Le dernier bateau-lavoir de Laval
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Résumé
Pour rien au monde les lavandières du Saint-Julien ne troqueraient leur bateau-lavoir contre une machine à laver. Mais Joseph Poirier, le propriétaire du dernier bateau-lavoir de Laval en activité, se prépare à prendre sa retraite. L'avenir du bateau est incertain.
Date de publication du document :
01 sept. 2021
Date de diffusion :
04 avr. 1970
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Contexte historique
ParDirecteur des archives départementales de la Mayenne
Publication : 01 sept. 2021
Diffusé en 1970, ce reportage a été tourné l’année précédente, à la fin d’une décennie paradoxale marquée par l’apogée des Trente glorieuses, la libération des mœurs et Mai 68. C’est l’intérêt majeur de cette vidéo : illustrer un point de bascule dans les domaines de la vie économique et sociale.
La buanderie batelière lavalloise remonte aux années 1860. La municipalité entreprend des travaux hygiénistes dans les quartiers bordant la Mayenne, trop souvent victimes de crues et comportant des maisons sur pilotis, insalubres. Parallèlement à la canalisation de la rivière, destinée à faciliter sa navigabilité, sont construits des quais rehaussés. Mais ces derniers remplacent des espaces aménagés au bord de l’eau pour servir d’abreuvoirs et de lavoirs. Pour ne pas interrompre ces activités, la ville se dote alors progressivement de bateaux-lavoirs à fond plat, stationnés sur les deux rives le long des quais, de Bootz à Avénières, et plus particulièrement entre le viaduc et le Vieux-Pont. Cette flottille connaît son apogée au début du XXe siècle, avec une vingtaine d’embarcations. C’est à cette époque que sont construits, en chêne et sapin, le Saint-Julien (1904) et le Saint-Yves (1908), présentés dans le reportage.
De belles dimensions, ils se remarquent par leurs deux ponts : l’un en cale, au ras de l’eau, comporte une vingtaine de planches à laver en zinc et peut ainsi accueillir une quarantaine de lavandières simultanément ; l’autre à l’étage est équipé de cuves où l’on stockait l’eau chauffée par les chaudières, pour y faire bouillir le linge. Le Saint-Julien, seul bateau encore en activité au moment du reportage, mesure 28 mètres de long pour 5 de large. Il est d’ailleurs destiné dès l’origine à accueillir la famille d’Alphonse Fouquet, le buandier, dont les espaces d’habitation se trouvaient à l’étage. Sur le Saint-Yves, ils sont matérialisés par deux pavillons aux extrémités du pont supérieur.
La Mayenne n’a jamais eu le monopole de ces équipements, construits à Angers et acheminés par voie fluviale grâce aux écluses construites pendant la seconde moitié du XIXe siècle. En revanche, Laval peut s’enorgueillir d’avoir plus longtemps qu’ailleurs entretenu et renouvelé sa flottille de bateaux-lavoirs.
Pourtant, la fin des années 1960 est une période critique : la réalité économique vient heurter une forme de routine et l’électroménager naissant entend rompre avec des opérations pénibles. Cependant, les lavandières refusent cette forme de progrès. Et si elles fournissent des arguments contre la machine, notamment la durée d’un lavage et l’usure accrue du linge, il semble que la véritable raison soit ailleurs : l’avènement de l’électroménager individuel ne marque-t-il pas l’irruption de l’individualisme au cœur des villes et des campagnes ? Les lavoirs constituent dans la société un espace d’échange où la solidarité dans la tâche soude les liens. Deux catégories de femmes s’y côtoient : les lavandières de métier, employées du buandier ou installées à leur compte, et les ménagères. Les témoignages insistent sur la transmission des gestes de mère en fille, dès l’âge de douze ans. Paradoxalement, une forme d’émancipation féminine semble régner dans ce lieu d’où les hommes sont absents, excepté Joseph Poirier, le propriétaire.
Durant la décennie 1960, les bateaux-lavoirs ferment les uns à la suite des autres au point qu’en 1969 seul le Saint-Julien demeure en activité. Et les lavandières ne sont pas dupes, qui font preuve dans leur témoignages d’une gouaille et d’un pessimisme qui est déjà une forme de résignation ; le propriétaire ne tient pas un autre discours.
Le regard du journaliste saisit cet état d’esprit. Il évoque en ouverture un bateau condamné à mourir sur place sans avoir jamais navigué
, privilégie les détails et les gestes. Le traitement et le flou volontaire évoquent la photographie humaniste, apparue après-guerre et marquée entre autres par le nom de Willy Ronis. Le titre "Les derniers bateaux-lavoirs" est sans équivoque. D’ailleurs Joseph Poirier meurt dans les mois suivant le reportage et son fils Jacques cède à la ville le bateau, qui devient musée municipal en 1985 avant d’être classé monument historique en 1993. Restauré après un naufrage en 2009, il retrouve sa place quai Paul Boudet en 2013. Il s’intègre ainsi dans le patrimoine lavallois, à proximité de la chapelle de l’hôpital Saint-Julien, en face du Vieux Château, faisant de la Mayenne aménagée de main d’homme un lieu de tourisme et de loisir (voir la vidéo Tourisme sur la rivière Mayenne).
Bibliographie
Sources originales
- Archives départementales de la Mayenne, E-dépôt 96/1370 et 2416 : archives déposées de la ville de Laval, dossiers sur les bateaux-lavoirs (1862-1926 et 1929-1947).
Sur les bateaux-lavoirs en particulier, leur histoire et leur dimension patrimoniale
- Bernard Crenn, « 1855-1971 : la longue vie des bateaux-lavoirs lavallois », La Mayenne : archéologie, histoire, 1987, n° 10, p. 135-167.
- Didier Maignan, « Bateaux-lavoirs : sauvetage sur la Mayenne », Maine-Découvertes, 1994, n° 2, p. 15-19.
- François-Xavier Trivière, Bateaux-lavoirs et usages multiples de la rivière : le cas de Laval, Nantes, RESO, 1996.
- François-Xavier Trivière, Au carrefour des eaux : bateaux-lavoirs et usages de la rivière, Laval, Siloë, 1996.
- François-Xavier Trivière, « Une flotte irrégulière : les bateaux-lavoirs à Laval », 303, 1996, n° 49, p. 44-49.
- « Bateau-lavoir Saint-Julien », Le patrimoine des communes de la Mayenne, Paris, Flohic, 2002, t. 2, p. 625.
- Sylvie Garnavault, « Les bateaux-lavoirs de Saint-Julien et Saint-Yves à Laval : un patrimoine unique sauvé des eaux » dans Monique Guéguen, Nicolas Foisneau et Jacques Naveau (dir.), Le patrimoine, un homme, une passion : hommage à Dominique Éraud (1954-2012), Laval, Société d'archéologie et d'histoire de la Mayenne, 2014, p. 171-178.
- Sylvie Garnavault et Stéphane Hiland, À Laval, le bateau-lavoir Saint-Julien remis à l’eau, site sahm53.fr, s.d. [page consultée le 07 avril 2021]
- Sylvie Garnavault, Focus. Les bateaux-lavoirs à Laval, un patrimoine unique en Europe, site laval.fr, 12 p., s.d. [page consultée le 07 avril 2021]
Sur les lavoirs en général, d’un point de vue patrimonial et de sociabilité
- Joseph Leconte, Lavages et commérages y faisaient bon ménage, Gorron, dact., 1991, 23 p.
- Anne-Marie Schaettel, « Les lavoirs et les laveuses », 303, 2013, n° 128, p. 76-80.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
(Bruit)
Laurent Desprez
Non, il ne partira pas.Navire de haut bord, il n’a jamais quitté son port d’attache, condamné à mourir sur place, sans avoir jamais navigué.Sur les 18 qu’il y avait à Laval, quatre seulement ont franchi le cap des 100 ans et un seul a pu rester actif.Il vit toujours, et comment !Quand elles arrivent, à bord c’est la fête, et c’est comme ça depuis très longtemps.
(Bruit)
Laurent Desprez
Ça fait combien de temps ?
Inconnue 1
Y’a pas longtemps que je lave là.Je lavais à côté, mais comme ils l’ont fermé.Il faut bien que je vienne là, comme je suis laveuse.
Laurent Desprez
Ça fait combien de temps, avant la guerre ?
Inconnue 1
Ah, oui.Je viens toujours, il y a 25, 6 ans que je viens là.
(Bruit)
Inconnue 2
Ça fait du temps, à peu près toute ma vie.
Laurent Desprez
On m’a dit que vous étiez la doyenne du bateau ?
Inconnue 2
Maintenant, oui.
Laurent Desprez
Ça remonte à quand alors, le début ?
Inconnue 2
Oh, c’était en 19…, avant la guerre.
Inconnue 3
La guerre de 14 ?
Inconnue 2
Oh, non, après.
(Bruit)
Inconnue 2
Je suis venue en 1918, par là.
Inconnue 3
Quand j’avais 8 ans, je venais avec ma mère, alors.J’en ai 46.
Inconnue 4
Oh, j’étais toute jeune, je venais avec ma mère.Alors, j’avais quel âge ? 12 ans.
(Bruit)
Laurent Desprez
À l’époque de la mécanisation, qu’est-ce qui fait venir ici ces femmes ?Alors que l’opération de buanderie sur le bateau nécessite toute une série de manipulations.Après le lavage dans la rivière, le linge, soigneusement étiqueté, sera bouilli sur le pont dans une grande lessiveuse, puis descendu à nouveau à la rivière pour être rincé et enfin essoré.Oui, pourquoi ces femmes viennent-elles encore ici ?Toutes rebelles au progrès, elles ont un ennemi commun : la machine à laver.
Inconnue 2
J’aime mieux que de laver à la maison.Parce que je regarde, il faut deux heures à chaque, à chaque… à chaque euh, pour une petite machine, il faut deux heures à tourner, alors il faut le faire en plusieurs fois.Alors, rendez-vous compte, ça fait toute la journée.
Laurent Desprez
Vous avez déjà essayé la machine à laver ?
Inconnue 1
Ah, non.
Laurent Desprez
Vous ne voulez pas ?
Inconnue 1
Oh, non !
Inconnue 4
C’est les machines à laver qui prennent les bonnes volontés, c’est ça qui est le plus triste, hein.
Laurent Desprez
Vous aimez pas ça, la machine à laver ?
Inconnue 4
Je n’ai pas où mettre, et puis non.Non, ça ne me plairait point.
Laurent Desprez
Est-ce que vous avez essayé, au moins ?
Inconnue 4
Oh, jamais.
Laurent Desprez
Pourquoi pas ?
Inconnue 4
Ben, je sais pas.Parce que ça me plaît pas, tiens !Et puis, à mon âge, alors, c’est pas la peine.J’ai un pied sous la terre et l’autre dedans.
Inconnue 3
Moi, je dis que le linge il est beaucoup plus beau et moins esquinté.
Laurent Desprez
Ah oui, vous trouvez que…
Inconnue 3
Ah, oui !
Laurent Desprez
Même si on le frotte beaucoup ?
Inconnue 3
Mais, on le frotte pas énormément, vous savez, il y a pourtant du linge des fois qui est sale, et ben, jamais il est déchiré comme dans les machines.Il n'y a pas d’usure, c’est pas pareil.
Inconnue 5
Oh, j’ai une machine à laver à la maison, mais je me plais mieux au bateau.
(Bruit)
Laurent Desprez
Le mot est lâché :je me plais mieux au bateau.La belle époque de lavandières lavalloises est passée.Celle où on les appelait les poules d’eau, où leur langue marchait de pair avec les battoirs.Il n’y a plus de battoir.Mais, tout de même, il y a encore de l’ambiance à bord.
(Musique)
Joseph Poirier
Il est toujours là, le vieux ?
Inconnue 6
Oh, oui, heureusement qu’on vous a !
Joseph Poirier
Profitez-en, tant qu’il tient.
Inconnue 6
Oh, oui !
Laurent Desprez
Monsieur Poirier doit bientôt prendre sa retraite.Après lui, que se passera-t-il ?Comment se présente l’avenir ?
Joseph Poirier
Ben, plutôt mal, parce que…, plutôt même très mal dans un sens que... nous avons pas... vu la retraite artisanale que je suis certain qu’on nous donnera, ce sera certainement euh dur dur de pouvoir vivre, d’autant plus qu’on n’a aucun espoir de vendre ça… C’est voué, comme malheureusement nous avons vu avec nos collègues, au Viaduc, et puis certain, c’est voué à la démolition, quoi.
Laurent Desprez
Est-ce que c’est rentable, une entreprise comme la vôtre ?
Joseph Poirier
Non.Pour moi, la mienne, non.Maintenant, non.D’abord, premièrement, étant seul, pour le petit travail que j’ai, que je fais, j’ai trop de charges.
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