans l'image comme par effraction et s'imposer à notre regard, à l'occasion d'une fouille dans un village, de la vue d'un village incendié, d'un cadavre étendu sur le sol. Ces images font alors rupture avec les autres.
Extraits :
Film du sous-lieutenant Francis Lemaître. La guerre. Tir d’artillerie au 105. Nettoyage d’une DZ (dropping zone) avant le largage d’une unité de la Légion sur un secteur à « nettoyer », Nord-Constantinois en juin 1960.
Film du capitaine Robert Coquelet, 3e Chasseur d’Afrique (Hauts-Plateaux au sud d’Alger). La mort : Mélousa 22 mai 1956, membres du FLN tués et alignés pour relever les identités, prendre les armes et montrer au village la force de l’armée française.
Ces témoignages ne rendent pas compte non plus d'une chronologie de la guerre, par delà les soldats ce sont les hommes qu'on aperçoit.
Une histoire des combattants
Quand ils s'offrent au regard de l'historien ces films abandonnent le statut d'archives privées. Ils édifient une histoire des combattants, se font archives de récits historiques mais ne construisent pas pour autant une mémoire collective. Même si l'histoire de chacun se trouve toujours « enchevêtrée à celles de nombreux autres », les mémoires restent éclatées. Il s'agit d'une « contre-histoire » au sens où le définit Marc Ferro, celle d'anonymes qui témoignent d'autre chose que des événements, ces films s'organisent en autant « d'histoires parallèles » qui viennent compléter l'histoire officielle des documentaires du Service cinématographique des armées (SCA). Ils permettent de voir comment chacun prend place dans l'événement que représente la guerre d'Algérie. Ces « caméras portées » enregistrent l'environnement immédiat dans lequel évoluent les soldats.
Extraits :
Film du sous-lieutenant Henri Frigoul. La ligne Morice. Livraison de matériel et barrage électrifié de la ligne Morice.
Film du maréchal des logis André Triboulet. Le fortin d’Aïn Guiguel et ses alentours. Le site du fort, les enfants du village de regroupement et un retour de patrouille.
Renaud Dulong précise à ce propos : « L'environnement d'un individu, qui est pour lui le lieu de la vérité, est toujours local. C'est le champ de son expérience, le monde à portée des yeux, des oreilles et de la voix. » Dans La Chartreuse de Parme de Stendhal, lorsque le personnage de Fabrice del Dongo se retrouve à Waterloo en 1815, il est à la fois conscient de participer à la bataille mais se sent incapable d'en appréhender les contours et la globalité.
Les grands scénarios
La lecture attentive de ces films nous permet d'en dégager ce que l'anthropologue américain Richard Chalfen appelle les « grands scénarios » — les mêmes événements produisent les mêmes types d'images. Dans les films étudiés, ces événements sont au nombre de trois : les temps de repos et de loisirs comprenant cérémonies, revues militaires, fêtes du régiment, méchoui, réunion au mess, loisirs dans la caserne, animaux mascottes du régiment, nettoyage de l'armement, permissions, visites touristiques ; le regard porté sur les autres, les « musulmans » dans les images des marchés, du bled, de la ville, de la femme algérienne, des enfants dans les rues, des activités artisanales, d'un cortège funèbre, d'un mariage et la guerre à l'occasion de la fouille d'un village, d'une maison incendiée, d'un cadavre étendu sur le sol, du déminage d'une route, d'un départ en opération commando, de l'installation de relais radio, d'un contrôle d'identité, d'un campement militaire, d'un exercice d'héliportage, de parachutage, d'un bombardement au napalm, de l'organisation de référendum.
Extraits :
Film du capitaine Robert Coquelet. Découverte du territoire à surveiller, les premières pentes de l’Atlas au dessus de la Mitidja.
Film du maréchal des logis André Triboulet. La rencontre de l’Autre : le soldat instituteur à Aïn Guiguel.
Film du sergent Jean Mougin. Le regard « exotique ». Population à Metlili des Chambaâ, 1960.
On peut dire ainsi que le film de soldat, pour extrapoler les propos de Pierre Bourdieu au sujet de la photographie de famille, ne s'abandonne jamais à « l'anarchie des intentions individuelles », il fonctionne comme un rituel.
Tenir compte de trois réalités
La lecture attentive de ces films tient compte de trois réalités. La première concerne l'identité du cinéaste. Il peut être officier, sous-officier d'active ou mobilisé, ou homme de troupe pour la grande majorité d'entre eux. La deuxième renvoie au point de vue qui oriente le filmage. Ces récits cinématographiques, même maladroits, sont imprégnés « du capital culturel d'images » appartenant à la mémoire collective au sein de laquelle s'est effectuée l'éducation de ces jeunes jusqu'à leur départ. La troisième concerne le contexte de vie. Tous les appelés n'ont pas vécu les mêmes expériences en fonction des époques et de leur lieu d'affectation, casernes implantées dans les villes, postes de campagne dans les bleds, oueds dans le sud-saharien. La singularité de ces films est ainsi liée aux paramètres humains, temporels et géographiques du moment du tournage.
Bibliographie
- Pierre Bourdieu, Luc Boltanski, Robert Castel, Jean-Claude Chamboredon, Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Éditions de Minuit, Alençon, 1965.
- Richard Chalfen, « The home movie in a world of reports : an anthropological appreciation », in The Journal of film and video, Summer/Fall 1986, pp. 102-111, cité par Susan Aasman, « Le film de famille comme document historique », in Le Film de famille, usage privé, Roger Odin (dir.), Paris, Meridiens Klincksieck, 1995.
- Renaud Dulong, Le Témoin oculaire, Paris, Éd. EHESS, 1998.
- Arlette Farge, « Écriture historique, écriture cinématographique », in Antoine de Baecque et Christian Delage (dir.), De l'histoire au cinéma, Paris, Édition complexe, coll. Histoire du temps présent, 1998.
- Marc Ferro, Analyses de film, analyse de sociétés, Paris, Hachette, 1975.
- Claire Mauss-Copeaux, À travers le viseur, Algérie 1955-1962, Lyon, AEdelsa, 2003.
- François Rouquet, Fabrice Virgili, Danièle Voldman, Amours, guerres et sexualités (1914-1945), BDIC/Musée de l'Armée, (20 septembre-31 décembre 2007), catalogue publié aux éditions Gallimard, 2007.