Le premier centre de planning familial
Notice
Le premier centre de planning familial s'est ouvert à Grenoble. Cette première initiative a été mise en place pour lutter contre les pratiques d'avortement employées à cette époque. Ce lieu fonctionne de manière bénévole pour avoir le plus de liberté possible.
- Rhône-Alpes > Isère > Grenoble
Éclairage
Le 10 juin 1961 s'ouvre à Grenoble le premier centre français de planning familial. Le retard de la France en ce domaine est dû autant au consensus nataliste et aux politiques de l'État qu'à l'opposition de l'Église catholique. Malgré l'égalité entre les sexes proclamée dans la constitution de 1946 (IVe République) et rappelée en 1958 dans celle de la Ve République, les femmes restent des citoyennes de seconde zone, tributaires d'un code civil inégalitaire. Les lois répressives votées après la Première Guerre mondiale, notamment en 1920 (contre la propagande anticonceptionnelle) et 1923 (correctionnalisation de l'avortement) placent de fait la sexualité des femmes sous un étroit contrôle.
C'est à partir de 1955 que les découvertes médicales, en particulier la pilule contraceptive, favorisent le développement d'un mouvement pour la « libre maternité » initié par la doctoresse Lagroua Weill-Hallé qui crée, en mars 1956, une association La maternité heureuse, devenue Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) en juin 1960. Certains, dont Alfred Sauvy, y voient une remise en cause du redressement démographique français.
Le premier centre de Planning familial français est donc inauguré à Grenoble, le 10 juin 1961. Cette initiative n'était pas soutenue dans un premier temps par la direction parisienne du Planning familial qui craignait une interdiction de l'association. La nouveauté de l'initiative grenobloise réside dans la contestation ouverte de la loi de 1920 : la vente de produits anticonceptionnels n'était pas prohibée, mais l'importation l'était. Les membres du MPFP grenoblois acheminent donc clandestinement ces produits (diaphragmes et gelées spermicides), en faisant rejouer des filières de soutien au FLN employées pendant la guerre d'Algérie. A la tête du centre grenoblois se trouvent un médecin gynécologue, personnalité énergique et volontaire, ancien résistant (ex-adhérent du parti communiste), un professeur de philosophie libre-penseur et une doctoresse responsable du centre d'études médicales qui délivre les prescriptions pour des produits anticonceptionnels. Les affiliations politiques et religieuses de ses membres sont diverses - gaullistes, radicaux ou socialistes, chrétiens ou libres-penseurs - mais les activités professionnelles se concentrent dans les couches moyennes bien représentées à Grenoble : professeur, journaliste, instituteur, médecin, ingénieur. L'initiative connaît un succès immédiat.
Dès le début la télévision rend compte de l'événement : le 16 juin 1961, un bref reportage aux actualités régionales informe de l'ouverture du Centre grenoblois du planning familial. Le ton se veut rassurant : il s'agit d'informer les couples, de régulariser et non de limiter les naissances, de favoriser ainsi la santé des mères et le bien-être des enfants. Le but est de « donner des cours dispensés par des personnalités compétentes ».
Le 3 novembre 1961, à une heure de grande écoute après le journal télévisé, dans la célèbre émission de Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et Igor Barère, « Cinq colonnes à la une», un des sujets est consacré au centre du planning familial de Grenoble. Pendant quinze minutes, sur un ton grave, médecins et consultants s'expriment. Pouvoir espacer les naissances, tel est le désir exprimé par plusieurs couples, dont la plupart se disent catholiques. C'est une révolution dans l'idée du bonheur conclut en voix off un journaliste tandis que le document se termine sur la vision idyllique de mains (avec alliances) enlacées et d'une mère contemplant son enfant désiré. La télévision participe ainsi du débat public sur la vie conjugale et familiale, en évoquant les problèmes quotidiens liés aux difficultés de la procréation et à la répression de la sexualité. L'émission eut un retentissement certain provoquant, au centre grenoblois du Planning, un afflux de demandes venant de la France entière.