Inauguration de la Pyramide du Louvre

04 mars 1988
19m 35s
Réf. 00155

Notice

Résumé :
En direct du chantier de la pyramide du Louvre, William Leymergie et Patricia Charnelet reçoivent le président François Mitterrand qui vient de l'inaugurer.
Date de diffusion :
04 mars 1988
Source :
Antenne 2 (Collection: Midi 2 )

Éclairage

Le 4 mars 1988, François Mitterrand inaugure la pyramide du Louvre, symbole du projet du Grand Louvre. Lancé en 1981, sur proposition de Jack Lang, ce projet consiste à améliorer les circulations des visiteurs dans le musée et à récupérer l'aile Richelieu occupée par le Ministère des Finances. Ce projet fait partie des grands travaux engagés au cours du premier septennat : la Géode et le parc de la Villette, l'Opéra Bastille, le ministère des Finances à Bercy, l'arche de la Défense. Cependant, certains projets mis en place par François Mitterrand étaient déjà décidés par son prédécesseur Valéry Giscard d'Estaing (La Villette, Orsay, Institut du Monde Arabe).

Selon François Mitterrand, pour le projet du Grand Louvre, "il fallait adapter les temps modernes aux monuments anciens". En effet, la circulation des visiteurs à l'intérieur des espaces du musée et à l'extérieur du bâtiment doit être complètement repensée afin d'accueillir des touristes toujours plus nombreux. En 1983, après une présélection d'Émile Biasini, François Mitterrand opte pour le projet de l'architecte sino-américain Ieoh Ming Pei. Le projet de Pei a séduit le président pour plusieurs raisons : la simplicité des formes architecturales (pyramide), la modernité des matériaux (verre et acier) et l'ingéniosité du nouvel accès par la place Napoléon qui permet de desservir de manière centrale tous les espaces du musée. Dans la presse, le projet déchaîne les passions pendant plusieurs mois.

Lors de l'interview, François Mitterrand se dit très fier et très exalté à l'idée de contribuer à la réorganisation d'un lieu aussi important que le Louvre. Il explique que le Louvre était le lieu où le royaume de France s'est créé sous la houlette du roi Philippe Auguste. "Je suis de ceux qui croient profondément (...) qu'une politique culturelle est à la base de toute autre politique, qu'il faut que les Français se retrouvent dans leur histoire, dans leur art, leur passé, pour qu'ils sachent mieux avoir l'ambition de leur avenir".

Les journalistes l'interrogent alors sur les coûts des travaux. François Mitterrand répond que les travaux permettent de créer de l'emploi dans des secteurs en déprises (métiers d'arts) et qu'ils vont permettre d'accueillir des touristes toujours plus nombreux. Il reconnaît des retards dans la livraison dus à la cohabitation : le Ministre des Finances Édouard Balladur semble retarder au maximum le moment du déménagement dans le nouveau ministère de Bercy.

Mitterrand revient ensuite sur l'ensemble de son action dans le domaine de la culture et du patrimoine. Il explique que les crédits du patrimoine ont augmenté et qu'il a favorisé la restauration des cathédrales d'Amiens, de Reims, de Bourges, de Bordeaux et de Strasbourg. Il explique ensuite que plus de 1000 bibliothèques ont été créées et 100 musées de province ont été rénovés ou créés (Maison de la bande dessinée à Angoulême, Maison de la photo à Arles)

Enfin l'interview se conclut par une question sur la candidature ou non de François Mitterrand pour un second septennat. William Leymergie commence par lui demander s'il a terminé son travail. Mitterrand lui répond : "je n'ai pas fini mon travail, je vois où vous voulez en venir, par rapport à ce que nous voyons, puisque nous sommes encore sur un chantier". A un mois et demi seulement des élections présidentielles, François Mitterrand ne s'est toujours pas déclaré candidat. Mais, cette cérémonie d'inauguration de la pyramide du Louvre, qui n'est encore qu'un chantier, et qui n'ouvrira qu'en avril 1989, montre bien la posture de président candidat adoptée par François Mitterrand. Mais François Mitterrand se justifie et veut être président jusqu'au dernier moment : "je ne suis pas candidat, je veux garder mon autorité le plus longtemps possible". En conclusion, il affirme que sa décision est prise et qu'il l'annoncera au moment opportun.
Félix Paties

Transcription

William Leymergie
Retour au Louvre, le président de la République a donc inauguré ce matin la fameuse pyramide que vous apercevez derrière nous, alors certes l'édifice n'est pas complètement terminé, il ne sera ouvert au public, c'est-à-dire à vous quand vous passerez par Paris ou si vous habitez la région, que dans quelques mois, mais la structure de verre est bel et bien là, ces 200 tonnes qui sont au-dessus de nos têtes et qui constitueront, si vous voulez, le hall d'accueil de l'entrée unique du futur plus grand musée du monde.
Patricia Charnelet
Et en réalité, il ne s' agit là, vous allez le comprendre très vite que la partie visible de l'énorme chantier situé pour l'essentiel sous terre. Reportage Jean-Michel Mercurol.
Jean-Michel Mercurol
La réalisation du Grand Louvre, un projet cher à François Mitterrand, il l'a engagé dans les tout premiers mois de son septennat, la pyramide de verre aujourd'hui achevée, le chef de l'État vient tout naturellement l'inaugurer. A ses côtés, François Léotard mais aussi l'architecte Pei choisi personnellement par François Mitterrand pour ériger ce qui restera sans doute comme une oeuvre maîtresse des années 80.
(Silence)
Jean-Michel Mercurol
François Mitterrand a longuement admiré les perspectives, la transparence, la légèreté d'une structure qui pèse tout de même 95 tonnes. Sous la pyramide, qui constitue en fait le hall d'accueil du Grand Louvre, les espaces ouverts dans la cour Napoléon, à la fois carrefour pour les autres bâtiments du musée et équipements qui feront du Louvre un musée fonctionnel, le disputant en modernité à ses rivaux étrangers.
(Silence)
Jean-Michel Mercurol
François Mitterrand a parcouru ces espaces en saluant les ouvriers qui y ont travaillé et puis il a décoré de la Légion d' honneur l'architecte Pei.
(Silence)
Jean-Michel Mercurol
Monsieur Pei, un Chinois naturalisé américain et pour qui le Grand Louvre est le projet le plus important de sa vie.
(Silence)
William Leymergie
Voilà, nous nous retrouvons maintenant sous cette pyramide, merci Monsieur le Président d’avoir accepté notre invitation, et puis, nous gardons nos manteaux parce que c’est vrai qu’il ne fait pas très frais. Alors, cette première question, c’est, à propos de l’origine du projet, il y a eu une vive polémique, qui n'est pas complètement terminée d’ailleurs, on a employé des mots comme sacrilège, on avait dit à l’époque. Et est-ce que vous n’avez pas eu un, je dirais un petit vertige au moment du choix final, car cela vous engageait, nous aussi Français, pour des siècles ?
François Mitterrand
Sans aucun doute ! Je ne me suis pas décidé comme cela aisément, j’avais la conviction qu’il fallait que le Musée du Louvre, car il s’agit de ça, devînt un lieu où l’on aimerait aller, voir les oeuvres admirables qui s’y trouvent. Et il n’y avait pas moyen, l’accès, les commodités, la présentation des oeuvres, ça ne marchait pas, alors comment faire ? J’ai donc consulté des architectes qui ont étudié de multiples projets, et celui de Monsieur Pei m’est apparu comme le plus rationnel, le meilleur, et peut-être le plus beau.
William Leymergie
Oui mais c’est la décision, non, non je veux dire…
François Mitterrand
Oui difficile, je le reconnais, je le reconnais, par rapport à l’oeuvre du temps, des constructions passées à cet ensemble d’oeuvres maîtresses qui se trouvent au coeur de Paris, c’est un problème qui m’a donné beaucoup de soucis, et si je me suis décidé, c’est vraiment en conscience.
William Leymergie
Alors le….
Patricia Charnelet
Monsieur le Président, est-ce le projet culturel dont vous êtes le plus fier aujourd’hui ?
François Mitterrand
Oh, disons que j’ai une certaine prédilection, parce que ça vient de loin. Ça faisait déjà longtemps, avant d’être président de la République, que je me disais : ça va pas, cette cour Napoléon où nous sommes, ce square avec ses arbres lépreux, cet espèce de parking fou. La nuit, je pense qu’on devait hésiter à s’y promener, noir, tout ça, pour ce beau musée, à côté de ce beau musée, il fallait changer. Il fallait absolument adapter le temps moderne aux monuments anciens, voilà. Voilà ce que ça donne !
William Leymergie
Eh bien justement Monsieur le Président, quand vous avez dit oui à Monsieur Pei, vous aviez une idée de son projet, bien sûr, vous l’imaginiez, mais est-ce que ça correspond à ce que vous imaginiez ?
François Mitterrand
Oui, oui, oui, oui. Je dois dire que plusieurs grands architectes me paraissaient souhaitables, et finalement, si j’ai arrêté mon choix sur Pei, ce Chinois américain, c’est parce que j’avais vu à Washington et à Boston deux de ses oeuvres maîtresses, un musée en particulier. Et vraiment, c’était admirable !
William Leymergie
C’est ça, vous vous êtes dit : c’est l’homme de la situation.
François Mitterrand
Après une conversation, je me suis rendu compte qu’il était l’amoureux non seulement du Louvre, mais de l’histoire de la France, et que jamais il ne commettrait la faute, je dirais même le crime, de nuire à l’ensemble dans lequel nous sommes.
William Leymergie
Alors, il y a une tradition présidentielle, on peut dire ça, de laisser quelque chose à l’histoire ; je parle de Monsieur Pompidou, du Président Giscard d’Estaing, vous avec le Grand Louvre, la Tête Défense, l’Opéra Bastille. Alors, bien sûr, c’est pour la France, c’est pour la grandeur de la France, mais est-ce qu’il n’y a pas une part de prestige personnel ?
François Mitterrand
Non, vous pouvez dire ce que vous voulez, naturellement, et le penser. Mais je crois que seul un président de la République dispose du temps, sept ans, qui permettent…
William Leymergie
Au moins, sept ans au moins !
François Mitterrand
Qui permettent de décider, d’entreprendre et de mener à bien. Souvent, il faut plus de sept ans, mais quand le train est lancé, il ne peut pas s’arrêter.
Patricia Charnelet
Monsieur le Président, est-ce que vous aimeriez qu’on parle du style Mitterrand, je veux dire, à travers les choix culturels que vous avez faits, on peut dégager quelques grandes lignes, vous aimez les très, très beaux, les choses très épurées. Est-ce qu’on peut parler de vos styles qu’on pourrait opposer, certains journaux l’ont fait ce matin, à votre personnalité qu’on dit plus cachée, moins transparente, par exemple, que cette pyramide. Oui.
François Mitterrand
Si on disait qu’il y a un style Mitterrand, j’en serais flatté, je l’avoue. Mais il n’y en a pas, car l’ensemble des grands projets relève du choix de jurys internationaux ou nationaux. Et si, en effet, j’ai pris part à la décision, et même si j’ai pris la décision finale dans chaque cas, c’est aussi parce que j’avais un certain goût pour les formes géométriques pures. Remarquez que ce que je dis là n’est déjà pas vrai de l’Opéra Bastille, mais il n’y avait pas de projet en concurrence qui réponde à mes définitions. En revanche, voyez ce qui se passe avec la Géode à la Villette, dont je ne suis pas d’ailleurs l’auteur, voyez ce qui se passe ici, voyez l’arche de la future installation de la Défense, c’est-à-dire, il y aura un arc de triomphe de plus dans la grande perspective qui va jusqu’à la terrasse de Saint-Germain. Cela correspond, je crois, que les formes pures et simples me plaisent plus que les autres.
William Leymergie
Monsieur le Président, vous vous êtes sûrement interrogé plus que quiconque sur le pouvoir, et en voyant cela ce matin avec Patricia et d’autres personnes qui ont visité, on s’est dit : Mais est-ce que ce n’est pas là la manifestation la plus symbolique du pouvoir ? Se dire, ici dans cette cour, dont vous parliez tout à l’heure, le soir pas, pas très tranquille, eh bien moi, je décide de faire quelque chose. Est-ce n’est pas ça le pouvoir ?
François Mitterrand
C’est une forme déterminante du pouvoir. Et pour avoir, dès mon adolescence, puisque j’étais étudiant à Paris, pour avoir beaucoup circulé, je me suis beaucoup promené dans Paris, dans ma tête, c’est vrai, à tout moment je rebâtissais…
William Leymergie
Ah oui, déjà ?
François Mitterrand
Oui, oui déjà, bon, je ne pensais pas que j’en aurais l’occasion.
William Leymergie
Oui.
François Mitterrand
Et quand j’en ai eu l’occasion, je ne l’ai pas ratée !
William Leymergie
Oui, parce que dans les livres d’histoire, qu’est-ce qu’on va retenir ? Est-ce qu’on va dire, je ne sais pas, il y a eu telle loi sous le septennat ou quatorze années du Président Mitterrand, parce qu’une loi, ça peut se défaire ? Mais tandis que là, on dira….
François Mitterrand
Quatorze ans, vous allez vite !
Patricia Charnelet
Pourquoi quatorze ?
François Mitterrand
Bon, continuons.
William Leymergie
Non, mais une loi, ça peut se défaire, tandis que ça, ça ne bouge pas !
François Mitterrand
Oui, oui.
William Leymergie
Est-ce que vous travaillez pour les livres d’histoire en faisant cela, vous pensez à ça ?
François Mitterrand
Mais Monsieur Leymergie, il y a autre chose, il y a le fait que nous sommes précisément au coeur de l’histoire de France. Puisque c’est à côté, tout à côté que se trouve la tour de Philippe Auguste, la tour du Louvre. C’est là que, on peut le dire, le royaume s’est fait, c’est là que la France s’est faite. C’était autour de ce bâtiment-là, cette tour du Louvre que Philippe Auguste, avec le sceau royal, a pu marquer qu’il y avait l’unité du royaume, et tous les ordres partaient de là. Bien, je pense que c’est assez exaltant de penser que par la suite le palais des Tuileries, aujourd’hui détruit, et qui a marqué à partir de Catherine de Médicis toute une nouvelle série de constructions admirables, et puis tout ce qui a fait finalement l’endroit où nous sommes ; c’est en effet très exaltant pour l’esprit que d’y ajouter, même avec modestie, parce qu’après tout je ne prétends pas être celui qui décide de ce qu’est l’esthétique en France, mais d’y avoir contribué.
William Leymergie
Bien, alors Monsieur le Président, nous allons maintenant sortir du cadre du Grand Louvre, nous allons regarder ensemble, si vous le souhaitez, pour nous intéresser, je disais tout à l’heure, au septennat culturel. Alors le septennat culturel du Président Mitterrand avec un certain nombre de grands projets, dont certains, comme celui-ci, sont bien avancés.
Patricia Charnelet
Alors, parmi ces exemples, des réalisations à la Villette, le Ministère des Finances à Bercy, l’Opéra de la Bastille, la Tête Défense dont nous avons parlé, voici avec Jean Peyzieu la présentation de ces grands travaux.
Jean Peyzieu
Cette vue prestigieuse sur Paris, les visiteurs pourront la découvrir à partir du 14 juillet 89 du toit de l’Arche de la Défense. La plus grande partie des bureaux de l’Arche ont été vendus au privé, mais c’est dans les 35 étages de la paroi sud que Pierre Méhaignerie, ici, installera des 2000 fonctionnaires du Ministère de l’Équipement. Le 14 juillet 89, c’est aussi la date de l’ouverture de l’Opéra de la Bastille dont les travaux ont retrouvé leur rythme normal après le compromis passé entre le ministre de l’Économie et celui de la Culture. Choix de la transparence sur le quartier de la Bastille de la part de l’architecte Ott, les visiteurs apprécieront sans doute la qualité des espaces, ici les galeries et les foyers et les espaces aussi de la grande salle de 2700 places. L’inconnue demeure par contre pour la deuxième salle ici, que le Gouvernement souhaite vendre aux privés, comme les ateliers de décor. Les retards, constructions et attributions auront entraîné en tout cas quelques 200 millions de dépassement. Surcoût aussi, du même ordre à Bercy, où se poursuivent les travaux de construction du futur ministère des Finances. Plus de 5000 fonctionnaires doivent s’y installer, 1300, pour l’instant, occupent les lieux, la direction générale des impôts. Mobilier adapté, bureaux ultramodernes et surtout informatisés, c’est la vitrine attendue de la technologie française. Notez aussi ce système de chariot suspendu pour la transmission des dossiers. Les fonctionnaires, encore au Louvre, en tout cas, aimeraient bien en profiter.
Jeanine Arguedo
Nous, au syndicat, nous pensons, enfin, d’après les réponses, nous avons des gens, des enquêtes que nous avons faites, que la majorité des gens ont hâte que le déménagement se fasse et en totalité le plus rapidement possible. Et qu’il n’y ait plus de, ces caprices, finalement, qui font que c’est constamment retardé, que les gens sont dans l’incertitude, qui, bon, qu’ils sont angoissés, finalement.
Jean Peyzieu
Pour l’heure, Édouard Balladur se maintient au Louvre. De l’identité du prochain ministre des Finances, en tout cas, dépend l’occupation plus ou moins rapide de Bercy et partant la libération du Palais du Louvre.
William Leymergie
Alors, le projet Grand Louvre comprend l’agrandissement, mais aussi la rénovation de certaines parties de l’actuel musée. Or, cela suppose que le Ministère des Finances qui est là tout près veuille bien se déplacer. Mais alors, est-ce que vous considérez, Monsieur le Président, que pour autant, le chantier est en panne ?
François Mitterrand
Il a été retardé et il a coûté plus cher, mais ce projet est inéluctable, désormais, au point où nous en sommes, et je m’en réjouis.
William Leymergie
C’est la marche de l’histoire, on ne peut pas aller contre ?
François Mitterrand
On ne peut pas aller contre ! Et quand des millions de visiteurs seront venus par là, cela s’imposera de telle sorte que les petits embarras administratifs s’évanouiront.
Patricia Charnelet
Monsieur le Président, tout de même, est-ce qu’il ne faut pas accélérer les choses ? Je veux dire, est-ce que vous ne pensez pas que le futur président de la République devrait accélérer le départ du ministère des Finances qui occupe une aile du Louvre ?
François Mitterrand
Je le pense, car l’oeuvre ne sera complète qu’après cela, et l’on peut déjà imaginer ce que seront les cours de l’actuel ministère réservées à des très belles oeuvres de sculptures avec le débouché sur le Palais Royal au travers d’une admirable porte, qui est la porte Richelieu.
Patricia Charnelet
Donc, si vous étiez président de la République, vous accélériez les choses ?
François Mitterrand
Sans aucun doute !
William Leymergie
Ou vous en parleriez à votre successeur ?
Patricia Charnelet
Dont acte.
François Mitterrand
Bien entendu, je ferai la commission, en tout cas.
William Leymergie
Monsieur le Président, une question qui va vous paraître naïve mais certains se demandent si ça coûte cher et si c’était vraiment prioritaire de faire tout cela ?
François Mitterrand
Ça coûte, non pas comme d’autres le disent 20 milliards, mais une quinzaine de milliards, répartis sur sept à dix ans. Donc, il faut découper cela en tranche pour l’introduire dans le budget. Il faut savoir aussi, ce qu’on ignore trop souvent, c’est que j’ai hérité de plusieurs de ces projets. Parmi les plus importants : la Villette, Orsay, et l’Institut du monde arabe, sont des projets conçus par Monsieur Giscard d’Estaing, que j’ai réalisés mais qui étaient déjà décidés dans leur principe et même dans leur future unité architecturale. Cela représente environ déjà 40% de ces 15 milliards. J’y ai ajouté d’autres grands projets, vous les avez cités tout à l’heure, on va sélectionner, si vous voulez, pour la rapidité du discours actuellement, l’Arche de la Défense,
William Leymergie
Oui.
François Mitterrand
L’Opéra Bastille, et le Grand Louvre. Bon. Je ne pense pas que ce soit trop cher par rapport au gain qu’en tirera la France, et cela a représenté aussi des milliers d’emplois dans des métiers en péril qui sont les métiers d’art. Je crois que finalement, c’est un grand bénéfice, et j’ajoute que cela devient rentable en même temps ! Savez-vous qu’à Orsay, il y a chaque jour environ une moyenne de 13 000 visiteurs, et combien viendront ici ?
Patricia Charnelet
Alors, Monsieur Mitterrand, et les vieilles pierres, pardon de qualifier ainsi le patrimoine de la France,
François Mitterrand
Oui.
Patricia Charnelet
Mais certains disent, au fond, le Président, il n’aime que créer des choses, faire des grands travaux, il a un peu délaissé les églises, les cathédrales, etc.
François Mitterrand
Oui ! C’est, ça a été même dit à la tribune de l’Assemblée Nationale.
William Leymergie
Vos adversaires, tout à fait, oui.
Patricia Charnelet
Exact, oui.
François Mitterrand
Mais c’est même dit souvent sur bien des tribunes chaque soir actuellement, mais ce n’est pas vrai ! Les crédits attribués au patrimoine sont passés sur la législature précédente de plus de 500 millions à plus de 800 millions. Mais d’autre part, j’ai, en effet, avec le ministre de la Culture, Monsieur Jack Lang, j’ai entrepris la restauration du patrimoine au travers de la Cathédrale d’Amiens, de la Cathédrale de Reims, de la Cathédrale de Bourges, de la Cathédrale de Bordeaux, de la Cathédrale de Strasbourg, vous vous souvenez sans doute de cette liesse populaire à Strasbourg quand, enfin, on a pu achever ce qui avait été entrepris dans cette belle cathédrale. Bon, ce ne sont que quelques exemples. On a créé quelques 1000 bibliothèques, on a rénové plus de 100 musées de province, bon, j’arrête là mon récit. Et on a aussi engagé des travaux nouveaux, vous savez bien l'immeuble de la bande dessinée au centre d’Angoulême, de la photographie à Arles, de la musique à Lyon, les Archives du travail à Roubaix, j’en passe, je ne veux pas être trop long dans mon énumération, je dis simplement que c’est une critique injuste. Assurément, en raison de la modicité des crédits, bien que nous ayons, avec Jack Lang, doublé les sommes, les crédits des affaires culturelles.
Patricia Charnelet
Le budget de la culture ?
François Mitterrand
Évidemment, on ne peut pas tout faire à la fois. Par exemple, je me suis longtemps plaint auprès du Ministre et auprès des Premiers ministres que ce que l’on n’ait pas fait ce qu’il fallait faire pour le Museum d’Histoire Naturelle. Finalement, ça a été entrepris, mais j’ai dû me battre pendant au moins trois ans !
Patricia Charnelet
Mais comment ça se passe dans ces cas-là ? Quand vous rencontrez le Premier ministre, vous lui dites, alors que faites vous ?
François Mitterrand
Il faut choisir, il faut choisir. Non, je parle du Premier ministre d’avant, d’avant 1986.
William Leymergie
Ah, avant 1986 !
Patricia Charnelet
D’accord, Monsieur Fabius ou Monsieur Mauroy, oui, d’accord.
François Mitterrand
Et la modernisation nécessaire de ce museum a commencé à cette époque. Mais il m’a fallu aussi insister beaucoup pour convaincre les prédécesseurs de Monsieur Chirac. Voilà ce que je peux dire, on ne peut pas tout faire à la fois ! Alors forcément, quand on veut critiquer, on peut toujours relever que ceci n’a pas été fait, je le concède, qui ferait mieux, voilà le problème.
William Leymergie
Monsieur le Président, nous arrivons au terme de cet entretien, est-ce que deux trois petites questions qui dépassent un peu le cadre de ce Grand Louvre,
François Mitterrand
Oui.
William Leymergie
Est-ce que vous avez l’impression, en lisant les sondages ou autres, que les Français sont un peu agacés ou que vous jouez avec leurs nerfs, parce que vous ne vous déclarez pas suffisamment tôt à leur avis ?
François Mitterrand
Ah bon, ça c’est une autre affaire !
William Leymergie
Oui, on dépasse, on sort du cadre.
François Mitterrand
Permettez-moi de vous dire quand même un mot sur la conversation principale que nous venons de tenir, un mot simplement.
William Leymergie
Oui.
François Mitterrand
Pour dire que je suis de ceux qui croient profondément, et ceux qui le croient se retrouvent dans tous les camps, hein, dans toutes les formations politiques, mais je suis de ceux qui croient qu’une politique culturelle est à la base de toute autre politique. Qu’il faut que les Français se retrouvent dans leur histoire, dans leur art, dans leur passé pour qu’ils sachent mieux avoir l’ambition de leur avenir.
William Leymergie
Oui.
François Mitterrand
C’est pourquoi j’ai beaucoup tenu à ce que la culture apparaisse comme une des actions principales des gouvernements auxquels j’ai pu adresser, disons, des conseils.
William Leymergie
Et vous avez fini votre travail, Monsieur le Président ?
François Mitterrand
Et j’ai été dedans ! Mais…
William Leymergie
De ce point de vue-là, je veux dire.
François Mitterrand
Je n’ai pas fini mon travail, je vois où vous voulez en venir, par rapport à ce que nous voyons puisque nous sommes encore sur un chantier. Ce que je peux dire, c’est que spécialement par rapport au Grand Louvre, le relais a été bien pris par l’actuel ministre de la Culture.
William Leymergie
Oui, oui.
François Mitterrand
Il a été pris, il faut reconnaître, et de ce fait, Monsieur Léotard a permis que les retards qui s’annonçaient soient réduits. Il faut admettre ce qui est, la continuité dans ce domaine a joué, alors vous voulez en venir à votre question, que je crois avoir compris !
William Leymergie
Oui, oui, je suppose que l’avez devinée, même comprise, oui, oui !
François Mitterrand
Bon ben, je ne sais pas si les Français s’impatientent. Ce que je pense, c’est qu’ils comprennent très bien que je fasse mon métier de Président, c’est pourquoi ils m’ont élu il y a bientôt sept ans, que je le fasse jusqu’à la date raisonnable qui doit normalement me conduire à la fin de mon mandat. Alors, c’est sur ce terme de raisonnable,
William Leymergie
Voilà !
François Mitterrand
Que l’appréciation peut varier, mais je fais mon métier de Président, j’étais, encore hier à Bruxelles,
William Leymergie
À Bruxelles, oui.
François Mitterrand
Pour l’OTAN, quelques temps auparavant, enfin…. Je vais et je viens pour des choses qui concernent la vie nationale ! Et je répèterais ce que je répète partout, si je ne le fais pas, est-ce que l’État se trouverait en déshérence ?
William Leymergie
Il y a le Premier ministre !
François Mitterrand
Non, le Premier Ministre fait du travail, mais il est quand même très pris par sa situation de candidat, et….
William Leymergie
Ah, quand on est candidat, on ne peut pas tout faire, c’est ça que vous voulez dire ?
François Mitterrand
Je pense que c’est difficile….
Patricia Charnelet
Mais Monsieur le Président, si….
William Leymergie
Attends !
François Mitterrand
Je pense que c’est difficile quand on est candidat ! Vous savez, je suis, je suis habitué….
Patricia Charnelet
Si personne n’était candidat, il n’y aurait pas d’élection !
François Mitterrand
Il a parfaitement le droit de l’être,
Patricia Charnelet
Bien sûr !
François Mitterrand
Mais je ne le critique pas du tout pour cela, je dis simplement que mon rôle, moi, est différent ! Et comme je l’ai souvent dit, j’ai peur que les téléspectateurs ne se lassent de cela.
William Leymergie
Oui.
François Mitterrand
Je ne suis pas candidat, je veux garder mon autorité le plus longtemps possible, notamment sur la scène internationale. Je le suis, on ne va pas, quand même, quatre mois à l’avance, trois mois à l’avance, même deux mois à l’avance.
William Leymergie
Un mois, un mois là, on arrive à bientôt, on arrive….
François Mitterrand
On arrive, on arrive peu à peu, c’est pourquoi cette nouvelle que vous désirez connaître, vous n’attendrez pas très longtemps avant de l’apprendre.
Patricia Charnelet
Votre décision est-elle prise ?
William Leymergie
Mais vous, vous la connaissez cette nouvelle ?
François Mitterrand
Ma décision est prise, oui, naturellement.
Patricia Charnelet
Votre décision est prise, votre choix est fait.
François Mitterrand
Naturellement !
Patricia Charnelet
Monsieur le Président, votre frère, Robert, nous a confié récemment, il était notre invité parce qu’il vient d’écrire un livre sur votre famille, que ce sujet, précisément, était abordé au cours de réunions familiales à l’Élysée, qu’il vous disait, pardon mais c’est son expression, il faut y aller François ! Voilà, il vous parle comme ça. Et puis, il n’est pas le seul dans votre famille, alors je sais que vous avez l’esprit de famille,
François Mitterrand
Oui, mais oui.
William Leymergie
Ah oui !
Patricia Charnelet
Est-ce que ce genre de réflexions peuvent vous, oui, vous influencer ?
William Leymergie
Influencer ?
François Mitterrand
Oui, mais l’ensemble de mes frères et soeurs et de leurs parents et tout ça, c’est un, mais une représentation très fidèle de ce qu’est la société française, hein, bon ! Alors, ils me disent la même chose !
Patricia Charnelet
Oui.
William Leymergie
Il n’y a pas beaucoup de gens de Droite, Monsieur le Président, si, dans votre famille ?
François Mitterrand
Il y en a, il y a de tout, il y a de tout ! Ce que, vous pouvez revenir à la politique, toujours. Eh bien, je leur réponds comme à vous.
William Leymergie
La même chose ?
François Mitterrand
Donc, ils n’en savent pas plus.
William Leymergie
Très bien, merci beaucoup Monsieur le Président, peut-on prendre rendez-vous ?
François Mitterrand
Oui ?
William Leymergie
Alors là, que vous soyez ou non candidat, que vous soyez ou non candidat à la présidence de la République, pour le journal de 13 heures sur Antenne 2 qui suivra l’annonce de votre décision.
François Mitterrand
Ça, je ne peux pas vous le promettre.
William Leymergie
Non, non pas pour prendre un rendez-vous ?
François Mitterrand
Non, je ne peux pas vous le promettre.
Patricia Charnelet
Mais nous vous invitons.
François Mitterrand
Je vous remercie en tout cas de votre gentillesse, mais….
William Leymergie
Nous vous invitons, voilà, le lendemain.
François Mitterrand
Je ne peux pas vous dire, de toute manière, que c’est, quelle que soit la décision ?
William Leymergie
Ah oui, oui, bien sûr !
François Mitterrand
Car je ne, je n’offrirai pas de faille dans mon raisonnement.
William Leymergie
Mais... c’est ce que j’ai cru comprendre !
François Mitterrand
Donc, quelle que soit la décision, je viendrai en tout cas à Antenne 2, si vous le voulez, mais quant à vous garantir le jour et l’heure, non !
William Leymergie
Non ? D’accord, en tout cas, rendez-vous…
François Mitterrand
Ce serait imprudent !
William Leymergie
Bien, merci Monsieur le Président, j’espère que vous n’avez pas trop froid.
François Mitterrand
Ça va très bien !
Patricia Charnelet
Merci beaucoup !
William Leymergie
Merci beaucoup, nous allons continuer l’actualité maintenant.