L'exposition universelle à Paris pour 1989 annulée

05 juillet 1983
05m 01s
Réf. 00305

Notice

Résumé :
Le président de la République François Mitterrand décide d'abandonner le projet d'exposition universelle à Paris en 1989 pour le bicentenaire de la Révolution française.
Date de diffusion :
05 juillet 1983
Source :
Antenne 2 (Collection: JT 20H )

Éclairage

Le 24 septembre 1981, sur une idée de l'avionneur Marcel Dassault, François Mitterrand annonce la candidature de Paris pour l'organisation d'une exposition universelle sur le thème du Bicentenaire de la Révolution française.

Le 20 novembre 1981, François Mitterrand écrit à Robert Bordaz, le conseiller d'Etat qui a supervisé le nouveau musée Beaubourg, afin de lui confier la direction d'une mission d'étude et de préfiguration. Le président précise les bases sur lesquelles doivent être organisées l'exposition universelle de 1989 dont le thème central doit être le bicentenaire de la Révolution française : "(Elle) exaltera l'ambition de ces hommes sortie des profondeurs de la nation dont les paroles et les actes ont transformé le monde. Leur audace nous invite à en faire un temps fort de l'histoire de France et de l'humanité". Pour François Mitterrand, cette commémoration doit être une grande fête : "Aux visions d'apocalypse de la fin du deuxième millénaire qui affleurent parfois à nos consciences, elle doit opposer le spectacle inouï du savoir-faire des nations, de leurs capacités industrielles et techniques, et de la maîtrise de leur science et de leur culture". Cette exposition doit avoir lieu à Paris et doit absolument laisser une trace dans le paysage urbain : "l'exposition de 1889 nous laisse la tour Eiffel, celle de 1900 les Grand et Petit Palais, celle de 1937 le Trocadéro : celle de 1989 doit solliciter l'imagination architecturale, favoriser la création des artistes, des artisans, des ingénieurs et offrir ainsi à notre génération l'ambition de s'inscrire à son tour dans l'histoire". Ces réalisations monumentales au coeur de l'espace public sont l'incarnation même de l'esprit républicain qui a à coeur de représenter de manières sensible et allégorique les grands principes abstraits (Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, tome 1, Gallimard, 1986). Cependant, ce choix de Paris montre la persistance du centralisme français malgré les envies de décentralisation affichées par Robert Bordaz qui souhaite associer les grandes villes de France à l'événement (Aménagement et nature, n° 66, 1982).

Le projet d'exposition est alors lancé. De nombreuses personnalités sont sollicitées. Gilbert Trigano, fondateur du Club Med, réalise des études de rendement. De nombreux architectes internationaux (Antoine Grumbarch, Renzo Piano, Ionel Schein, Vittorio Gregotti ou encore Emile Aillaud) proposent des aménagements pour les sites de l'exposition qui s'étale d'Issy-les-Moulineaux aux friches de la SNCF dans le sud du XIIIe arrondissement. Le clou de l'exposition devait être une dalle géante enjambant les boulevards des maréchaux et le périphérique au sud-ouest, ainsi que "la place des libertés" englobant les deux rives nord et sud du fleuve entre les quais de Bercy et les quais de Tolbiac (Denis Fainsilber, "Quand la France torpillait son projet d'exposition universelle", Les Echos, 5 mars 2016). L'idée d'un musée permanent de la Révolution française refait surface. L'idée avait déjà échoué lors des précédentes célébrations de 1889 et de 1939 mais avait donné lieu à des réalisations secondaires : en 1889, le musée Carnavalet enrichit ses collections sur la période et en 1939, les mairies communistes de la "banlieue rouge" lancent un musée de l'Histoire devenu depuis Musée de l'Histoire vivante à Montreuil. Les industries sont également invitées à formuler des propositions capables de devenir le symbole du génie industriel français : Matra transport et la RATP développent alors un projet de mini-métro entièrement automatique, Aramis, qui doit résoudre le problème de la liaison entre les deux sites de l'exposition, quais de Javel et quais de Tolbiac-Bercy. Ce projet n'aboutit pas mais le philosophe Bruno Latour lui a consacré un ouvrage dont l'objectif est d'expliquer les mécanismes de l'innovation (Latour, Aramis ou l'amour des techniques, La Découverte, 1992).

En 1982, le Bureau International des Expositions (BIE) valide le projet français. Le 20 avril 1983, Pierre Mauroy présente en conseil des ministres un projet de loi relatif à l'exposition universelle de 1989. Cette loi doit permettre de créer un établissement public national qui regroupe l'Etat, la région Ile-de-France et la ville de Paris. Cependant, ce projet décidé au plus haut sommet de l'Etat n'a pas été réalisé en concertation avec les collectivités territoriales concernées, qui se trouvent être aux mains de l'un des leaders de l'opposition, le maire de Paris, Jacques Chirac (Pascal Ory, Une nation pour mémoire, Presse de Sciences Po, 1992). Le 2 juillet 1983, ce dernier refuse publiquement que Paris organise l'événement, compte tenu de son coût et des perturbations de toutes sortes qu'elle était supposée entraîner. Le 15 juillet, François Mitterrand, la mort dans l'âme, décide d'abandonner le projet tout entier (Robert Lion, "La ténacité du bâtisseur", La Lettre de l'institut François Mitterrand, 2006). Le président se montre ainsi respectueux de l'avis d'un élu local, tel que le souhaite l'esprit de la loi Defferre sur la décentralisation de 1982. Mais il est plus vraisemblable que les deux principaux partenaires de l'opération, leaders respectifs de la majorité et de l'opposition, avaient, à cette occasion, d'abord cherché à se retirer d'un projet au financement mal assuré, compte-tenu de la situation économique générale (Pascal Ory, op. cit.).

L'échec de l'exposition universelle de 1989 est retentissant. Cependant, tout n'est pas perdu et même, toute la matrice artistique et urbanistique développée pour l'événement est finalement réutilisée dans la politique des grands travaux (Opéra Bastille, Halle aux vins de Bercy, quartier de Tolbiac, ex-usines Citroën quai de Javel, parc de la Villette). Les innovations industrielles abandonnées, comme Aramis, sont également réutilisées pour les projets VAL et Météor (devenue la ligne 14). Quant au bicentenaire, il survit à la cohabitation (le ministre de la culture était François Léotard, aidé dans sa tâche par Philippe de Villiers) et est célébré en 1989 au cours de multiples cérémonies à Paris et en province.
Félix Paties

Transcription

(Musique)
Patrick Poivre d'Arvor
Mesdames, messieurs, bonsoir. Le Président de la République a donc renoncé à son projet d'exposition Universelle en 1989 à Paris. Dossier désormais classé, le Bureau International des Expositions a aussitôt été averti de ce désistement français. C'est pourtant un projet auquel tenait beaucoup le chef de l'Etat, qui voulait célébrer par la même occasion, le deuxième centenaire de la Révolution française. Alors s'il y a renoncé, c'est en fait parce que Gilbert Trigano, chargé par lui d'une mission d'étude et de réflexion, s'était heurté aux réticences du maire de Paris, Jacques Chirac, qui mettait en avant le coût financier du projet. Résultat, donc, peu avant treize heure dans notre journal Antenne 2 midi, l'annonce par Michel Vauzelle, porte-parole de l'Elysée, du renoncement français.
Michel Vauzelle
Malheureusement, ce projet je viens de vous le dire en lisant ce communiqué tout à l'heure, il s'est heurté à des positions disons changeantes de la part, mais finalement hostiles de la part des élus responsables de Paris. Et bien, dans une France décentralisée, et je réponds tout à fait maintenant à votre question, et décentralisée par la volonté du gouvernement actuel, euh... il est bien évident que ce que décide un maire dans une commune est important, et qu'en tout cas le gouvernement entend le respecter. C'est le cas pour Paris, où les responsables parisiens viennent de prendre leurs responsabilités.
Patrick Poivre d'Arvor
Alors on commençait à le percevoir dans les propos de Michel Vauzelle, l'affaire allait très vite devenir politique. Max Gallo, porte-parole lui du gouvernement, fit savoir qu'il n'y avait pas d'exposition possible avec des partenaires qui varient comme une.. gir... une girouette. Jack Lang, ministre de la Culture, fit de même en évoquant l'aspect manoeuvrier de l'attitude du maire de Paris. Georges Sarre, député socialiste et rapporteur à l'Assemblée nationale de ce projet, est allé encore un peu plus loin en parlant d'une victoire de l'opposition bête et méchante; et André Lajoinie, président du groupe communiste à l'Assemblée, mettait encore la barre un peu plus haut en disant que la Droite avait révélé dans cette affaire sa nature "factieuse et versaillaise". Bref, vous le voyez, une nouvelle bataille de Paris. Nous aurons certainement l'occasion de le constater à 23h15 dans le débat qu'animera Claude Sérillon et qui opposera le RPR Michel Giraud, président du Conseil Régional d'Ile-de-France, à Paul Quilès, président du groupe socialiste au conseil de Paris,  qui d'ores et déjà dénonce "la légèreté, et l'opportunisme", je le cite, de Jacques Chirac dont il stigmatise l'obstruction. Michel Giraud, que nous allons maintenant entendre, dans cette séquence que nous propose Jean Pézieux, qui revient sur les différents projets envisagés depuis plusieurs mois.
Jean Pézieux
C'est au-delà de la Tour Eiffel, témoin de l'expo de 1889, que devait s'étendre le site ouest de l'expo de 1989, jusqu'au boulevard périphérique sud. On prévoyait là les pavillons provisoires des nations étrangères, notamment sur les terrains des usines Citroën. A l'est de Paris, au sud du pont d'Austerlitz, le site principal, sur les terrains de la SNCF, les pavillons à thèmes qui devaient rester après 1989. De l'autre côté de la Seine, ici sur l'emplacement de la Halle aux vins, les pavillons provisoires au sud du nouveau Palais des sports. Mais l'exposition incluait aussi à l'ouest de Paris la Défense, avec son carrefour de la communication. A l'est, à la Villette, le musée des Sciences et des Techniques. Non loin de là, à la porte de Bagnolet, la salle de rock, et enfin à la Bastille le futur opéra populaire; tous ces projets doivent être achevés en 1988. Des bateaux-mouche et des canots-taxi sur la Seine étaient prévus comme ce fut le cas dans les expositions passées pour relier les sites est et ouest. Autre mode de transport,  joignant les usines Citroën au quartier Tolbiac sur la voie désaffectée de la petite ceinture, le futur mini métro Aramis. Les élus de l'opposition, depuis plusieurs mois, ainsi que les écologistes, critiquaient ce programme, demandant par exemple l'abandon du site ouest. On lui reproche en particulier cette coulée de béton qui enjambe le périphérique et ampute l'héliport d'Issy. A l'est, les opposants auraient accepté des aménagements, moyennant par exemple que les constructions soient transformées toutes en logements après l'expo. En tout cas, tous se sont ligués contre un pont géant habité qui devait enjamber la Seine. Ce pont a été abandonné, mais ce geste n'a pas désarmé les autres critiques tournant toutes autour de la question "Qui paierait les travaux", chiffrés selon les uns ou les autres de 15 à 60 milliards. Des travaux nécessaires pour aider la circulation automobile, ainsi que pour construire quelques 10 000 chambres d'hôtel au moins supplémentaires. N'ayant pas obtenu selon eux de réponse, les élus de l'opposition ont proposé de déplacer l'Exposition sur un site bien relié à la capitale par une autoroute et le RER, Marne-la-Vallée. Cette proposition faite par Michel Giraud, président du Conseil Régional, a été reprise par le maire de Paris, Jacques Chirac. Avantage : plusieurs centaines d'hectares libres et des constructions à un moindre coût pouvant rester après l'Exposition.