Villages détruits en Meuse : entretenir la mémoire
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Au cœur de la bataille de Verdun, plusieurs villages de la Meuse ont été entièrement détruits et jugés inconstructibles après-guerre. Le choix a été fait de conserver leur existence en nommant une équipe municipale pour entretenir les sites et leur mémoire. Le reportage raconte l’histoire de ces villages "morts pour la France".
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
27 juil. 1995
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Contexte historique
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
Quand débute la bataille de Verdun en février 1916, la petite préfecture de la Meuse entre de nouveau dans la grande Histoire de France pour ne plus en sortir. Verdun reste le symbole de la Première Guerre mondiale, cette guerre qui oppose depuis 1914 dans un combat quasi-fratricide les grandes nations européennes que sont l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie d’un côté, à l’Entente France - Royaume-Uni – Russie, rejointe par l’Italie, de l’autre. Pourquoi cette portée symbolique ?
Les faits sont assez simples. Au début de l'année 1916, sur le front occidental, les deux camps, allemand et franco-anglais, sont campés sur leurs positions de part et d’autre du front, dans une guerre dite de position ou de tranchées, où chacun cherche avant tout à conserver son terrain et use l’adversaire par des opérations aussi vaines que meurtrières (en Champagne ou en Artois en 1915). Pourtant, l’Etat-major allemand cherche à rompre le rapport de force pour reprendre l’offensive. Pour cela, il entend attirer l’armée française sur un terrain difficile à défendre et le "saigner à blanc", l’épuiser avant de percer. Verdun est pour cela le site idéal : difficile à défendre, entouré par les Allemands sur trois côtés et difficilement accessible par un seul axe de communication. La région apparaît comme une souricière.
En février 1916, les troupes de Falkenhayn, le chef d’Etat-major des armées allemandes, lancent l’offensive. Surpris, les Français reculent sous la puissance de feu allemande. Pendant 4 mois, l’armée française est au bord de la rupture. Mais elle s’organise, notamment grâce à Philippe Pétain : une gigantesque logistique permet de l’approvisionner en hommes et en soldats. En juillet, les Alliés soulagent un peu les combattants de Verdun en lançant une grande offensive sur la Somme, menée par les Anglais. A partir de juillet, les Français reprennent le terrain perdu. Quand la bataille prend fin en décembre 1916, après 10 mois de combats, les deux armées ont à peu près retrouvé leurs positions initiales.
Verdun est donc une des grandes batailles de notre histoire. Plusieurs raisons justifient cette affirmation.
D’une part, elle appartient à la mémoire collective, nationale, mais elle appartient aussi à la mémoire individuelle de chaque famille. Trois quarts des soldats français ont combattu à Verdun : chaque famille, dans chaque ville et village a eu le récit de la bataille. Elle incarne un vécu et un imaginaire collectifs très fort qui fondent la mémoire, ce dont on se souvient, avec subjectivité, passion, concurrence.
D’autre part, elle incarne ce qu’est la Première Guerre mondiale, c’est-à-dire une guerre totale qui mobilise les hommes (de métropole et des colonies), qui utilise les moyens de destruction les plus puissants de son temps (artillerie), qui génère une intense propagande pour justifier du bien fondé de son action malgré les horreurs commises. Cette bataille fait 700000 victimes dont 300000 morts, soit environ 1000 morts par jour de bataille. Elle constitue donc une forme paroxystique de la violence de guerre qui a donné naissance à l’expression "enfer de Verdun".
Verdun dit tout de la Première Guerre mondiale, avec des traces indélébiles comme les villages détruits et jamais reconstruits dans le paysage lunaire né de la bataille. Ces villages se rencontrent partout sur le front, en Somme (Villers-Bretonneux), au Chemin des dames (Ailles, Craonne), dans la Marne (Tahure, Perthes-les-Hurlus), mais ceux qui entourent Verdun (Fleury-devant-Douaumont, Douaumont, Cumières-le-Mort-Homme…) restent présents dans nos mémoires plus que les autres. Cela tient bien sûr à la force symbolique des lieux, mais aussi à la capacité encore aujourd’hui à savoir mettre en valeur cette mémoire.
Éclairage média
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
Le reportage de France 3 Lorraine aborde la question des villages détruits, en particulier ceux de Fleury et de Douaumont. Ces villages doivent leur histoire tragique à leur situation géographique : les neuf villages meusiens se situent au cœur de la bataille de Verdun, qui dure de février à décembre 1916. Pourquoi parler encore de ces villages qui n’existent plus ?
La question du devenir de ces villages s’est posée dès la guerre finie, à la fois sur un plan administratif mais aussi mémoriel. En effet, une loi d’avril 1919 permet à l’État de racheter les terrains dans ce qui est qualifié de "zone rouge" : dans cette zone, l’État considère que la quantité de munitions enfouies, le nombre de corps de soldats encore présents et le coût de la reconstruction sont tels que les terrains sont inconstructibles et doivent simplement être reboisés. Mais les villages ne disparaissent pas pour autant. Tout d’abord, ils sont déclarés "morts pour la France", la mention que l’on délivre à ceux dont le décès est imputable à un fait de guerre, et ils reçoivent la croix de guerre. Mais leur maintien administratif et donc leur nom et leur statut juridique sont aussi décidés par une autre loi de 1919 : ils sont administrés par un conseil municipal de trois membres nommés par le préfet de la Meuse, avec un maire et deux adjoints. Ils ont presque toutes les prérogatives d'un maire, dans des villages sans habitants ou avec un tout petit nombre d’habitants aujourd’hui, comme par exemple les gardiens des sites à Douaumont.
Ce sont donc ces maires qui sont le sujet du reportage de France 3, des maires un peu particuliers mais qui remplissent leur rôle avec un engagement fort. Ce rôle est triple au moins, si l’on écoute leurs témoignages. Ils sont bien sûr en charge de l’entretien courant de communes qui font l’objet du tourisme mémoriel : il faut en particulier entretenir les espaces verts, le plus gros poste de dépenses de leur maigre budget, et surtout veiller à la sécurité de sites encore plein d’objets qui remontent en surface, notamment des munitions. Ces sites suscitent aussi depuis la fin de la guerre de nombreux intérêts : celui des pillards à la recherche de ce qui peut se monnayer ; celui des "collectionneurs" d’objets de la guerre ; celui plus récent des archéologues qui ont entrepris de nombreux chantiers de fouille en particulier sur des sites de tranchées, et qui trouvent des matériaux permettant d’approcher au plus près la vie quotidienne des soldats sur le front. Il faut donc en assurer la surveillance et la sécurité. Mais remontent aussi régulièrement des corps de soldats portés disparus et l’officier d’état-civil qu’est le maire doit œuvrer à leur identification. Ils doivent entretenir les quelques bâtiments du village : tous ont été dotés d’une chapelle et d’un monument aux morts. Enfin, ils représentent leurs villages lors des très nombreuses commémorations officielles.
Ce travail de maire relève d’un engagement citoyen et mémoriel fort : presque tous sont des descendants d’anciens habitants du village, appartiennent à des familles qui occupent la charge de génération en génération. Ce qui est en jeu ici est bien le travail de mémoire, on pourrait même dire le devoir de mémoire. Il est intéressant de noter que la France a pensé la question de la mémoire de la guerre très vite après son terme : cela s’est traduit par une volonté quasi-unanime des Français de doter chaque commune d’un monument commémoratif, alors que l’État n’avait prévu qu’un monument national, financés par les Français eux-mêmes. Cette guerre présente ainsi la particularité de relever de plusieurs mémoires enchâssées : familiale, communale ("la petite patrie") et nationale.
Soulignons pour finir les contrastes proposés par les images. On voit d’abord l’opposition entre vieilles photos des villages d’avant-guerre et images des destructions. On voit aussi les images montrant l’extrême violence des combats qui contraste avec le cadre apaisé et bucolique actuel.
Transcription
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