Les femmes au travail au début des années 1980 : bilan en Champagne-Ardenne
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Résumé
En 1980, la situation des femmes au travail en Champagne-Ardenne démontre un taux de féminisation du travail supérieur à la moyenne nationale mais aussi des femmes demandeuses d’emploi bien plus nombreuses que les hommes. Les femmes au travail sont généralement jeunes (de 20 à 24 ans), à cause d’une plus faible scolarisation des jeunes femmes qu’ailleurs.
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Date de publication du document :
08 déc. 2021
Date de diffusion :
13 févr. 1980
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Le reportage est diffusé 12 ans après les événements de mai 1968 et 10 après la création du MLF, mouvement phare du féminisme associatif. Le reportage cherche donc à montrer les effets, dans le monde du travail, de ces revendications. Aujourd’hui, certains considèrent ce moment comme un temps d’émancipation des femmes : le sociologue Jean-Pierre Le Goff (2018) estime qu’à ce moment-là, « le vieux monde est balayé, une nouvelle ère s’ouvre ». Pourtant, les spécialistes du genre, qui étudient les rapports sociaux entre les sexes et les constructions sociales des genres dans le temps, démontrent que les femmes ont participé aux événements de mai 1968 mais n’en ont pas reçu les bénéfices escomptés.
Selon Marie-Jo Bonnet (2018), « il y avait beaucoup de femmes dans les manifs, dans les groupuscules gauchistes et chez les grévistes, mais elles ont joué les seconds rôles. Elles servaient le café, tapaient les tracts à la machine… Il faut se replacer dans le contexte d’une société française fermée dans laquelle les rôles sexuels étaient stéréotypés. » En 2002, Michèle Riot-Sarcey écrit que « l’histoire insurrectionnelle se décline au masculin » et que « la parole publique n’appartient pas aux femmes ». La conséquence directe, selon Michelle Zancarini-Fournel (2002), est que leur cause est oubliée lors de la résolution de la crise sociale par le gouvernement en 1968-1969. Ainsi, elle montre que « les forces de l’ordre, et parfois les dirigeants et militants politiques, ont ramené les filles et les femmes à leur sexe. »
Entre 1968 et 1980, certaines lignes ont bougé. En 1975, trois lois majeures consacrent cette évolution : légalisation de l’IVG, évolution du droit au divorce, mixité dans les établissements publics d’enseignement. Mais le reportage démontre tout le parcours qu’il reste encore à réaliser dans les domaines des accès à l’éducation, à l’emploi, sur la rémunération salariale et pour la fin des stéréotypes genrés.
La majorité des jeunes femmes, de 20 à 24 ans, est au travail dans la région à cause d’un taux de scolarisation plus faible qu’ailleurs. Olivier Marchand et Claude Thélot (1991) confirment, qu’à l’échelle nationale, seulement 40% des femmes âgées de 15 à 24 ans sont au travail. Ce taux est en baisse constante depuis 1950 (53% ; selon la DARES, 25% en 2015). La Champagne-Ardenne connaît donc une situation un peu particulière, à cause de besoins de main-d’œuvre industrielle faiblement qualifiée (textile, notamment).
La région connaît une situation paradoxale : 42,9% de la population active régionale est féminine ce qui se situe près de 4 points au-dessus de la moyenne nationale même si 56,8% des demandeurs d’emploi sont des femmes. À l’échelle nationale, le taux d’emploi des femmes ne cesse d’augmenter : 40% en 1960, 52% en 1980 et de 61% en 2015 mais constamment de 1960 à 2009, le taux de chômage féminin est supérieur à celui des hommes. En 1980, l’écart en ce domaine est de près de 4 points, et représente 8% de la population active féminine.
Les différences salariales entre femmes et hommes sont soulignées à juste titre par le journaliste comme une discrimination majeure. Les données diffusées sont révélatrices : à travail égal dans le secteur industriel, l’écart de salaire est d’un peu plus de 29% mais c’est au niveau des postes hiérarchiques supérieurs que les écarts se creusent puisque pour un cadre supérieur la différence est de 43% ! Cette pratique va à l’encontre de la loi de 1972 qui proclame le principe « à travail égal, salaire égal ». Si en 1980, il reste du chemin à parcourir, il n’est pas achevé en 2020. Selon l’INSEE et The Economist, l’écart entre salaires féminins et salaires masculins est de 17% (tous niveaux hiérarchiques confondus) ; pourtant si à niveau hiérarchique égal les écarts de salaire demeurent, ils sont de 4% seulement, signe de l’évolution positive de ce critère depuis 1980.
Enfin, le reportage démontre la stéréotypie de l’emploi féminin dans la région. La journaliste insiste dans ses propos sur l’emploi en crise dans la bonneterie troyenne et sur la place des services dans l’emploi féminin. Selon Marchand et Thélot, la part de l’emploi dans les services pour les femmes est en nette augmentation de 1960 (47%) à 1980 (60%) ; ce taux est de 86% en 2000. Le taux de salarisation est croissant : il passe de 60% en 1960 à 95% en 2000 (87% en 1980). Quant aux images du reportage, elles diffusent une vision stéréotypée de l’emploi féminin : de manière longue et répétée, sont montrées des couturières et ouvrières du textile, activité certes fortement présentes dans la région : Troyes, Reims, Sedan… Mais aussi une bibliothécaire, une enseignante de cours pratiques de couture dans un CES ou un Lycée mixte, ainsi que des femmes travaillant à la chaîne dans l’industrie agroalimentaire (œufs, glaces Miko…) ou l’industrie pharmaceutique, aux postes de colisage des médicaments à destination des grossistes.
Éclairage média
Par
Diffusé par la rédaction de FR3 Lorraine Champagne-Ardenne, dans le cadre du journal télévisé pour la Champagne et les Ardennes, ce reportage est constitué d’une voix-off féminine sur des images en noir et blanc ; très probablement d’archives puisque les moyens techniques de l’époque permettent la réalisation et la diffusion de reportages en couleur (les journaux télévisés de la branche lorraine de FR3 émettent en couleur depuis 1972). Il est possible de s’interroger sur ce choix. En effet, le sujet évoqué est un sujet de société qui ne réagit pas forcément à une actualité ; cela signifie que la rédaction n’a pas été précipitée par un quelconque événement justifiant le recours à des images existant en archives. Ce choix est donc conscient car pour illustrer ces propos, des images récentes, tournées à dessein auraient pu être réalisées, y compris dans des industries de la région, telle l’usine Miko de Saint-Dizier mise en image en fin de reportage. Sans pouvoir connaître les raisons qui, in petto, ont poussé la rédaction et son rédacteur en chef de procéder de la sorte, il nous est possible d’émettre des hypothèses.
Le fait d’utiliser des images d’archives, même si elles peuvent être assez récentes – moins d’une dizaine d’années, en noir et blanc, en utilisant une technologie qui d’ores-et-déjà en 1980 peut apparaître comme passéiste est sans doute un moyen de renforcer la gravité du sujet et de dénoncer, comme passéiste, la situation rencontrée par les femmes au travail notamment au regard des différences de rémunération. En effet, le reportage insiste dans une large mesure sur les différences salariales qui existent en Champagne-Ardenne entre les femmes et les hommes et la journaliste souligne à juste titre cette discrimination majeure.
Autre élément qui tendrait à prouver que la situation dénoncée correspond à une situation d’arrière-garde est l’emploi de l’expression « nouveau franc » quand la journaliste évoque la disparité flagrante de salaire entre les femmes et les hommes à poste et responsabilités égales. Or, en 1980, cela fait 17 ans que les nouveaux francs sont en circulation et constituent l’unité de compte monétaire nationale. En utilisant volontairement cette expression « nouveau franc », la journaliste entend bien s’adresser, non pas aux plus jeunes téléspectateurs qui ont l’habitude d’utiliser et de compter en nouveaux francs mais bien aux plus âgés, ceux qui sont aussi sans doute les plus conservateurs et les plus enclins à l’immobilisme. Et ce y compris sur les questions sociétales comme a pu le démontrer les premières années du septennat de Valéry Giscard-d’Estaing en ce qui concerne les débats autour du droit de vote des jeunes (1974), de l’interruption volontaire de grossesse ou de dépénalisation de l’avortement (loi Veil, 1975 ; conséquence de la loi Neuwirth de 1967 seulement appliquée à compter de 1972), du collège unique (loi Haby, 1975), de la réforme du divorce (1975), etc.
Diffuser des images en noir et blanc en utilisant l’expression « nouveau franc » par opposition à l’« ancien franc », est un moyen de positionner le reportage comme en lutte aux positions passéistes qui relègueraient la femme au second plan en un temps où existe, depuis 1974 sous la houlette de Françoise Giroud un secrétariat d’État à la condition féminine. Plus qu’un reportage informatif, la journaliste livre donc un plaidoyer en faveur de la condition féminine en un temps où les choses évoluent positivement mais où encore bien des choses restent à réaliser – et pas seulement dans le domaine de l’égalité salariale.
En ce sens, il est intéressant d’utiliser cette source, soit en histoire, au cours du programme de Terminale ; Thème 3, Chapitre 2 « Tournant social, politique et culturel, la France de 1974 à 1988, notamment en lien avec le point de passage et d’ouverture consacrée à la légalisation de l’IVG en 1975 ; soit en EMC au programme de Seconde, « Liberté, libertés » notamment en lien avec la question du droit des femmes ; programme de Première dans l’Axe 2 sur « la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes ».
Néanmoins, nous pouvons regretter de ne pas avoir la séquence complète parce que ce reportage n’est pas mis en contexte, ni même en situation : nous ne voyons pas de lancement plateau depuis le journal télévisé, la partie sonore du reportage s’achève assez abruptement tandis que les images continuent à défiler tant et si bien que nous sommes en mesure de nous demander si les archives n’ont finalement pas conservé qu’une ébauche de reportage et non le montage final.
Transcription
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