Souvenirs d'André Voisin

14 décembre 1968
07m 31s
Réf. 00746

Notice

Résumé :

André Voisin, producteur et réalisateur de la célèbre série télévisée Les Conteurs, égrène à son tour ses souvenirs : ici son parcours de comédien au sein de l'armée pendant la Seconde Guerre mondiale.

Type de média :
Date de diffusion :
14 décembre 1968
Source :
ORTF (Collection: Les conteurs )
Personnalité(s) :

Éclairage

On peut s'interroger sur la pertinence de la sélection de cet extrait dans la collection « Ouest en mémoire ». En effet, l'histoire racontée ne concerne pas la Bretagne.

Nous avons voulu rendre hommage à André Voisin, qui lui est breton et qui a su être attentif aux histoire et contes de la Bretagne.

Pour une fois, c'est André Voisin qui raconte alors que, le plus souvent le dos tourné à la caméra, il écoute, avec l'attention que l'on sait, les paroles venues d'ailleurs. Son art de dire est manifeste et l'épisode raconté éclaire ce talent : André Voisin a été soldat-acteur et il a fait partie d'une compagnie officielle de théâtre à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Durant la Drôle de guerre, la lutte contre le désœuvrement passait par l'organisation de spectacles, des tournées professionnelles se produisaient aux armées et des troupes d'amateurs se formaient dans les corps de troupe. La vie culturelle des camps de prisonniers en Allemagne s'est appuyée sur cette expérience : des artistes se produisaient en tournée dans les camps mais aussi pour les travailleurs du STO. André Voisin raconte un épisode de cette aventure qui se passe en Autriche, lors de la Libération. La réalité prend des formes rocambolesques, ! Cette parole témoigne d'un aspect somme toute peu connu de la Seconde Guerre mondiale.

L'émission provient du fond de recherches de l'ORTF créé en 1960 et dirigé par Pierre Schaeffer. Ce Service de production et de recherche va proposer un renouvellement des programmes de la télévision. Pour cela il s'appuie sur des chercheurs : Jean Rouch et Edgar Morin qui considèrent la caméra comme un révélateur de phénomènes humains. C'est dans cette logique qu'André Voisin, conteur, découvre des inconnus qui savent raconter (berger, taxi, paysan). Il crée l'émission « les conteurs ». Les témoignages recueillis recevront un vrai succès auprès du public et contribueront à la reconnaisance du Service de la Recherche qui disparaitra en 1974 lors de l'éclatement de l'ORTF. L'Ina héritera en partie de ses missions.

C'est en 1971 que l'émission « les conteurs » a fait connaître Anjela Duval au public français, conteuse du Trégor.

Voir les autres vidéos avec Anjela Duval:

- Anjela Duval et la terre

- Rencontre avec Anjela Duval (en breton)

- Anjela Duval et la Saint-Jean

Bibliographie :

Jocelyne Tournet-Lammer, Le Service de la Recherche de l'ORTF : expérience historique, école pionnière. consulté le 15/01/2011.

Martine Cocaud

Transcription

André Voisin
Par exemple, un jour, étant dans l'armée avec une troupe théâtrale qui était enfin la troupe théâtrale théoriquement officielle de la première armée, on nous avait fait un tel mauvais tour, nous qui étions les fondateurs et les artisans de cette troupe. On avait été voir De Lattre, on avait fait une sorte de pacte complètement dément, en disant, vraiment nous sommes de jeunes artistes, nous voulons continuer la guerre, mais en même temps on ne veut pas perdre notre métier, parce que vraiment, on faisait de la recherche sur ce plan de métier. On ne voulait pas être dans l'armée les imbéciles heureux comme ça, on voulait continuer notre métier. Et De Lattre avait, qui était une sorte de personnage assez extravagant et admirable, qui avait de la classe, avait dit je prends, paf, pari poker gagné. Et on se trouvait donc dans l'armée faisant parallèlement nos classes, la guerre et le théâtre. Par exemple pendant la prise de la..., il faut savoir que, en pleine bataille de la Forêt noire, De Lattre nous a demandé à 2 heures du matin, la veille de la grande offensive de Freudenstadt Rottweil Lindau, de monter, de jouer un petit Molière et notre spectacle avec du Claudel etc. Et qu'il y avait Tamiz, Marceau, Resnais et j'en oublie et on a joué devant lui à 2 heures du matin sur un escalier, enfin dans une salle où il exigeait d'avoir un tapis. C'était le premier village allemand conquis, il y avait les tabors avec les turbans blancs et l'arme au pied et les lieutenants cernant la salle pour que les SS ou les parachutistes ne viennent pas cerner l'état major dans un truc comme ça, c'était à Kandel. Il avait admis ce principe, et puis tout d'un coup quand il a disparu, quand un homme de cet envergure disparaît, l'armée nous a rattrapé nous a coincé. Ça ne leur plaisait beaucoup après De Lattre qu'on reste comme ça, unis en troupe autonome sans être gradés finalement. On m'a muté dans une compagnie muletière, à Waldkirch. Alors ça, je n'ai pas du tout apprécié et j'ai réuni la troupe, parce qu'on avait tellement payé, c'est ça, on nous demandait tout à l'heure ce que c'est que la réalité et ce que c'est que la fiction. Alors là j'ai eu vraiment l'impression que, ou je pouvais vivre la réalité, ou je pouvais m'engager vers ce qui est, ce que je crois devoir être et que vous appelez le merveilleux, moi je ne l'appelle pas le merveilleux, c'est simplement une option. Je pouvais me soumettre et carrément aller dans cette compagnie muletière, c'était râpé. J'ai réuni les gens qui étaient tous divisés et éparpillés, j'ai dit nous sommes la troupe de De Lattre, nous allons la rester et quelque soit ce qui arrive, est-ce que vous voulez que nous restions en troupe ? Et tout le monde a parié sur cette opération de sorte que pendant 9 mois on a été se mettre jusqu'en Autriche où on a vécu en tant que déserteurs officiels, parce que, tous les soirs on jouait et personne dans l'armée, ça c'est la merveille des grandes mécaniques modernes, ne faisait le rapprochement entre 9 types qu'on recherchait séparément et 9 types qui étaient groupés. Et seulement un jour, ils s'en sont aperçus et il a fallu fuir, on a été jusqu'à Salzbourg en zone américaine. Et puis à un moment, cette situation n'a plus été possible, moi, j'étais éreinté j'ai dit je vais aller me constituer prisonnier au ministère de la Guerre, en disant, bon ben voilà ce n'est pas un malheur alors fusillez-moi qu'est-ce qui se passe ? Bon, eh bien, on parle de miracle, le dernier soir il y avait une troupe concurrente qui avait pris notre place à Baden Baden. Le soir où moi j'avais décidé d'en finir avec cette aventure puisque, j'étais quand même responsable de 8 personnes, je dis, bon, c'est terminé moi je ne vois pas comment on va s'en sortir. J'avais donc décidé de faire le dernier spectacle à Hall en Autriche à 10 km d'Innsbruck. Le matin même, il arrive dans notre château, parce qu'on habitait en seigneurs vraiment sur le col du Brenner à 1100 m d'altitude, enfin tout à fait ravissant mais un chalet, les décors, la troupe, les camions enfin tout ce qu'il fallait, nous étions officiels dans la désertion. Et ce matin-là, 2 nouveaux déserteurs nous rejoignent venant de Baden, c'était deux types du Hot Club de France qui disaient, nous on s'ennuie dans la troupe officielle, on revient vous rejoindre, je dis malheureux c'est le dernier jour. Et on a tout remonté le spectacle en assimilant le saxophone clarinette et le trombone à coulisse. Et le soir à Hall, alors je dis feu, alors les gars c'est le dernier jour on va mettre la gomme. Et on a fait un spectacle absolument étonnant enfin ça commençait par le tag-rag, les airs de jazz, puis toutes sortes de numéros, c'est un spectacle extravagant. C'était fini, on démontait les rideaux et moi je disais bon ben demain je prends le train je ne dis rien aux gars et puis je vais à Paris puis on verra bien. Il arrive un type, le crane rasé, comme ça blouson américain, qui dit qui est le patron ici ? Alors je dis c'est moi puis tout d'un coup je regarde je vois 2 étoiles sur la manche, je dis mon général ! Il dit mais c'est formidable ce spectacle c'est comme si vous étiez 15. J'ai dit, oui, mais c'est la dernière fois mon général. Présentez-moi la troupe. On fait remonter tout le monde des coulisses alors, ils arrivent les types enfin vraiment le général félicite on ne le connaissait pas, je lui dis mon général c'est le dernier jour. Alors il me dit pourquoi, je dis trop long à vous expliquer si vous voulez demain matin je vous expose la situation, 10h état-major et après 9 mois de désertion. Quand j'ai eu expliqué à ce général, qui était vraiment d'ailleurs un type remarquable, cette situation, il a pris son téléphone et dans la journée même, on a été réinscrits officiellement dans l'armée et réinstaurés à notre vraie place, car on avait toujours fait le même travail, dans les pires conditions. Et alors une chose fantastique, on ne touchait plus un sou depuis 9 mois, pas un paquet de tabac, on était des mendiants, on allait à la caserne en tramway avec des seaux hygiéniques pour aller en troufions, vous voyez une armée d'occupation, on était dans le tramway d'Innsbruck avec des seaux hygiéniques pour aller chercher la nourriture. C'était tout à fait joli, enfin une situation complètement extravagante et on vivait dans une villa, tout ça se passait très bien. Et on a été réinstallés et tous ces merveilleux déserteurs avaient des grands paniers remplis de tabac car on a touché notre rappel.