L’Université repliée de Strasbourg : une obsession nazie
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La commémoration de la rafle du 25 novembre 1943, qui frappe l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand, montre à quel point la présence d’une élite alsacienne au cœur de la France a constitué un problème politique pour l’Occupant allemand qui, jusqu’à l’été 1944, cherchera à la dissoudre.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
25 nov. 2013
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
L’histoire de l’Université de Strasbourg durant la Seconde Guerre mondiale est un cas unique en France. Conçue par le pouvoir politique comme une place avancée de la culture française et des valeurs républicaines face à l’Allemagne, elle est dotée durant l’entre-deux-guerres d’enseignants prestigieux à l’image du médiéviste Marc Bloch dont le nom lui est aujourd’hui associé.
Parce que située le long de la frontière allemande, l’Université subit les conséquences du plan d’évacuation des populations civiles de la « zone rouge » de la ligne Maginot pour permettre la libre circulation des troupes. L’ordre d’évacuation de Strasbourg est donné le 1er septembre 1939, c’est-à-dire le jour de la mobilisation générale. Si près de 60 000 Strasbourgeois sont envoyés en Dordogne, les sept facultés de l’Université de Strasbourg (Lettre, Sciences, Droit, Médecine, Pharmacie, Théologie protestante et Théologie catholique) sont transférées à Clermont-Ferrand où l’Université auvergnate dispose de nouveaux locaux. Ce sont 150 professeurs et membres administratifs et plus de 1 200 étudiants qui se replient, sans compter 200 wagons contenant les collections de la Bibliothèque nationale universitaire, des bibliothèques des facultés et le matériel des laboratoires.
Après l’armistice, en dépit des demandes et des pressions allemandes, elle ne reprend pas sa place à Strasbourg où, en novembre 1941, les nazis inaugurent en grande pompe la Reichsuniversität Strassburg sans avoir omis d’exiger le rapatriement du matériel et des collections. Jusqu’à la fin de la guerre, le curateur de la Reichsuniversität ne cessera de demander la fermeture de l’Université repliée en Auvergne qui, en dépit des circonstances, maintient ses publications propres et délivre toujours ses diplômes sous le sceau de l’« Université de Strasbourg ». D’un point de vue politique, notamment après l’invasion de la « zone libre » par les Allemands, l’implantation d’une élite intellectuelle alsacienne en zone désormais occupée est un problème. Fin 1942, un rapport SS demande de « ramener dans le Reich les 500 étudiants évacués, ainsi que le corps enseignant de l’université de Strasbourg à Clermont-Ferrand, qui constitueraient un foyer tout particulier d’activité anti-allemande ». En décembre 1942, le Reichsführer-SS Himmler fait demander à Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du Reich, l’accord « afin que le très grand danger que représentent les émigrés de l’ex-université de Strasbourg puisse être écarté le plus vite possible ».
De fait, à Clermont-Ferrand, dès l’été 1940, les premiers résistants issus de l’Université se mobilisent comme Jean Cavaillès, maître de conférences en philosophie et membre du noyau fondateur de Libération Sud. Dès lors, les engagements se multiplient dans les rangs d’une institution qui, par ailleurs, compte de nombreux israélites mis au ban de la société par les deux statuts antisémites de Vichy : outre l’historien Marc Bloch, on peut citer, entre autres, le chef de clinique Georges Lévy-Coblence, la doctorante en droit Hélène Geismar, l’étudiant en pharmacie Claude Heimendinger ou le jeune couple d’étudiants en sciences André Elbogen et Madeleine Klein.
La première rafle contre l’Université est menée en pleine nuit, le 25 juin 1943. Il s’agit d’une opération de représailles après la mort de deux membres de la Gestapo tués par un étudiant résistant. 37 étudiants du Foyer Gallia sont arrêtés puis déportés en Allemagne. Cinq mois plus tard, le 25 novembre 1943, c’est une opération d’une toute autre ampleur qui est organisée : la Gestapo et une unité de la Luftwaffe encerclent les locaux de l’Université et l’investissent. Initialement, il s’agit d’arrêter les doyens des sept facultés et 17 professeurs ou étudiants ciblés. Finalement, les nazis rassemblent 1 200 personnes. Ils en retiennent environ 400, des Alsaciens pour la plupart, qui sont incarcérés dans la caserne du 92e régiment d’infanterie. A l’issue d’un second tri, près de 130 sont déportés. Si l’autorisation de reprendre les cours est rapidement donnée, la répression se poursuit : entre mars et juin 1944, plusieurs universitaires strasbourgeois sont arrêtés dont Louis Géry, Albert Fuchs ou Henri Baulig.
Avec la Libération progressive du territoire, l’Université de Strasbourg retrouve ses locaux alsaciens et reprend ses cours à la rentrée 1945. Un double hommage lui est rendu, l’un par L’État qui lui accorde la médaille de la Résistance, l’autre par l'intellectuel communiste Louis Aragon qui, dans son recueil La Diane française, lui consacre un poème, « La Chanson de l'Université de Strasbourg », où l’on peut lire : « Enseigner c’est dire espérance / Étudier fidélité / Ils avaient dans l’adversité / Rouvert leur Université / À Clermont en plein cœur de France ».
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire-géographie au collège Elsa Triolet à Thaon-les-Vosges
Le reportage de France 3 est réalisé à l’occasion du 70e anniversaire de la rafle menée le 25 novembre 1943 par les Allemands dans les locaux universitaires de Clermont-Ferrand où s’était repliée l’Université de Strasbourg.
Les premières images sont celles de la cérémonie du souvenir qui s’est tenue dans l’aula du Palais universitaire. Professeurs et résistants occupent la scène, formant un véritable contrepoint aux images en noir et blanc de l’inauguration de la Reichuniversität le 24 novembre 1941 sur lesquelles drapeaux nazis et uniformes sont omniprésents. Au pupitre, c’est Alain Beretz, professeur de pharmacologie et président de l'Université de Strasbourg, qui a la parole. Devant lui, sur l’affiche « Une communauté universitaire résistante », on note une galerie de portraits qui rappellent que, contrairement au commentaire de la journaliste, ce ne sont pas 130 « universitaires » qui ont été déportés, mais 130 professeurs, administratifs et étudiants qui ont été visés. Cette galerie est ainsi encadrée par le visage de Serge Fischer (1907-1976), bibliothécaire, chargé du transfert des collections de la BNUS à Clermont-Ferrand, résistant communiste responsable régional du Front national, déporté à Buchenwald, et par celui d’Hélène Geismar (1920-2004) – future Madame Sinay –, étudiante juive alors doctorante en droit, qui a échappé à la rafle et est devenue à son tour professeure de droit à l’Université de Strasbourg. A gauche de ce cliché, on peut relever les visages de Jean Cavaillès (1903-1944), épistémologue et philosophe, maître de conférences à l’université de Strasbourg, membre fondateur de Libération Sud, fusillé en 1944, puis de Paul Collomp (1885-1943), doyen de la faculté des Lettres, spécialiste de l’Egypte hellénistique, résistant au sein du réseau Action R6 du BCRA, le service de renseignements de la France Libre, abattu devant son bureau à l’Université le jour de la rafle.
La seconde partie du reportage, la plus longue, est consacrée au témoignage de François Amoudruz (1926-2020), jeune savoyard installé avec ses parents en Auvergne à partir de 1934. Cet éclaireur de France – comme l’illustre un cliché en noir et blanc – est étudiant à la faculté de droit. Il est arrêté le 25 novembre 1943 puis déporté le 17 janvier 1944 dans le camp de concentration de Buchenwald puis dans celui de Flossenbürg. Des images de la prison militaire du 92e régiment d’infanterie de Clermont évoquent son internement en France alors que deux modestes morceaux de tissus fixés sur une feuille blanche – le triangle rouge des déportés politiques et un numéro de matricule – renvoient explicitement à sa déportation en Allemagne où il travaillera sur une chaîne de fabrication d’avions dans un commando des monts Métallifères. Evadé lors d’une « marche de la mort », incarcéré de nouveau, François Amoudruz est libéré le 8 mai 1945 et reprend ses études de droit à Strasbourg deux ans plus tard. Comme l’illustre le reportage, François Amoudruz s’investit très rapidement dans un nécessaire devoir de mémoire, témoignant dans les établissements scolaires et prenant des responsabilités au sein du milieu associatif, en particulier la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes et la Fondation pour la mémoire de la déportation qui organise, chaque année, le concours de la Résistance dans les établissements scolaires.
C’est bien cette question de la transmission qui est abordée dans la dernière partie du reportage. Elle présente une séance de visionnage du documentaire L’Université résistante de Barcha Bauer (1999) devant des étudiants de Haguenau qui découvrent à la fois l’histoire de leur institution et l’engagement de leurs condisciples sous l’Occupation. On pourra relever qu’un vaste travail de recherche a été poursuivi avec les thèses de Raphaël Toledano et Patrick Wechsler sur la faculté de Médecine de la Reichsüniversität Strassburg que présentent notamment le documentaire L'université de Strasbourg sous le IIIe Reich de Kirsten Esch (2018).
Transcription
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