Le bagne de Sedan : crimes de guerre dans la Première Guerre mondiale
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Seul département français occupé entièrement pendant toute la durée de la Première Guerre mondiale, les Ardennes sont aussi le département où l’armée allemande a créé, à Sedan, un bagne pour Français et Belges, et dans lequel elle s'est livrée à des crimes de guerre qui préfigurent ceux des camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale.
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Date de publication du document :
11 mai 2021
Date de diffusion :
28 juil. 2018
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Contexte historique
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
Le 3 août 1914, l’engrenage des alliances européennes, opposant la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie) et la Triple Entente (Royaume-Uni, Russie et France), entraîne la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France. Les troupes de l’empereur Guillaume II envahissent la Belgique. Les Ardennes, côté français et côté belge, se retrouvent ainsi au cœur du conflit. En France, la singularité du département ardennais dans ce conflit se marque ainsi dès les premiers combats et perdure au long de la guerre.
L’objectif des Allemands, au travers de la mise en œuvre du Plan Schlieffen, est de contourner les armées françaises massées derrière la ligne bleue des Vosges et prêtes à reprendre l’Alsace-Moselle. Les Allemands ont prévu de prendre à revers les troupes françaises dans un mouvement de contournement par la Belgique, violant ainsi sa neutralité. La Belgique est envahie le 3 août. A partir du 21 août, les Allemands entrent sur le territoire des Ardennes françaises. Des combats très durs ont lieu à Sedan. Pour la seconde fois en un demi-siècle, la cité textile revient au cœur de l’histoire nationale, après la défaite et la capture de Napoléon III le 2 septembre 1870. Encore une fois, c’est une défaite française qui ouvre la porte à l’invasion du territoire par des armées allemandes.
Les Ardennes sont le siège du Quartier général de l’armée allemande sur le front ouest pendant toute la guerre. C’est en effet dans la préfecture du département, à Charleville-Mézières, que s’installe le Kronprinz, le fils de l’empereur, c'est là que ce dernier réside quand il vient en France, et de là que l’Etat-major allemand commande les grandes offensives, notamment celle de Verdun en 1916. Les Ardennes sont ainsi au cœur de l’occupation allemande en France. La mémoire collective a conservé la trace des exactions prussiennes de 1870 et ce sont des milliers d’Ardennais qui fuient l’avancée des envahisseurs dès les premiers jours de combats, devenant réfugiés dans les départements voisins (l’Aube est le département qui en accueille le plus) auxquels il faut ajouter les évacués de l’Armée française. Le département se vide ainsi d’une partie de sa population.
C’est aussi dans ce département qu’ont lieu les derniers combats de la guerre. En septembre 1918, le sud des Ardennes est libéré. Une seconde offensive, avec des Français et des Américains, est menée entre le 17 octobre et le 11 novembre. Les derniers combats ont lieu à Vrigne-Meuse. A quelques minutes de l’annonce de l’armistice, c’est là que meurt le dernier poilu tué dans la guerre, le soldat Trébuchon, et c’est là encore que le clairon a sonné le cessez-le-feu.
La ville de Sedan a joué un rôle essentiel pour les Allemands durant la guerre. Sa situation géographique en a fait un lieu stratégique entre Belgique, Luxembourg et Lorraine, d’autant que la ville est un nœud ferroviaire important. Les Allemands utilisent aussi les bâtiments de la ville pour installer des hôpitaux et des centres de convalescence, des lieux de repos (et des maisons closes) pour les soldats, et aussi des camps de travail avec des prisonniers civils français et des déportés de la Belgique voisine. Le "bagne de Sedan" est ainsi le dernier maillon du système de travail forcé mis en place par les Allemands dans la guerre.
L’étude la Première Guerre mondiale en France traite le plus souvent de la guerre totale en insistant sur l’effort de guerre des civils à l’arrière des lignes françaises et l’expérience combattante des soldats sur le front. L’exemple des Ardennes, unique car seul département entièrement occupé durant les 52 mois de la guerre, permet d’envisager un autre aspect de la guerre en éclairant le sort des civils ayant vécu sous le joug de l’occupant.
Éclairage média
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
France 3 a entrepris de commémorer le centenaire de la Grande Guerre par une série de reportages dans chaque région. Ici, on tente de découvrir ce qui s’est passé au château-fort de Sedan en 1917-1918. Comment qualifier le lieu et les faits ?
Le reportage est classiquement bâti comme une déambulation du journaliste sur les lieux où les faits se sont déroulés. Le récit est donc accompagné d’images actuelles et passées. On a ainsi des photos du château de Sedan, qui nous permettent de connaître les lieux qui abritant "le bagne" et des photos montrant des personnes présentées comme des travailleurs prisonniers enfermés au "bagne". Ces documents interrogent. En effet, les photos présentées ne semblent pas illustrer la réalité décrite par le journaliste : il nous parle de prisonniers civils mais on voit nombre d’uniformes ; il parle de brassards rouges au bras des détenus mais on ne semble en voir sur aucune personne ; il décrit des conditions de détention effroyables mais les photos montrent des prisonniers plutôt en bonne santé et parfois souriants.
Le reportage montre ainsi la difficulté de l’historien à établir les faits. Pourtant les archives de la ville de Sedan sont plutôt bien conservées et permettent, notamment en fouillant dans le fonds du Conseil municipal, de trouver des indications sur l’enregistrement des décès et l’augmentation de la taille du cimetière communal. D’autre part, deux témoignages de prisonniers sont précieux : l’un est le fait d’un prisonnier français publié en 1958 et l’autre, d’un prisonnier belge publié dès 1919, et qui est d’ailleurs celui qui utilise en premier l’expression de "bagne de Sedan". Fort de l’ensemble de ces sources, on peut esquisser une histoire des lieux.
En janvier 1917, l’occupant allemand ouvre à Sedan le "Camp de concentration d’Empire des prisonniers punis n°2" (Strafgefangenen-arbeiter bataillon Nr. 2). Dans la terminologie allemande, ce camp, très rare (c’est le second ouvert et nous sommes déjà en 1917) doit accueillir des prisonniers civils insoumis, français et belges déportés, dans des bataillons de travail. Il s’agit donc de les mettre au pas en leur imposant des conditions de vie et de travail particulièrement difficiles. Ce sont environ 400 à 600 personnes qui auraient été ainsi détenues en permanence dans la partie la plus haute du château, logés dans des salles communes, dans la promiscuité, mal nourris, sans hygiène et victimes de sévices corporels de la part de leurs geôliers. Le typhus et la dysenterie auraient fait des ravages chez les prisonniers, mais certains seraient aussi morts sous les coups, et d’autres auraient été tués par injection. Les historiens pensent également que des prisonniers, vivants ou morts, ont pu être envoyés à l’école de médecine militaire du quartier d’Asfeld, à Sedan...
Ces prisonniers constituent des kommandos de travail qui, après un appel chaque matin, partent pour beaucoup travailler hors du château, sous la surveillance de soldats allemands, avec un brassard rouge au bras, sur lequel figure leur numéro matricule. Ils font des travaux agricoles, de terrassement, ou entretiennent les voies ferrées.
Les archives permettent de penser qu’entre 5000 et 6000 personnes ont vécu le "bagne de Sedan", avec peut-être un taux de mortalité de 80%.
Se pose la question de la qualification des lieux et des faits. Les Allemands parlaient de "camp de concentration", Jo Schrammer, le plus ancien témoin, de "bagne", la plaque commémorative de 1950 de "lieu d’extermination". Ces trois appellations soulignent l’enfermement et au minimum la violence du lieu. Le journaliste parle lui de poursuites pour "crimes de guerre" intentés après 1918 contre les responsables militaires du camp. Derrière la qualification des faits et des lieux se pose la question du lien entre les deux guerres mondiales : dans quelle mesure la Première Guerre serait-elle la matrice de la Seconde ?
Transcription
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