La guerre en images à Epinal : une œuvre patriotique
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La Guerre 1914-1918 a constitué une période particulière pour l’imagerie d’Epinal. Victime de la guerre qui la prive de ses ouvriers puis de papier, elle constitue aussi une période faste pour la production d’une imagerie populaire qui vise à soutenir l’effort de guerre et le patriotisme, notamment auprès des enfants.
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Date de publication du document :
11 mai 2021
Date de diffusion :
31 oct. 2015
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Éclairage
Contexte historique
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
L’image d’Epinal doit son nom à l’Imagerie d’Epinal, imprimerie fondée en 1796 par Jean-Charles Pellerin, un imprimeur vosgien qui a révolutionné l’imagerie populaire au début du XIXe siècle, une pratique culturelle ancienne diffusée par le colportage. Quelle place joue l’imagerie d’Epinal dans la culture populaire ?
Pellerin est un imprimeur de cartes à jouer qui comprend tout le parti qu’il peut tirer de mettre en images la légende de l’empereur Napoléon Ier, en racontant notamment les conquêtes de la Grande France. Il modernise aussi son activité pour en faire une vraie industrie produisant en masse en utilisant toutes les techniques de son temps, en particulier xylographie (gravure sur le bois nécessitant d’utiliser une presse Gutenberg pour imprimer le papier) et la lithographie (gravure sur la pierre plus résistante au temps) qui permet après 1850 de baisser les coûts d’impression. Le travail est réalisé par des artisans d’art, dessinateurs, coloristes, graveurs, enlumineurs, imprimeurs. La précision du trait, les couleurs vives, la construction narrative rendent les images très faciles d’accès et font leur succès, avec des tirages pouvant monter à 500 000 exemplaires. L’imprimerie produit différents supports : des feuilles avec un seul dessin en pleine page ou une série de petites vignettes, des pantins à découper et parfois à colorier soi-même, des théâtres de papier à assembler.
Le XIXe siècle renouvelle d’une certaine façon le genre de l’image. Les progrès de l‘éducation et des libertés (loi sur la presse de 1881) favorisent l’essor de la presse qui recourt massivement aux images comme illustrations mais aussi comme moyen d’expression avec l’émergence de grands caricaturistes comme Daumier, Gavarni ou plus tard dans le siècle Caran d’Ache. Il faut se rappeler que les autres moyens d’accéder à l’image, c’est-à-dire la photographie puis le cinéma, malgré leurs progrès continus, restent peu adaptés à une diffusion rapide telle que le nécessite l’information quotidienne. Ainsi, c’est encore le dessin qui est massivement utilisé pour illustrer la Grande Guerre dans les premiers mois des combats, cédant peu à peu la place à la photographie, par exemple dans l’Illustration ou le Miroir, alors que les Actualités cinématographiques se développent aussi.
Le XIXe siècle et le début du XXe siècle constituent donc un temps fort de l’image populaire qui a pour mission d’informer et de distraire. Dans les collections d’Epinal, on a ainsi des images qui traitent de l‘actualité (la visite du tsar Nicolas II à Paris en 1896) mais aussi qui illustrent des contes (Perrault), des fables (La Fontaine) et des histoires populaires (les trois petits cochons), avec une forte dimension moralisatrice mais aussi éducative et ludique. Le récit national occupe une grande place avec de nombreuses planches consacrées à l’épopée de Napoléon et plus tard à la colonisation et à la République, l’image d’Epinal contribuant à sa manière à la construction de la culture républicaine par sa mise en récit. A ce titre, il était légitime qu’elle donne à voir la Grande Guerre, avec un patriotisme fort.
L’imagerie d’Epinal constitue donc un élément du patrimoine culturel français, dans sa dimension iconographique. C’est à ce titre que, même si aujourd’hui la production subsiste difficilement malgré les adaptations à l’époque, elle bénéficie du label Entreprise du Patrimoine Vivant. Il faut cependant souligner que le patrimoine de l’imagerie française ne se limite pas à ces éditions. Le XIXe siècle a aussi été marqué par la diffusion massive de l’imagerie de Wissembourg, plus tournée vers les images religieuses ou la vie quotidienne, diffusée massivement dans toute l’Europe, mais qui subit les conséquences de la défaite de 1871 et de l’occupation prussienne qui le ferme le marché français.
Éclairage média
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
Dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale, l’antenne de France 3 Lorraine a mis en valeur l’imagerie d’Epinal. Celle-ci traite en images des grands événements vécus par les Français, et elle ne peut donc passer à côté du conflit. Même si sa production souffre de la guerre (pénurie de papier par exemple), elle offre point de vue intéressant pour comprendre comment la guerre est montrée aux enfants.
Le reportage peine à faire vivre son sujet. Il a donc recours à des images des archives Gaumont : nous avons ainsi trois courts extraits cinématographiques, pas contextualisés et dont seul le premier, une fiction, semble pertinent au regard du propos. Il est construit comme une déambulation au sein des locaux de l’entreprise, devenus musée de l’imagerie d’Epinal. On peut ainsi voir l’important patrimoine conservé par l’entreprise avec des plaques lithographiques, des dessins de la seconde moitié du XIXe siècle, mais aussi des machines. On pourrait ainsi retracer les techniques de l’imprimerie.
Diverses productions de l’Imagerie sont montrées. On peut constater la diversité de ces productions : lithographies, personnages et scènes découper, théâtres de papier montrent les déclinaisons du produit. Quelques images permettent de nous intéresser au contenu : scènes avec une ambulance, combats au corps à corps dans un environnement gazé, assaut d’un char, portrait du commandement du corps expéditionnaire de l’Empire britannique …
Il faut tout d’abord s’interroger sur les sources des auteurs, anciens ouvriers et soldats revenus du front. Des employés de l’entreprise ont en effet été mobilisés au moins en 1914-1915 et ont donc une expérience personnelle du conflit. Le recours aux médias de l’époque, soumis à la censure, est plus difficile et il faut rappeler que les moyens techniques ne permettent par exemple pas de filmer un assaut. On peut ainsi penser que l’auto-censure pratiquée par les illustrateurs qui visent un public d’enfants avant tout, aboutit à une description pour le moins édulcorée de la guerre. Dans ces conditions, on ne peut attendre des images d’Epinal qu’elles portent un témoignage très réaliste de la guerre.
L’intérêt des images n’est donc pas dans la recherche d’une hypothétique vérité historique mais bien plus dans la façon dont l’histoire est montrée pour produire chez les enfants une représentation de la guerre et de ses valeurs. On met ainsi en valeur la figure du soldat toujours présenté sous les traits de beaux jeunes gens à l’uniforme impeccable, à la moustache soignée et au regard décidé mais souriant. On montre aussi nos valeureux alliés soutenant notre effort de guerre et attestant que la France n’est pas seule pour défendre son territoire. Les combats sont décrits, notamment l’assaut des tranchées ennemies soumis aux bombardements, avec son lot de blessures et de morts, soldats paisiblement allongés au sol, plus endormis que morts, le visage serein et le corps intact. Il en va de même avec la scène de l’attaque aux gaz, dont on notera le graphisme contemporain qui fait plus penser à Jacques Tardi qu’à un auteur de 1916 ! Seul l’assaut du char, par des soldats allemands, montre finalement la violence des combats avec des traces de blessures et de sang, mais ce sont des soldats allemands qui souffrent alors.
Les images d’Epinal ne montrent pas la guerre telle qu’elle est mais telle qu’on la jugeait montrable, c’est-à-dire pleine d’héroïsme glorieux, de sacrifices généreux face à un ennemi beaucoup moins respectable. Il s’agit bien de construire un imaginaire enfantin de la guerre. Décrites ainsi, les images justifient du sens commun que nous donnons aujourd’hui à "l'’image d’Epinal" : une image édulcorée, empathique, qui entretient des représentations et qui fonde une culture commune. Le document utilise le terme de "propagande" pour parler des images. On peut interroger ce terme dans la mesure où l’imagerie n’est pas au service de l’Etat même si elle est soumise au contrôle de son contenu.
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