Le métier de serrurier

16 novembre 1971
05m 38s
Réf. 00747

Notice

Résumé :

Extrait du film Le serrurier de Lannion, de André Voisin, où Louis Mercier raconte ses années de jeunesse et de formation en tant que serrurier.

Type de média :
Date de diffusion :
16 novembre 1971
Source :
ORTF (Collection: Les conteurs )
Personnalité(s) :

Éclairage

Dans les années 70, le monde professionnel artisanal a bien changé et des métiers traditionnels disparaissent. Le parcours professionnel du serrurier Louis Mercier, d'apprenti à maître artisan, offre un retour sur de précieux savoir-faire artisanaux.

Depuis mille ans, les hommes maîtrisent l'art de travailler le fer à haute température. Parmi les nombreuses déclinaisons du métier de forgeron, celui de serrurier ne se limite pas à la fabrication des clés et des serrures. Le serrurier était également capable de forger et de réaliser tout un ensemble d'ouvrages de métal, tels que les balustres et les balcons. Métallurgiste confirmé, en développant les techniques du travail du fer, Louis Mercier est donc progressivement devenu ferronnier d'art.

Parmi les outils de sa forge, accoudé à son étau, le serrurier du Trégor conte son apprentissage du travail du fer, dévoilant sa passion pour ce métier. Il fait retentir le bruit du marteau sur l'enclume et fait revivre la magie du travail des métaux.

Pauline Jehannin

Transcription

Louis Mercier
C'est autre chose, quand je suis venu en ville et qu'il a fallu travailler, on m'a demandé avec mes parents, qu'est-ce que tu veux faire, travailler le bois ou travailler le fer ? J'ai dit le fer, et mes parents m'ont mis dans une serrurerie sans le savoir ils n'ont jamais su qu'est-ce que je fabriquais là dedans parce que ils n'ont jamais entendu parler de serrurerie ni de rien du tout, mais mon père était allé demander de l'embauche pour moi et j'avais été embauché. J'étais le premier dans la maison qui a été embauché sans que les parents paient pour faire son apprentissage, avant c'était les parents qui payaient pour l'apprentissage de leurs enfants alors moi je me suis trouvé là dedans dans un espèce d'enfer. Ah, oui, parce que c'était un atelier, les gars revenaient de la guerre de 14-18 là, qui étaient devenus puis revenaient vous savez, ils n'étaient pas tendres hein, je vous le garantis. Ils étaient même très durs, là aussi des espèces de sauvages mais c'était des vrais, alors ils avaient vécu toute la guerre, ils sont arrivés là, ils n'avaient plus de sentiment tendre pour les jeunes mais rien du tout là on s'est fait dresser. Et ça a été une première formation ça, je vous garantis, hein, pendant 3 ans, j'ai été dressé, mais comme j'étais tombé là dedans je me suis intéressé, voyez-vous !
André Voisin
Et qu'est-ce qui vous intéressait ?
Louis Mercier
Mais tout, absolument tout, d'abord le travail du fer j'ai voulu savoir comment ça se travaillait évidement, parce que je vous dirait encore une chose, c'est que dans le temps les ouvriers n'apprenaient pas aux jeunes le métier, ça c'est pas vrai, ils s'en gardaient bien. Et si vous demandez conseil à un ouvrier, il vous disait de toujours toi tu as le temps d'apprendre ça et jamais personne ne m'a donné ni un conseil ni appris un tour de main et autre, c'était à moi de l'apprendre et aux autres c'était pareil hein. C'était à tout le monde ça parce que, il y avait une raison à ça, je ne l'ai su que plus tard, parce qu'ils se disaient le jeune là qui monte, eh bien, celui là quand nous arriverons vieux et on était vieux à 40 ans, attention il va prendre notre place et il va nous fiche dehors et il va même nous supplanter s'il est plus fort que nous.
André Voisin
Oui, on n'apprenait pas.
Louis Mercier
Et c'est ce qui était arrivé avec moi et avec quelques autres parce que nous sommes restés qu'à 2 ou 3 sur le métier sur une cinquantaine que nous avons passé quelques années là-dedans, parce que là-dedans dans le temps on embauchait et puis hop ça partait le patron en profitait beaucoup.
André Voisin
C'était très dur.
Louis Mercier
C'était très dur et alors je me suis intéressé au travail du métal et là j'ai commencé à acheter des bouquins pour apprendre le métier pour savoir ce que c'était que le fer comment qu'on le travaillait et tout, voyez-vous ! Et j'ai petit à petit j'ai monté comme ça de mousse, j'étais d'abord mousse ce qu'on appelle apprenti. D'apprenti déjà, quand j'ai fini mon apprentissage en 3 ans j'étais déjà chef d'un petit groupe de mousses déjà. Et après je suis passé petit compagnon, je suis passé compagnon, je suis passé chef d'équipe, je suis passé contremaître, je suis passé chef d'atelier et je suis devenu maître artisan à mon compte alors. Quand vous êtes forgeron il faut que vous soyez baigné dans l'huile c'est-à-dire dans la sueur quand vous êtes au feu vous arrivez, vous êtes fort, c'est-à-dire la température normale et tout d'abord vous allez être en sueur. Moi je n'étais bien que lorsque j'étais en sueur, et c'est à ce moment-là que les muscles alors vous avez une volupté avec vos muscles qui travaillent avec une souplesse, j'appelle ça baigner dans l'huile, c'est incroyable. Et alors il ne faut pas quitter, ni rien du tout, il faut rester trempé comme ça et là vous êtes bien en pleine forme. C'est curieux hein. Avec le fer qui pactise avec vous, vous faites ce que vous voulez avec lui qui s'y prête vous avez l'impression qu'il vous donne un coup de main alors ça va tout seul. Et en même temps quand vous travaillez le fer, mais c'est que vous marchez le coup de marteau, chacun à son coup de marteau, parce que vous marchez au rythme de votre coeur vous devez marcher aux ryhtme de votre coeur. Ecoutez, ça ce sont des choses que je vous dis mais que vous n'y pensez jamais, ça se fait automatiquement, il faut que vous synchronisez et la respiration et les battements du coeur et le coup du marteau. Et quand vous faites ça vous pouvez travailler à longueur de journée pendant 10 heures à la forge sans vous fatiguer.
(Bruits)
Louis Mercier
Et arrive un moment où il se rebelle, et cela c'est curieux, j'ai toujours aimé ce moment-là, moi, c'est comme une bête, exactement comme une bête. Il arrive un moment où vous savez, il ne vous obéit plus, il en a marre, vous avez même des fois mal, même au poignet.
André Voisin
Vous disiez aussi que le son ça faisait... ?
Louis Mercier
Le son change aussi continuellement.
André Voisin
Et que ça fait comme un abri ?
Louis Mercier
C'est un univers fermé, absolument fermé, il n'a plus contact avec l'atelier, il n'a plus contact avec personne, il a le contact avec le feu avec son fer et lui. Et il y a cette musique là, la musique, il y a l'odeur, il y a la vue, il est dans un univers absolument fermé comme s'il était sous une cloche opaque. Même un bout de fer, je sais qu'il vit, pour moi le feu, c'est une matière vivante, il a son mystère, c'est-à-dire je ne comprends pas. On travaille en collaboration, parce qu'il me fait des blagues aussi.
André Voisin
Vous dites aussi c'est un ami ?
Louis Mercier
C'est un ami oui, il a son caractère moi, j'ai le mien. Remarquez qu'on n'est pas toute la journée en train de penser à ça hein mais c'est ça qu'il représente c'est ça.
André Voisin
Et même dans votre forge vous êtes au fond relié à la campagne ?
Louis Mercier
Ah oui, mais ça j'ai toujours vécu hein je le suis toujours ah je ne quitterai pas ça.