Dom Juan de Molière, mis en scène par Jacques Lassalle à la Comédie-Française

1993
03m 54s
Réf. 00268

Notice

Résumé :

Extrait d'une répétition du dialogue entre Dom Juan (Andrzej Seweryn) et Sganarelle (Roland Bertin) à la scène 2 de l'acte I, suivi d'une interview du metteur en scène Jacques Lassalle qui situe son spectacle par rapport aux principales traditions de mise en scène de Dom Juan.

Date de diffusion :
1993
Fiche CNT :

Éclairage

Un an après l'interdiction de Tartuffe, dans un climat d'hostilité de la part du parti dévot, Molière et sa troupe donnent Dom Juan en 1665. Si la pièce est un franc succès, elle est cependant elle aussi en butte aux attaques des autorités religieuses, qui voient en elle une défense des libertins. Des suppressions de scènes, notamment celle du Pauvre (acte III, scène 2), sont imposées à Molière, et des menaces lui parviennent ; sous de lourdes pressions, il décide finalement de ne plus la reprendre, malgré l'accueil chaleureux que lui avait réservé le public parisien. La pièce sera réécrite en vers et expurgée en 1677 par Thomas Corneille, et c'est désormais sous cette forme que Dom Juan sera présenté au public pendant deux siècles. Il faudra attendre 1841 pour que la version originale soit jouée de nouveau sur une scène, et c'est seulement en 1947 que Louis Jouvet l'imposera véritablement auprès du public français.

De fait, cette étrange pièce en prose, que l'on a longtemps crue écrite à la hâte pour remplacer Tartuffe, a de quoi déconcerter. Elle présente tout d'abord une grand ambiguïté générique : tandis que la noblesse et le sérieux de Dom Juan, Dona Elvire et Dom Louis semblent suggérer le genre aristocratique de la comédie héroïque, en revanche la bouffonnerie de Sganarelle et des paysans font plutôt signe vers la farce et la commedia dell'arte. Mais la présence de la statue mobile du Commandeur et les effets spéciaux de la chute de Dom Juan aux Enfers l'inscrivent dans le genre composite de la pièce à machines, tournée avant tout vers la production d'effets spectaculaires. Quant au personnage de Dom Juan, il présente une ambiguïté irréductible et son châtiment final n'efface pas chez lui une forme de grandeur, d'autant plus que la relecture romantique du XIXe siècle l'a érigé en figure de l'homme révolté.

Lorsque Jacques Lassalle propose une mise en scène de la pièce en 1993, il se nourrit donc d'une longue tradition d'interprétation de la pièce de Molière. Son comédien principal, Andrzej Seweryn, étant croyant, il choisit de faire une lecture pascalienne du personnage, présentant les défis de Dom Juan comme des appels à Dieu et sa soif de jouissance comme une réaction de dépit de ne pas l'avoir trouvé.

Céline Candiard

Transcription

Comédien 1
Eh bien, je te donne la liberté de parler et de me dire tes sentiments.
Comédien 2
En ce cas monsieur, je vous dirai franchement, que je n’approuve point votre méthode ! Et que je trouve fort vilain, d’aimer de tous côtés, comme vous faites.
Comédien 1
Quoi, tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend ? Qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle. S’ensevelir pour toujours dans une passion et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux. Non ! La constance n’est bonne que pour des ridicules ! Toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos coeurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve. Et je cède facilement à cette douce violence, dont elle nous entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire injustice aux autres. Je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu’il en soit je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d’aimable ! Et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerais tous ! Les inclinations naissantes après tout ont des charmes inexplicables ! Et tout le plaisir de l’amour est dans le changement ! On goûte une douceur extrême, à réduire par cent hommages le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu’on y fait. A combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l’innocente pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur ; et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a plus rien à dire ni rien à souhaiter. Tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour. Jusqu’à ce que…
Inconnue
Si quelque objet nouveau...
Intervenant
Lors de notre première rencontre, j’évoluais entre les deux ou trois grands termes de l’alternative Dom Juan. C'est-à-dire, Dom Juan pièce récente après tout, pièce qui dans l’histoire du théâtre français, n’est pas véritablement antérieure à la prière. Et pièce qui se situe entre trois grandes tentations. La tentation Jouvet, la tentation pascalienne, la recherche... la recherche de Dieu, la tentation de Vilar, la tentation de l’athée optimiste ; et puis, la tentation, disons, marxiste qui de Meyerhold à Brecht à Chéreau, à Besson, enfin fait de Dom Juan, le parasite social, dont une société en voie de transformation doit se délivrer. J’étais pas beaucoup plus avancé que ça à ce moment là, c'est-à-dire, que je savais vaguement que nous aurions à nous définir entre ces trois... entre ces trois pôles.