Les employées de maison à Paris

30 avril 1962
08m 15s
Réf. 00371

Notice

Résumé :

L'absence de travail en Bretagne incite certaines jeunes filles à quitter leur région. A Paris, elles s'engagent en tant qu'employée de maison. Pour les guider dans leur nouvelle vie, La Maison de la Bretagne les accueille.

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Date de diffusion :
30 avril 1962
Source :

Éclairage

A la fin du XIXe siècle, une première vague d'émigration bretonne arrive sur Paris. La pression démographique exercée sur les campagnes bretonnes, à l'époque très catholique, est énorme. En effet en 1872 la population en Bretagne s'élève à 3 millions de personnes et la population rurale y représente au minimum 70 % dans les quatre départements, jusqu'à 91 % dans les Côtes-du-Nord. Ainsi face à l'exiguïté des exploitations agricoles qui ne peuvent nourrir toutes les bouches, il est nécessaire pour certains de se résoudre au départ pour trouver un emploi.

Cet exode coïncide avec les premiers travaux de désenclavement de la région et l'arrivée du train dans les années 1870. Ainsi de 1872 à 1891, on compte pas moins de 126 000 départs, et plus de 200 000 de 1891 à 1911. Une émigration rurale, plutôt qu'un véritable exode dont le mythe a pourtant longtemps perduré, se met alors en place. Une émigration temporaire tout d'abord vers le bassin parisien, où les bretons peuvent trouver des travaux saisonniers dans l'agriculture puisqu'ils sont réputés pour leur robustesse et leur faible coût de main d'œuvre, ou encore vers les chantiers de construction de Saint-Nazaire et du Havre.

Mais cette émigration temporaire, notamment vers la capitale, devient souvent définitive. D'après les estimations de l'abbé Cadic, un religieux originaire de Vannes, en 1905, 150 000 bretons habiteraient dans l'agglomération parisienne alors qu'ils n'étaient environ qu'une dizaine de milliers sous la Monarchie de Juillet. Cette émigration concerne fortement les femmes et particulièrement les jeunes filles encore un peu naïves et dures à la tâche, recherchées par les famille bourgeoises de la capitale. Un phénomène qui devient rapidement une image d'Épinal avec la création en 1905 du personnage de Bécassine dans le premier numéro de La semaine de Suzette. Ce personnage, né de l'imagination de Jacqueline Rivière suite à une bévue commise par la bonne bretonne de sa créatrice est dessinée par Joseph-Porphyre Pinchon. Quoique empreinte de nombreux clichés, cette image traduit néanmoins une réalité de l'époque. En effet au début du XXe siècle des milliers de jeunes filles montent à la capitale pour travailler en tant que "bonne à tout faire" dans les familles aisées parisiennes.

Dans ce document, cette émigration des jeunes bonnes bretonnes est traitée de façon très positive et n'aborde pas l'histoire difficile de ces jeunes filles, notamment à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Par exemple, en 1926, Geneviève de Blignières, une Bretonne montée à Paris pour se consacrer à des œuvres sociales, s'aperçoit que 30 à 40 % des détenues de la prison Saint-Lazare sont bretonnes. Aussi décide t-elle, suite à ce constat, de créer en 1933 une maison d'accueil dans la gare Montparnasse afin d'aider et d'orienter ces jeunes filles vers un emploi et éviter les risques de la pauvreté et de la prostitution. Une structure qui deviendra en 1960 le Centre Social Breton et qui existe toujours mais dont la mission a bien évidemment changé depuis la fin des années 1960 car il est aujourd'hui un foyer de jeunes travailleurs spécialement dédiées aux jeunes filles d'origine bretonne. Cette émigration des jeunes bretonnes se poursuit donc tout au long de la première moitié du XXe siècle et même au lendemain de la guerre, comme en témoigne ce document. Cependant l'émigration bretonne vers le bassin parisien et notamment la seconde vague importante dans les années 1950 et 1960 va progressivement se modifier. La capitale a toujours besoin de main d'œuvre mais plus qualifiée et plus diplômée. Les bretonnes qui arrivent à la gare Montparnasse ne sont plus automatiquement accueillies et orientées vers le métier d'employée de maison. Elles investissent de nouveaux emplois dans la fonction publique, à la SNCF, la Poste ou encore la RATP. Ces femmes joueront aussi un rôle dans la modernisation de la région lors de leur retour en Bretagne, où elles contribueront à propager le style de vie citadin.

Bibliographie :

Gwénaëlle Loaëc, "Au temps des bécassines", Bretons, mai 2008, n°32.

Nous n'étions pas des bécassines film documentaire de Thierry Compain, 2005, France 3 Ouest.

Soline Billon

Transcription

(Silence)
Journaliste
Il semble qu'actuellement, Paris n'exerce plus la même attraction qu'il y a quelques années sur les jeunes filles de province, et notamment sur celles de Bretagne, qui, hier, affluaient en grand nombre vers Paris, pour y constituer la majeure partie des employées de maison. Rendons-nous tout d'abord à la maison de la Bretagne à Paris, et voyons ce qu'il s'y passe.
(Silence)
Journaliste
Bonjour madame. J'aurais besoin d'une bonne.
Placeuse
Oui.
Journaliste
Je voudrais quelqu'un qui ait quand même de l'expérience et qui sache travailler tout au moins, parce que j'ai 3 enfants à lui faire garder.
Placeuse
Très bien. Vous habitez où Madame ?
Journaliste
Dans le 16ème.
Placeuse
Dans le 16ème. Vous la logez où ?
Journaliste
Indépendante, au 6ème, elle a une très belle chambre.
Placeuse
Quelles sont vos conditions ?
Journaliste
Ecoutez, les prix, je ne suis pas tellement au courant. Je donnerai ce qu'il faut. Quels sont les prix à peu près à l'heure actuelle ?
Placeuse
Vous savez, tout dépend de la façon dont la jeune fille travaille, mais enfin, maintenant on arrive rapidement à 35, c'est un prix moyen.
Journaliste
Oui, pour commencer tout au moins.
Placeuse
Oui le premier mois. C'est vrai, mais enfin certainement 35, c'est rapidement atteint. Vous allez me donner tous vos renseignements. Alors vous lui donnez une demi-journée ? Vous lui donnez son dimanche entier.
Journaliste
Oui.
Placeuse
Plus une demi-journée de congé par semaine. Vous passez vos vacances en Bretagne ?
Journaliste
Oui.
Placeuse
Alors, c'est déjà un bon point pour vous. Je vais prendre tous vos renseignements. Maintenant, écoutez, nous ne sommes pas un bureau de placement, et il y a aussi un service social breton auquel je vais vous envoyer qui peut vous aider, puisque ça n'est pas très facile.
Journaliste
Vous pensez que ce sera assez rapide ?
Placeuse
C'est très difficile, madame. Dans ce domaine-là, rien n'est mathématique. Il peut en arriver une aujourd'hui, comme dans 8 jours.
(Silence)
Placeuse
Allô ? Oui, madame? Bonjour, madame? Oui? Vous habitez où, madame ? Vous recherchez une petite... Dans le 7ème. Et c'est une maison bourgeoise, une maison de commerce ? Oui, vous voulez une petite bonne débutante ou bien... Je vous signale tout de suite, madame, qu'il y a très peu de jeunes filles en ce moment arrivées à Paris débutantes. Et vous tenez absolument à ce qu'elle soit débutante ? Vous la logez où ? Bon, très bien. Quels gages donnez-vous, madame ? Oh ! Madame, non, alors là vraiment... Vous voyez, j'allais vous dire de passer à mes bureaux pour donner des renseignements, mais 15 000 francs par mois, non, absolument pas ! Nos jeunes filles en Bretagne, débutantes, les gagnent très largement aussi. Elle a raison, je ne vois pourquoi elles viendraient à Paris. Non, vraiment madame. Eh bien écoutez, un minimum au moins de 25 000 le premier mois, et elles augmentent très rapidement après dès qu'elles sont mises au courant, mais à 15 000, non, certainement pas. Alors je regrette, madame, mais, je vous demanderai de ne pas passer à la Maison de la Bretagne dans de telles conditions. Au revoir, madame. Ah, quelle audace celle-là !
(Silence)
Placeuse
Bonjour mademoiselle. Je vois que vous arrivez avec votre valise. Vous arrivez de Bretagne ?
Jeune fille
Oui, madame, j'arrive de Rosporden.
Placeuse
De Rosporden. Et alors ?
Jeune fille
Je suis sans travail.
Placeuse
Vous êtes sans travail. Il n'y a plus de travail là-bas ? Vous travailliez où là-bas ?
Jeune fille
Dans une usine de conserve.
Placeuse
Dans une usine de conserve. C'est fermé maintenant. Eh oui, bien sûr, c'est le problème. Et alors, vous n'avez pas de famille à Paris ?
Jeune fille
Personne.
Placeuse
Personne, vous voulez être logée alors ?
Jeune fille
Oui madame.
Placeuse
Employée dans une maison bourgeoise ou dans un commerce ?
Jeune fille
J'aimerais bien dans un commerce.
Placeuse
Oui, vous avez peut-être raison. Vous savez bien calculer, vous préférez dans un commerce. Parce que quelques fois on travaille dans l'appartement et puis on aide un petit peu de temps en temps dans la boutique, c'est intéressant.
Jeune fille
Oui.
Placeuse
Eh bien, on va vous chercher ça, mon petit.
(Silence)
Journaliste
Maintenant, nous voici au coeur de la Bretagne. Nous avons interrogé quelques jeunes filles.
(Silence)
Journaliste
Mademoiselle, vous êtes serveuse dans un restaurant de Paimpol. Est-ce que vous vous plaisez ici ?
Jeune fille 2
Oui, beaucoup.
Journaliste
Vous êtes actuellement serveuse à la cantine de l'école de Perret. Avez-vous l'intention d'y rester ?
Jeune fille 3
Non.
Journaliste
Vous voulez aller à Paris certainement ?
Jeune fille 3
Oui.
Journaliste
Mademoiselle, ne souhaiteriez-vous pas, comme beaucoup de jeunes filles de votre région, devenir employée de maison à Paris ?
Jeune fille 4
Non.
Journaliste
Vous n'avez cependant pas l'intention de venir à Paris ?
Jeune fille 2
Oh, je ne pense pas.
Jeune fille 4
Non, je préfère rester dans mon pays. Je suis chez moi, j'ai ma famille.
Journaliste
Pourquoi ?
Jeune fille 2
Parce que je n'aimerais pas m'éloigner trop de la maison, je préfère rester le plus près possible de mes parents.
Jeune fille 3
Ça change avec la campagne pour une jeune fille, c'est quand même plus agréable.
Journaliste
Vous ne croyez pas que vous seriez davantage payée à Paris ?
Jeune fille 2
Je ne sais pas.
Jeune fille 4
Si, je serais mieux payée.
Journaliste
Vous auriez peut-être plus de liberté ?
Jeune fille 2
Oh, je ne pense pas non.
Jeune fille 3
Je suis assez libre, ici.
Jeune fille 4
Par ici, il y a des distractions aussi.
Journaliste
Mademoiselle, vous travaillez avec vos parents, à Plounévez-Quintin.
Jeune fille 5
Oui, Madame.
Journaliste
Vous n'êtes pas attirée par la vie de Paris ?
Jeune fille 5
Non, pas du tout, je n'aime pas du tout cette vie mouvementée. Je préfère la vie tranquille ; par ici, où on peut sortir tranquillement ; où personne ne nous dit rien.
Journaliste
Mademoiselle, quel âge avez-vous ?
Jeune fille 6
18 ans.
Journaliste
Travaillez-vous ici ?
Jeune fille 6
Oui.
Journaliste
Que faites-vous ?
Jeune fille 6
Je soigne les bêtes.
Journaliste
Vous travaillez à la ferme alors, chez vos parents ?
Jeune fille 6
Oui.
Jeune fille 5
Vous vous sentez perdue à Paris ?
Placeuse
Oui, c'est certainement que je ne suis pas habituée.
Jeune fille 6
Oui, j'ai l'intention d'aller travailler à Paris comme employée de maison.
Journaliste
Vous ne pensez pas pourtant qu'en travaillant là-bas, vous seriez plus indépendante, vous gagneriez davantage ?
Jeune fille 5
Si, peut-être, mais je n'aime vraiment pas du tout cette vie. Je me sens perdue.
Jeune fille 6
Je pense que c'est mieux qu'à la campagne, c'est moins sale. On travaille que 8 heures par jour et ici on travaille beaucoup plus.
Journaliste
Madame, votre fille vient de nous dire qu'elle n'avait pas envie de travailler à Paris. Ne croyez-vous pas pourtant qu'il serait préférable pour elle de s'installer à Paris ?
Mère
Oh, non madame, elle est mieux chez nous. Et moi aussi j'ai travaillé à Paris, et je vous assure que je ne m'y plaisais pas.
Journaliste
Mais vous n'avez pas une famille, un employeur déjà ? Vous en cherchez un ?
Jeune fille 6
Oui, j'ai déjà trouvé.
Placeuse
Vous avez déjà trouvé. Et quand partez-vous ?
Jeune fille 6
A la Saint Michel.
Journaliste
C'est-à-dire ?
Jeune fille 6
Au mois de septembre.
Journaliste
Madame, votre sixième fille va partir à Paris. Etes-vous satisfaite ?
Mère 2
Oui, Madame.
Journaliste
Vous n'avez aucune inquiétude à son égard ?
Mère 2
Non.
Journaliste
Vous connaissez vous-même Paris ?
Mère 2
Oui, j'ai été 2 fois à Paris.
Journaliste
Et vous pensez, comme elle, que c'est une ville ou elle aura plus de liberté ?
Mère 2
Oui, en voyant les autres, quoi.