Épouse de mineur silicosé à 100 %

14 avril 2004
08m 22s
Réf. 00172

Notice

Résumé :

Philippe Gougler reçoit Casia Szoper femme de mineur silicosé à 100%. Elle est à ses côtés en permanence. Elle raconte sa vie dédiée au bien être de son mari. Désormais c'est elle qui s'occupe l'entretien du jardin. Elle s'est mariée à 18 ans, lui à 22 ans et ils sont restés ensembles malgré la maladie. Paul son mari, pense que des infirmières n'auraient pas fait mieux qu'elle.

Type de média :
Date de diffusion :
14 avril 2004
Source :

Éclairage

Lorsque leur mari arrive à l'âge de la retraite, la vie des femmes de mineur devient celle d'une infirmière, sollicitée jour et nuit par un époux usé par le travail au fond, souvent diminué par la silicose et devenu incapable de faire face aux gestes du quotidien. Le départ de la mine est souvent précédé par une dégradation des aptitudes physiques qui sont pourtant avec l'expérience, la principale source de qualification du mineur. Cette évolution a déjà entraîné une baisse du salaire ou une rétrogradation de catégorie, voire le passage du fond à la surface. Ce processus témoigne déjà d'une certaine dépréciation du mineur qui s'aggrave lorsque se déclare la silicose, maladie qui tue lentement. Une fatigue générale puis une difficulté croissante à respirer constituent les premiers symptômes de la maladie. Cela entraîne une réduction progressive mais irréversible de la capacité pulmonaire. L'insuffisance respiratoire ne cesse de s'amplifier, provoquant un sentiment d'étouffement toujours plus fréquent jusqu'à l'agonie, souvent lente et douloureuse.

L'espace de la maison qui était alors le domaine réservé des épouses doit évoluer pour répondre à cette nouvelle fonction. La maison aux pièces étroites devient un lieu d'enfermement dont elles ne peuvent s'échapper que pour de courtes périodes souvent consacrée aux courses. Ce témoignage poignant montre à la fois l'attachement d'un couple, mais aussi la solitude et la résignation qui pèsent conjointement sur ces fins de vie.

Le quotidien est aussi souvent rythmé par un autre combat que celui de la maladie elle-même : celui de la reconnaissance de la maladie qui conditionne leur pension de veuve. L'officialisation par les autorités médicales permet d'obtenir une rente complémentaire. Elle dépend d'une évaluation du taux de silicose , du pourcentage d'altération pulmonaire par la fibrose. Par étapes, après passage devant les médecins de la Sécurité sociale minière, ce pourcentage qui permet d'augmenter la pension est révisé mais il atteint rarement 100% au moment du décès. La silicose n'est pas forcément la cause directe du décès, or c'est cette indication qui fait foi devant les tribunaux.

Le taux admis par le médecin expert est souvent en deçà de la gravité de la maladie, mais il est coûteux et pénible d'entamer une procédure judiciaire. L'inégalité des pensions est l'un des principaux sujets de conversation et de conflit de cette société des veuves.

Sylvie Aprile

Transcription

Philippe Gougler
Casia, vous êtes l’épouse d’un ancien mineur ?
Casia Szpoper
Oui !
Philippe Gougler
Il est malade de la silicose….
Casia Szpoper
Oui ! oui!
Philippe Gougler
A combien de pourcent ?
Casia Szpoper
A 100 % depuis trois ans.
Philippe Gougler
Vous êtes à ses côtés en permanence ?
Casia Szpoper
En permanence, rien que quand je le mets au lit, pour faire sa sieste. Alors là, je vais faire vite mes courses, et puis il ne faut pas que je tarde.
Philippe Gougler
Pourquoi ?
Casia Szpoper
Parce qu’il n’est pas content.
Philippe Gougler
Comment ça s’est passé la nuit dernière ?
Casia Szpoper
Ah, cette nuit, c’était très mal, il s’étouffait, et puis on n’a pas dormi, je n’ai dormi que deux heures. Quand il tousse comme ça, ce n’est pas possible. Il faut lui faire un petit peu son inhalation, en plus, il faut lui donner un cachet, un peu de sirop. Ou alors, comme aujourd’hui, je lui ai fait un peu de miel avec du lait chaud.
Philippe Gougler
Et cette sensation d’étouffer, ça doit être très inquiétant.
Casia Szpoper
C’est très horrible, on pense qu’il va partir, qu’il va mourir.
(Musique)
Paul Szpoper
Cette nuit, j’ai fait de la musculation, j’avais des pectoraux, une poitrine de 108, et maintenant, j’ai des seins qui sont molles.
Casia Szpoper
Avec sa main qui est un peu raide, c’est difficile.
Paul Szpoper
Tu me fais quoi là écoute ? où c'est qu'elle est ma manche! Qu’est ce que je….
Casia Szpoper
Allez, voilà !
Philippe Gougler
Quand vous vous êtes mariés, vous aviez quel âge ?
Casia Szpoper
Dix-huit ans.
Philippe Gougler
Dix-huit ans, vous étiez toute jeune ?
Casia Szpoper
Toute jeune, mais je ne regrette pas, on avait quand même été toujours heureux alors.
Paul Szpoper
Quand je me suis marié, à vingt-deux ans, les gens me disaient que j’avais dix-huit ans. Ils me trouvaient jeune, je paraissais jeune, quoi.
Casia Szpoper
Allez !
(Bruit)
Philippe Gougler
Qu’est ce qui vous avait plu chez lui ?
Casia Szpoper
Ben tout, le physique.
Philippe Gougler
Ah, vous le trouviez beau mec ?
Casia Szpoper
Oui !
Philippe Gougler
Et donc, après toutes ces années de mariage, on voit encore dans vos yeux, il y a de l’amour dans vos yeux, il y a quelque chose.
Casia Szpoper
Oui, ça se peut parce que...on s’aime bien, c’est vrai. On s’aime bien et puis on est fait l’un pour l’autre.
Philippe Gougler
Vous pensiez quand vous l’avez épousé qu’il y aurait un passage dans la vie, comme ça où l’accompagner serait si difficile ?
Casia Szpoper
Non, on ne pense pas, je n’ai pas pensé à ça. Moi quand je me suis mariée, je disais, mon Dieu, jeune comme ça, est-ce que je vais savoir à faire à dîner ? Non, je ne sais pas, ce n’est pas comme maintenant, hein.
(Musique)
Philippe Gougler
Alors, est-ce qu’elle s’occupe bien de vous, votre femme ?
Paul Szpoper
Le docteur a dit, vous avez de la chance, vous êtes gâté. Les infirmières, elles n’auraient pas fait ce qu’elle fait.
Philippe Gougler
C’est vrai ?
Paul Szpoper
Non, non
Philippe Gougler
Et qu’est ce qu’elle fait de mieux, alors ? Qu’est-ce qu’elle sait bien faire ?
Paul Szpoper
Elle fait tout, elle sait tout faire, elle fait de la couture, elle me coupe les cheveux.
Philippe Gougler
Vous lui coupez les cheveux ?
Casia Szpoper
Oui, je fais le jardin.
Paul Szpoper
Notre jardin, vous l’avez vu ?
Philippe Gougler
Il est super, votre jardin.
Paul Szpoper
Il faut voir quand il va fleurir.
Philippe Gougler
Oui.
Paul Szpoper
C’est incroyable !
Philippe Gougler
Elle vous bichonne ?
Paul Szpoper
Bichonne.
Casia Szpoper
Oui !
Paul Szpoper
J’ai toujours peur qu’elle prend le vélo, elle fait les courses, et elle fait attention de ne pas être écrasée ou bien avoir un accident. Si elle meurt, je ne sais pas, il faut que je parte dans une maison de retraite.
Philippe Gougler
Et ça, ça vous plairait ?
Paul Szpoper
Non !
Casia Szpoper
Ça monte, hein. Ce n’est rien, ça fait des muscles.
Philippe Gougler
Financièrement, au niveau de l’argent, comment ça se passe, quand on a un mari qui est victime de silicose ? Est-ce qu’au moins on peut vivre décemment ?
Casia Szpoper
Ah oui, mieux quand les enfants, ils étaient petits, parce que les mineurs, ils n’ont jamais gagné beaucoup, ça c’est vrai. La quinzaine, c’était dur, les derniers jours, c’était dur à vivre.
Philippe Gougler
Combien on touche quand on a un mari qui est atteint de la silicose ?
Casia Szpoper
Moi, je touche 13 800.
Philippe Gougler
Francs ?
Casia Szpoper
Oui.
Philippe Gougler
D’accord, ça c’est, c’est pour la silicose.
Paul Szpoper
Par mois, pour la silicose.
Philippe Gougler
En plus de la retraite ?
Casia Szpoper
Après, j’ai 8 100 ou 8 200, et puis bien sûr, s’il meurt de la silicose, j’aurai de la silicose.
Philippe Gougler
Vous continuerez à toucher la….
Casia Szpoper
La moitié de la silicose s’il meurt de la silicose. Mais s’il meurt, par exemple, il y a une maladie qui vient entre deux, ben c’est fini, je n’ai pas de silicose.
Philippe Gougler
Ah bon ?
Casia Szpoper
Ah non.
Philippe Gougler
Et ça vous inquiète, ça ?
Casia Szpoper
Oui, oui parce que normalement, il est quand même silicosé à 100 %.
Philippe Gougler
Donc, vous dites qu’on pourrait dire qu’il va mourir d’autre chose ?
Casia Szpoper
Ah, on ne sait jamais, oui.
Philippe Gougler
Et comment vous réagiriez dans ce cas-là ?
Casia Szpoper
Ben, comme certaines femmes qui ont eu la même chose hein !
Philippe Gougler
C'est-à-dire ?
Casia Szpoper
Il y a eu beaucoup de femmes leurs maris, ils avaient 100 % ; et puis, ils sont morts d’autre chose, cardiaque ou quelque chose, et ben elles n’ont pas eu de silicose hein!
Paul Szpoper
Mon beau-frère, il va pleurer si tu vas à la ville. Il m’a fait déjà peur d’avance, et c’est vrai, j’ai pleuré.
Philippe Gougler
Vous avez pleuré le premier jour où vous y êtes allé ?
Paul Szpoper
Pendant le premier jour, mais quand j’ai eu fort mal pour travailler quoi. Et puis, ce n’est pas possible, j’étais tellement fatigué que j’arrivais même plus à soulever mes bras.
Casia Szpoper
Si j’avais su, j’ai vu un film, il n’y a pas longtemps, il y a peut-être deux ans, sur la mine. Et alors, ils ont fait voir tout ce que j’ai vu. Alors je dis, ce n’est pas vrai, c’est pour les bagnards. Ce n’est pas possible que j’ai laissé mon mari travailler là-bas. Mais de toute façon, c’était à lui à penser mais pas à moi.
Philippe Gougler
Quand vous voyez votre état, maintenant, aujourd’hui, est-ce que vous êtes en colère contre la mine ?
Paul Szpoper
Je la déteste.
Casia Szpoper
J’invoque toujours Dieu, et puis alors c’est vraiment Lui qui m’aide dans ma foi. Et c’est vrai, comme aujourd’hui, il n’a pas dormi de la nuit, je me suis dit, allez, demain ça ira mieux avec l’aide de Dieu.
Philippe Gougler
Est-ce que vous avez peur de ne pas avoir la force de vous occuper de lui ?
Casia Szpoper
Oh, bien souvent. Bien souvent, je me dis, pourvu que…, mais encore une fois avec l’aide de Dieu, Il ne va pas me laisser, j’aurai le courage.
Philippe Gougler
Combien de temps vous pouvez tenir comme ça ?
Casia Szpoper
Ah, je ne sais pas, ça, ça dépend, Dieu seul le sait, hein, c’est vrai !
Philippe Gougler
Vous irez jusqu’au bout ?
Casia Szpoper
Oui !
Philippe Gougler
Merci beaucoup, et puis je vous souhaite encore plein de courages et surtout de longues longues années d’amour. A bientôt, merci à vous également de nous avoir suivis, à bientôt !
(Musique)